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ENTRETIEN AVEC MADGHIS AFULAY
mercredi 12 décembre 2007, par Rezki Mammar
KADHAFI SURVEILLE LES LIBYENS, MÊME A PARIS
Madghis, un militant libyens interpellé à Paris Il est impossible de manifester contre la présence du colonel Kadhafi en France. Un arrêté préfectoral interdit tout rassemblement, même pacifique. Quatre-vingt personnes ont été interpellées le 10 décembre, cinq le 11 décembre. Les premières victimes de cette répression sont des opposants libyens venus de toute l’Europe. Ils sont peu nombreux mais leurs moindres faits et gestes sont surveillés. Parmi eux, des Berbères, en lutte pour la reconnaissance de leur langue et de leur culture. Nous avons suivi ces militants. L’un d’eux Madghis Afulay a coordonné les actions et alerté les médias sur les exactions de Kadhafi et sur les discriminations linguistiques en Libye. Madghis nous a accordé un entretien et quand nous l’avons rencontré, il avait un bandage à la main. Il venait d’être agressé par des agents libyens.
Le lundi 10 décembre, 26 personnes ont été interpellées place du Trocadéro, comment en est-on arrivé là ?
Cela fait un bon moment qu’on avait demandé l’autorisation de manifester. Samedi soir à dix-sept heures, on nous a appelés pour nous dire que notre manifestation était interdite. Nous nous sommes dit que nous allions faire un sit-in à Saint-Augustin. C’est droit constitutionnel que de faire ce type de rassemblement. Il n’y avait pas besoin de faire une demande. Mais même ce sit-in, ils ne nous l’ont pas laissé faire. En vingt minutes, peut-être moins, ils sont venus nous demander de partir. Tout le monde a commencé à partir. Personnellement, je suis resté pour attendre les autres personnes à venir et leur dire que le rassemblement était interdit. Les autres ont décidé de partir pour la place du Trocadéro.
Qui sont ces « autres » manifestants ?
Ce sont d’autres Imazighen (les Berbères) qui viennent d’un peu partout en Europe et d’Amérique ainsi que d’autres Imazighen originaires d’Algérie, du Maroc et qui nous soutiennent. Avec eux, il y avait également d’autres opposants libyens (arabophones) d’Europe. A la sortie du métro, ils ont trouvé des policiers venus les interpeller et confisqué leurs drapeaux et leurs affaires. Puis ils sont partis avec trois heures environ de retard. La suite de l’histoire vous la connaissez.
Et ce matin, 11 décembre, vous vous êtes rendus aux abords de l’Assemblée nationale...
Oui, nous avons décidé d’y aller pour deux raisons : premièrement, un journaliste m’a informé d’une manifestation de Reporters sans frontières sous une tente symbolique. Apparemment, on leur a demandé de se reculer un peu plus loin, on ne les a pas laissés s’approcher de l’assemblée nationale. Nous, nous étions devant l’entrée de l’assemblée pour distribuer des tracts et parler avec la presse. J’ai donné une interview à RFI. Finalement, ils nous ont empêchés de finir l’entretien et de distribuer des tracts. On nous a demandé d’aller ailleurs. Je leur ai dit que je n’avais rien sur moi, que je ne donnerais plus de tracts et que c’était mon droit de rester pour regarder. Mais même ça ils ne l’ont pas accepté, ils m’ont répondu que j’avais l’intention de tenter quelque chose. On est allé dans un jardin, de l’autre côté de l’Asemblée pour y distribuer des tracts et au bout de cinq minutes, ils m’ont à nouveau demandé d’arrêter. J’ai répondu que j’avais le droit d’être là et qu’il n’y avait pas de rassemblement. Ils nous ont arrêtés en utilisant la violence, en nous plaquant au sol. Ils étaient au moins six ou sept policiers, assez costauds. Il y avait aussi beaucoup de Libyens dans cet endroit, apparemment c’était des gardes du corps de Kadhafi, soit des agents. Il y en a un peu partout dans Paris en ce moment.
Pour vous surveiller ?
Ils surveillent pour assurer la sécurité de Kadhafi.
Est-ce que tu es personnellement suivi ?
Oui, toute la journée, soit par des agents français, soit par des Libyens, donc par les deux Etats.
Est-ce que tu peux donner un exemple ?
Ce matin, on est entré chez un ami et on avait un agent français derrière nous. Il parlait de tout ce qui se passait sur son téléphone. Il nous a suivis depuis Nation (au sud-est de Paris) jusqu’à notre destination. Mais nous sommes également sur écoute téléphonique. Par exemple, un policier m’a demandé où je me rendais, je lui ai répondu que j’allais vers la place du Trocadéro. Il est quand même venu à l’Assemblée nationale et j’y étais, alors c’est sûr que nous sommes constamment surveillés.
Après avoir été pris à parti par la police, tu as rencontré des agents libyens...
On leur a parlé tranquillement, nous avons tenté de leur expliquer que la Libye est notre pays, que la démocratie serait une bonne chose pour tout le monde. Nous voulions les sensibiliser un peu. Mais ils ont tout de suite eu recours à la force avec mon camarade Fethi et moi. C’était des gens très costauds, de vrais gardes du corps ! L’un m’a frappé par derrière, j’ai essayé de me défendre en lui portant un coup sur le côté. Et apparemment, il avait quelque chose en métal, je ne sais pas s’il s’agit d’une arme à feu ou autre chose. J’ai été sérieusement blessé à la main.
Est-ce qu’il va y avoir d’autres actions ?
Je l’espère bien. Je ne peux pas trop en parler...
Est-ce que toutes les personnes arrêtées ont été relâchées ?
Oui, tout le monde a été libéré.
Que penses-tu de la manière dont les médias ont parlé des Berbères libyens. Ont-il parlé de vous ?
Non, nous ne sommes pas satisfaits. Ils ont plutôt parlé de la Libye en général et des droits de l’homme de manière trop générale. On aurait aimé qu’ils soient plus précis à notre égard.
Note sur cet entretien :
Nous avons été arrêtés lundi en suivant la manifestation place du Trocadéro puis libérés trois heures plus tard. La Libye compte un peu plus d’un million de berbérophones, soit un cinquième de sa population. Leur langue n’est pas autorisée et la loi les oblige à donner à leurs enfants un prénom arabe... Les manuels scolaires libyens enseignent que l’histoire du pays commence uniquement avec l’arrivée de l’islam. Les manifestants libyens sont des exilés, ils sont venus spécialement à Paris de toute l’Europe et d’Amérique du Nord.