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INTERVIEW - "Cuba a beaucoup changé"
A quoi rêvent les jeunes Cubains aujourd’hui ? En quoi le virage à gauche de l’Amérique latine a-t-il influencé l’île ? Que va-t-il se passer après la disparition de Fidel Castro ? L’écrivain cubain Leonardo Padura nous livre ses impressions avec sincérité. Malgré la rigidité accrue
du régime, cet amoureux inconditionnel de Cuba n’imaginerait pas vivre ailleurs.
Q-Votre dernier roman, Les Brumes du passé, évoque les changements qui ont marqué Cuba ces dernières années.
Leonardo Padura : Le plus grand changement a été d’ordre économique. Avec la perte du soutien de l’ex-URSS, les Cubains ont dû trouver d’autres moyens de survivre et de faire du commerce. Les gens ont été obligés de se tourner vers l’extérieur. Cela leur a donné une plus grande
liberté d’action et de mouvement. Cependant, ces évolutions débutées dans les années 1990 sont actuellement en phase de régression. La Chine et le Venezuela jouent aujourd’hui pour Cuba - dans un contexte différent,
bien sûr - le rôle que remplissait l’Union soviétique autrefois. Cette
aide permet en fait au gouvernement de refermer la porte aux mesures de
libéralisation économique auxquelles il avait dû se résoudre en temps de
misère extrême, comme celles concernant le développement de l’industrie
touristique, par exemple.
Q-Comment les Cubains ont-ils vécu ces changements ?
La crise économique des années 1990 n’a pas été uniquement matérielle.
Elle s’est accompagnée d’un vrai désastre sur le plan idéologique. En
ce sens, je pense que les changements engagés sont profonds et
irréversibles. La confiance monolithique et absolue que nous avions dans le
socialisme et les mensonges dont nous avons été abreuvés pendant trente ans
se sont écroulés avec le mur de Berlin. Nous avons découvert le vrai
visage du socialisme européen. Les gens se sont détournés d’un régime
qui, au nom de l’égalité pour tous et d’un avenir meilleur, a engendré des
génocides à grande échelle. Tout cela a laissé la place au désespoir, à
la frustration et au sentiment d’avoir été abusé. C’est comme si nous
avions tout à coup perdu la "foi". La perte de confiance a conduit les
gens à rechercher d’autres formes de croyances, comme la religion, par
exemple. Elle les a également poussés à rechercher des solutions
individuelles pour améliorer leur vie, comme l’émigration. La perte des
illusions peut néanmoins conduire à une sorte d’hérésie. Je sens que beaucoup
de Cubains aujourd’hui ne croient plus en rien. Ils se limitent à vivre
au jour le jour, à survivre jusqu’au lendemain, sans grandes
considérations philosophiques, religieuses ou même morales. C’est cette
désillusion que je raconte dans mes romans. Je décris le désespoir des gens de
la génération de mes parents qui doivent continuer à se battre malgré
leur âge. J’écris sur la frustration des gens de ma génération auxquels
on avait promis un avenir meilleur qui n’est jamais venu. Et sur
l’incertitude, et la désorientation qui envahissent les plus jeunes.
Q-Les jeunes Cubains sont-ils impliqués politiquement ? A quoi
rêvent-ils ?
On ne peut pas généraliser, car, comme dans toutes les sociétés
humaines, il y a de tout à Cuba : des jeunes qui pensent et vivent comme des
ouvriers soviétiques modèles des années 1930, mais aussi des hippies
tropicaux uniquement intéressés par le sexe, l’alcool et la drogue. Tout
le monde cohabite dans un même espace. Mais j’observe actuellement chez
les jeunes une tendance beaucoup plus inquiétante. Ils ne
s’investissent dans rien. Ils n’attendent rien de la vie. Ils vivent dans l’instant,
sans foi ni perspectives. Certains jeunes sont d’excellents étudiants,
de chics types, mais ils ne sont pas naïfs non plus. Ils pensent
désormais à construire leur vie de façon individuelle, parfois en émigrant.
Malgré tout, je pense que la jeunesse cubaine est beaucoup plus saine
que ce à quoi on aurait pu s’attendre après tant d’années de sacrifices,
de manquements et de promesses non tenues.
Q-Quelle influence le virage à gauche de l’Amérique latine a-t-il sur
Cuba ? Le Venezuela, par exemple, importe des médecins cubains contre la
fourniture de 90 000 barils de pétrole par jour à des tarifs défiant
toute concurrence.
Une des conséquences directes s’observe sur le plan de la propagande
politique. Cela renforce la position du gouvernement cubain au plan
international. Mais, si la carte politique de l’Amérique latine change, ce
n’est pas grâce à Cuba. Ce virage à gauche est dû au rejet massif des
politiques néolibérales menées dans la région depuis une quinzaine
d’années et qui ont provoqué encore plus d’inégalités sociales. Des
inégalités qui se sont ajoutées à celles dont souffre l’Amérique latine depuis
des siècles. La première fois que je suis allé à Mexico, en 1989, et que
j’ai vu des enfants mendier à la sortie des restaurants - une chose que
je n’avais jamais vue de ma vie à Cuba -, je me suis dit que quelque
chose allait se produire tôt ou tard, que cela ne pourrait pas continuer
comme ça. Et bien, c’est en train d’arriver. Pour Cuba, ces changements
politiques revigorent idéologiquement un pouvoir qui en a bien besoin.
Cela replace plus activement Cuba au sein de l’Amérique latine et lui
offre la possibilité de promouvoir régionalement les succès les plus
évidents du processus cubain, notamment dans le domaine de la santé, de
l’éducation et des sports. Dans le même temps, cela provoque une rigidité
accrue de l’idéologie politique dans l’île. On en revient à la
situation d’avant la crise des années 1990. Cette crise qui avait provoqué des
ouvertures nécessaires afin d’assurer la survie matérielle des Cubains.
Q-De quelle manière peut-on envisager l’avenir de Cuba après la
disparition de Fidel Castro ?
Il est bien difficile de répondre à cette question sans avoir une boule
de cristal. La question de l’avenir de l’île est celle qui est le plus
posée à Cuba par les adeptes d’Orula, le dieu du panthéon Yoruba et
afro-cubain, qui possède des dons de divination. Mais il paraît que le
dieu "fait l’idiot" comme on dit ici. C’est-à-dire qu’il répond par des
métaphores moralisantes et pose de nouvelles devinettes obscures au lieu
de répondre. Moi qui ne suis ni dieu, ni devin, mais juste écrivain, je
ne peux qu’exprimer mes désirs pour l’avenir de Cuba. Je souhaiterais
que les Cubains puissent vivre en paix et réconciliés, avec abondance,
dignité et indépendance. Je voudrais que l’on respecte et considère les
problèmes cubains comme étant du ressort unique des Cubains. C’est
notre droit souverain. Je voudrais que les Cubains se comprennent et
s’entraident, quel que soit leur lieu de vie ou leurs idées politiques. Je
suis généralement pessimiste en ce qui concerne l’avenir de la planète,
mais je veux être optimiste concernant l’avenir de Cuba. Je crois que
les Cubains méritent cet optimisme. Je suis convaincu que la mort de
Fidel Castro changera beaucoup de choses à Cuba, en bien ou en mal. En tout
cas, la personnalité de Fidel Castro aura été décisive pour l’île
durant ces cinquante dernières années. Son absence le sera également. Quand
? Comment ? C’est très difficile à imaginer. même pour un écrivain !
Q-Comment se déroule votre vie d’écrivain à Cuba ?
Depuis quelques années, elle est très satisfaisante. Je peux me
consacrer à plein temps à mon travail d’écriture. J’écris aussi avec une
grande liberté - pas une liberté totale, mais une grande liberté tout de
même. Je traite pourtant de problèmes sociaux épineux dans mes livres. Je
ne fais pas de politique, ni dans le cadre de ma vie sociale, ni dans
ma vie littéraire. Principalement parce que cela ne m’intéresse pas et
parce que je refuse d’être un "argument" pour tel ou tel bord politique.
Vivre ainsi comporte des risques, bien sûr : qu’un livre déterminé ne
soit pas publié, par exemple. Cela ne m’est encore jamais arrivé. Tous
mes livres ont été publiés à Cuba sans que la censure touche à un seul
mot. Mais le fait est que l’on en parle à peine dans la presse cubaine.
Autre inconvénient : les droits d’auteur que je touche à Cuba sont
totalement insuffisants pour vivre. Je reconnais aussi que je réfléchis à
deux fois avant d’écrire sur certains sujets ou avant de répondre à une
de vos questions, car ce que j’écris peut toujours être considéré comme
"inapproprié" pour la bureaucratie au pouvoir. Mais, même dans ces
conditions, je préfère vivre à Cuba. Partager les incertitudes, les
carences, les restrictions du peuple cubain. Au milieu des gens qui sont la
source de mon inspiration littéraire et humaine. J’aime entendre battre
le cour de la vie cubaine et avoir les mêmes désirs ou les mêmes
frustrations que mes concitoyens. Qu’ils m’offrent leurs souffrances et leurs
espoirs pour que j’en fasse ma littérature.
Note biographique
Leonardo Padura est né à La Havane en 1955 et vit à Cuba. Il est
romancier, essayiste et auteur de scénarios pour le cinéma. Ses romans sont
publiés au Mexique, à Cuba, en Espagne, en Allemagne et en Italie. En
France, il a publié : Le Palmier et l’Etoile, Electre à La Havane,
L’Automne à Cuba, Passé parfait, Mort d’un Chinois à La Havane, Vents de
carême et Adios Hemingway, tous parus aux éditions Métailié. Il a reçu le
prix Hammett (1998 et 1999), le prix Café Gijon (1997) et le prix des
Amériques insulaires (2002). Son dernier roman, Les Brumes du passé,
sortira dans les librairies françaises le 24 août (éditions Métailié).
Les Brumes du passé
La Havane, été 2003. Il y a quatorze ans que l’inspecteur Mario Conde a
quitté la police. Pendant cette période, Cuba a beaucoup changé :
l’économie et les mentalités ont été bouleversées. Conde gagne désormais sa
vie en vendant des ouvrages anciens, comme beaucoup de Cubains, obligés
de se défaire de leurs livres pour subsister. Soudain, il tombe sur la
page d’une revue, ornée de la photo de Violeta del Rio, une chanteuse
de boléro des années 1950. Totalement séduit par la beauté et le mystère
de cette femme, il se lance dans une enquête personnelle qui va
l’emmener jusque dans les bas-fonds de Cuba qu’il n’a pas vu évoluer. Leonardo
Padura évoque dans ce livre les changements qui ont marqué Cuba ces
dernières années et les désillusions des gens de sa génération. Ces
Cubains devenus presque des "étrangers" pour les plus jeunes, mieux adaptés à
la circulation du dollar, aux combines et à la débrouille. Plus qu’un
roman noir, Les Brumes du passé parle de l’amour des livres, de la
culture, et de la poésie si populaire des boléros.
Propos recueillis par Christine Lévêque
– http://www.courrierinternational.co...
CUBA SOLIDARITY PROJECT
http://vdedaj.club.fr/cuba/
"Lorsque les Etats-Unis sont venus chercher Cuba,
nous n’avons rien dit, nous n’étions pas Cubains."
[ NOTA BENE - modérateur DE CUBASOLIDARITYPROJECT : rappelons les propos de Padura "( Zoé Valdès ) produit une littérature qui n’est pas de la littérature. Elle a toujours été un fonctionnaire et s’est exilé en avion avec son mari et son enfant. Elle s’est inventé un personnage de martyr qui est faux. Elle ment beaucoup". ]