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France condamnée à Strasbourg - Violation du droit à la vie et du droit à un procès équitable

Publie le mardi 9 octobre 2007 par Open-Publishing

COUR EUROPÉENNE DES DROITS DE L’HOMME

665

9.10.2007

Communiqué du Greffier

ARRÊT DE CHAMBRE
SAOUD c. FRANCE

La Cour européenne des Droits de l’Homme a communiqué aujourd’hui par écrit son arrêt de chambre1 dans l’affaire Saoud c. France (requête no 9375/02).

La Cour conclut, à l’unanimité :

· à la violation de l’article 2 (droit à la vie) de la Convention européenne des Droits de l’Homme en raison du manquement des autorités à l’obligation de protéger la vie de Mohamed Saoud ;

· à la violation de l’article 6 § 1 (droit à un procès équitable) de la Convention du fait de l’impossibilité matérielle pour l’avocat aux Conseils de déposer un mémoire ampliatif.

En application de l’article 41 (satisfaction équitable), la Cour alloue aux requérants conjointement 20 000 euros (EUR) pour préjudice moral ainsi que 5 000 EUR pour frais et dépens. (L’arrêt n’existe qu’en français.)

1. Principaux faits

Les requérants sont une ressortissante tunisienne, Mme Majhouda Saoud, et six ressortissants français, Mmes Mounira, Siem et Yasmina Saoud et MM. Hassen, Kamel et Houcine Saoud, nés respectivement en 1946, 1973, 1977, 1981, 1979, 1983 et 1987 et résidant à Toulon (France). Ils sont respectivement la mère, les sœurs et les frères de Mohamed Saoud, né en 1972 et de nationalité française et tunisienne.

Une semaine avant les faits, Mohamed Saoud souhaita être hospitalisé dans une clinique où il avait été précédemment soigné pour une dépression. Faute de place disponible, son admission ne put être fixée avant le 23 novembre 1998. Souffrant de schizophrénie, le jeune homme présentait un taux d’incapacité de 80 %.

Le 20 novembre 1998, les services de police de Toulon furent requis téléphoniquement pour intervenir au domicile de la famille Saoud, où Mohamed Saoud, âgé de 26 ans, exerçait des violences sur sa mère et ses deux sœurs, Siem et Yasmina. Le jeune homme avait entravé avec du fil de fer les jambes de sa sœur Siem et la frappait à coups de pieds.

Selon les requérants, Yasmina Saoud informa les policiers de la maladie de son frère, de son invalidité et de la nécessité d’appeler un médecin, ce qui ne fut pas fait. Sur sommation des policiers, Mohamed Saoud refusa d’ouvrir la porte blindée de l’appartement, mais accepta de libérer sa sœur Siem. Puis, tout en vociférant contre les policiers, il s’attaqua à son autre sœur, lui administrant plusieurs coups de barre de fer.

Les policiers s’introduisirent par le balcon de l’appartement. Lors de l’assaut, Mohamed Saoud parvint à asséner plusieurs coups de barre de fer aux officiers, et à s’emparer d’un revolver et tirer quatre coups de feu au ras du sol. Les premiers policiers, blessés, furent remplacés par leurs collègues qui, ne parvenant pas à menotter Mohamed Saoud dans le dos, le menottèrent les bras en avant, le maintenant plaqué au sol sur le ventre par la pression de leur poids. Deux policiers le maintinrent aux poignets et aux chevilles, et un autre plaça ses bras tendus sur les épaules du jeune homme ainsi que son genou sur les reins.

A leur arrivée, les sapeurs pompiers dispensèrent les premiers soins aux policiers blessés, attendant, au vu de la vigueur encore témoignée par Mohamed Saoud, l’intervention du Service d’aide médicale urgente (SAMU) pour lui administrer un calmant. Peu après, le jeune homme présenta un affaiblissement, qui se révéla être un arrêt cardio-respiratoire, puis décéda. Une autopsie du corps de Mohamed Saoud ainsi que d’autres examens révélèrent la présence d’indices évoquant la possibilité d’une « asphyxie lente de type mécanique ».

En janvier 1999, les requérants déposèrent plainte avec constitution de partie civile pour homicide volontaire sur personne particulièrement vulnérable, faisant notamment valoir qu’aucun médecin n’avait été appelé au moment des faits. Le 12 octobre 2000, le juge d’instruction rendit une ordonnance de non-lieu au motif que les éléments recueillis n’avaient pas permis de caractériser une faute pénale justifiant la mise en examen des officiers de police. Cette ordonnance fut confirmée par un arrêt datant du 4 janvier 2001.

Les requérants se pourvurent en cassation. Le 24 juillet 2001, le délégué du premier président de la Cour de cassation admit la requérante Mounira Saoud, qui avait déposé une demande de nouvelle délibération, au bénéfice de l’aide juridictionnelle totale. Un avocat au Conseil d’Etat et à la Cour de cassation fut ainsi désigné pour assister la requérante devant la Cour de cassation. Le 18 septembre 2001, la Cour de Cassation déclara les pourvois irrecevables.

L’avocat aux Conseils informa les requérants que la décision du 24 juillet 2001 ne lui ayant été notifiée que le 10 septembre 2001, il ne lui fut pas possible de déposer un mémoire devant la Cour de cassation avant qu’elle ne statue sur les pourvois.

2. Procédure et composition de la Cour

La requête a été introduite devant la Cour européenne des Droits de l’Homme le 6 novembre 1999.

L’arrêt a été rendu par une chambre de sept juges composée de :

Françoise Tulkens (Belge), présidente,
Jean-Paul Costa (Français),
Ireneu Cabral Barreto (Portugais),
Riza Türmen (Turc),
Mindia Ugrekhelidze (Géorgien),
Vladimiro Zagrebelsky (Italien),
Antonella Mularoni (Saint-Marinaise), juges,

ainsi que de Françoise Elens-Passos, greffière adjointe de section
assistée de Anne-Marie Dougin, référendaire.

3. Résumé de l’arrêt2

Griefs

Invoquant les articles 2 (droit à la vie) et 3 (interdiction des traitements inhumains ou dégradants), les requérants dénonçaient l’atteinte portée à la vie de Mohamed Saoud lors de l’intervention des forces de police à leur domicile et les conditions dans lesquelles est intervenu son décès. Invoquant également l’article 6 § 1 (droit à un procès équitable), ils se plaignaient en outre du manque d’équité de la procédure pénale ouverte à la suite du décès.

Décision de la Cour

Article 2

Au vu des circonstances entourant l’arrestation de Mohamed Saoud, la Cour observe que l’intervention des policiers peut se justifier par le fait qu’ils devaient protéger l’intégrité physique de la mère et de l’une des sœurs du jeune homme. A cet égard, elle relève que Mohamed Saoud a infligé à ses sœurs des blessures qui ont fait l’objet d’un rapport médical et que des policiers ont également été sérieusement blessés au cours de la lutte. Les rapports des experts médicaux indiquaient également que les blessures qu’a subies le jeune homme n’étaient pas à l’origine de son décès. Dès lors, les conditions de son arrestation étaient proportionnées à la violence de son comportement.

S’agissant des faits postérieurs à l’arrestation, à savoir la contention au sol de Mohamed Saoud par les policiers, la Cour rappelle que les autorités ont une obligation de protection de la santé des personnes détenues, placées en garde à vue ou, comme dans le cas de Mohamed Saoud, venant de faire l’objet d’une arrestation. Ceci implique de dispenser avec diligence des soins médicaux lorsque l’état de santé de la personne le nécessite.

Les policiers n’étaient pas dans l’ignorance de l’état de vulnérabilité de Mohamed Saoud puisqu’ils en avaient été informés par l’une de ses sœurs. Malgré la maladie du jeune homme, ses blessures apparentes et le fait que, entravé aux mains et aux pieds, il ne présentait plus de danger pour autrui, les policiers n’ont à aucun moment relâché leur étreinte et aucun examen médical, même superficiel, n’a été pratiqué sur lui afin de s’assurer de son état de santé. Seule l’administration d’un calmant par un médecin semble avoir été envisagée par les policiers et les pompiers sur place, ce qui nécessitait d’attendre le SAMU.

Le maintien au sol de Mohamed Saoud pendant 35 minutes a été identifié par les experts médicaux comme étant la cause directe de son décès par asphyxie lente. La Cour déplore le fait qu’aucune directive précise n’ait été prise par les autorités françaises à l’égard de ce type de technique d’immobilisation et que, malgré la présence sur place de professionnels formés au secours, aucun soin n’ait été prodigué au jeune homme avant son arrêt cardiaque. Dès lors, il y a eu manquement à l’obligation incombant aux autorités de protéger la vie de Mohamed Saoud, et violation de l’article 2.

Article 3

La Cour constate que ce grief porte sur les mêmes faits que ceux examinés sur le terrain de l’article 2 et estime qu’il n’est pas nécessaire de l’examiner séparément.

Article 6 § 1

La Cour observe que la décision du 24 juillet 2001 offrait, au titre de l’aide juridictionnelle, à la requérante Mounira Saoud une chance de voir son pourvoi défendu par un professionnel du droit spécialisé en la matière. Elle estime que la procédure devant la Cour de cassation n’a pas été équitable en raison de l’impossibilité matérielle pour l’avocat aux Conseils de déposer un mémoire ampliatif avant que la Cour de cassation n’ait statué sur les pourvois des requérants. Partant, il y a eu violation de l’article 6 § 1.

Le juge Costa a exprimé une opinion concordante dont le texte se trouve joint à l’arrêt.

***

Les arrêts de la Cour sont disponibles sur son site Internet (http://www.echr.coe.int).

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La Cour européenne des Droits de l’Homme a été créée à Strasbourg par les Etats membres du Conseil de l’Europe en 1959 pour connaître des allégations de violation de la Convention européenne des Droits de l’Homme de 1950.

1 L’article 43 de la Convention européenne des Droits de l’Homme prévoit que, dans un délai de trois mois à compter de la date de l’arrêt d’une chambre, toute partie à l’affaire peut, dans des cas exceptionnels, demander le renvoi de l’affaire devant la Grande Chambre (17 membres) de la Cour. En pareille hypothèse, un collège de cinq juges examine si l’affaire soulève une question grave relative à l’interprétation ou à l’application de la Convention ou de ses protocoles ou encore une question grave de caractère général. Si tel est le cas, la Grande Chambre statue par un arrêt définitif. Si tel n’est pas le cas, le collège rejette la demande et l’arrêt devient définitif. Autrement, les arrêts de chambre deviennent définitifs à l’expiration dudit délai de trois mois ou si les parties déclarent qu’elles ne demanderont pas le renvoi de l’affaire devant la Grande Chambre.

2 Rédigé par le greffe, ce résumé ne lie pas la Cour.

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