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L’abolition de la prison en questions

par Chantal Mirail

Publie le mardi 30 juillet 2019 par Chantal Mirail - Open-Publishing

Chaque mouvement abolitionniste – de l’esclavage, de la peine de mort, de la torture - a été à ses débuts traité de farfelu, de fou jusqu’à ce que l’abolition enfin réalisée apparaisse comme une évidence.

L’abolition de la prison n’est pas impensable puisqu’elle est pensée :
Catherine Baker dès 1995, Albert Jacquard, Alain Brossat, Angela Davis, Louk Hulsman, Robert Cario et Denis Salas, Jacques Lesage de La Haye
et en 2014 seize « penseurs » publient un texte dans Médiapart prônant
que soit jetée aux oubliettes de l’Histoire cette maudite habitude qui permet à l’homme d’enfermer l’homme et de le tenir emmuré.
Il est à noter que sur le terrain beaucoup de femmes se mobilisent. La privation de liberté dans les centres de rétention, pour des personnes qui n’ont commis aucun délit, devrait être la sonnette d’alarme d’une pratique barbare.

Quelques réponses simples aux questions et observations opposées aux abolitionnistes

Comment une société pourrait fonctionner si voleurs et criminels étaient en liberté ?
Les plus grands voleurs et les plus grands criminels ne vont jamais en prison. Bush a tué des milliers de gens pour les intérêts économiques des USA. Les vols fiscaux, qu’on préfère nommer « évasion » fiscale, se montent à des sommes astronomiques. Si on doit se protéger, c’est d’eux en priorité car leurs victimes sont bien plus nombreuses. Or ils sont en liberté sans que la société ne s’effondre.

C’est justice d’emprisonner les délinquants
Seuls les pauvres vont en prison : de quelle justice s’agit-il ? Une justice de classe, qui permet de maintenir un système parfaitement injuste.

Les délinquants doivent être punis
Punir, c’est infliger du mal à quelqu’un qui a lui-même infligé du mal, le faire souffrir parce qu’il a fait souffrir. C’est une notion proche de la vengeance, de la loi du talion. Il s’agit également de réprimer les tendances malfaisantes par la peur, en faisant a priori l’hypothèse que le comportement humain ne serait régi que par elle.

Les délits vont se multiplier s’il n’y a pas de sanctions
Est-ce à dire que vous et moi ne tuons pas notre voisin, uniquement par peur de la prison ? Quelle idée de l’Homme avons-nous là ? L’Homme est capable d’atrocités, c’est vrai mais il est aussi capable d’altruisme. Le naturel humain est autant fait de sauvagerie que d’humanité. La conscience que pour survivre en société il faut se respecter mutuellement est ordinaire, même un enfant sait très vite modérer sa jalousie et prendre goût au soin de l’autre.

Les délinquants peuvent s’amender grâce à la prison
On sait bien que c’est le contraire : vivre dans un milieu violent, arbitraire, inhumain pousse à devenir violent.

Comment maintenir la loi sans sanction, répression, prison ?
On ne peut défendre la loi en créant un lieu où il n’y a plus de loi. En prison, il n’y a aucun recours face aux gardiens, la violence règne, le code du travail ne s’applique pas.
La prison est une zone de non droit.

Et la victime ?
Justement, la justice ne se préoccupe de la victime que sous forme de réparation financière ou en lui proposant une vengeance, faire souffrir ceux qui les ont fait souffrir. Or on ne peut guérir d’un traumatisme sans comprendre en profondeur ce qui nous est arrivé, ni l’argent ni la vengeance ne peuvent aider à le dépasser.

Par quoi la remplacer ?
On pourrait déjà dire que c’est étonnant que les gens ne posent cette question qu’aux abolitionniste sans se la poser à eux-mêmes. Tout le monde sait que les conditions carcérales sont abominables, que la prison ne résout rien et personne ne se préoccupe de chercher une autre solution !
Ceux qui y réfléchissent, tous abolitionnistes, prône une justice restauratrice, avec une médiation entre la victime et le délinquant. (Louk Hulsman, Robert Cario et Denis Salas).

Il serait important de poursuivre cette recherche pour des solutions humaines et démocratiques. La première étape, et ce texte voudrait y contribuer, est de se familiariser avec cette idée encore tabou : l’abolition de la prison.

Chantal Mirail

Catherine Baker L’abolition de la prison, Éditions du Ravin bleu 1995 :

Albert Jacquard Un monde sans prison ? Le Seuil édition Points virgule 1993
Alain Brossat, Pour en finir avec la prison. Editions La Fabrique 2001
Angela Davis Are prisons obsolete ? 2003
Louk Hulsman, dans Peines perdues Ed Centurion 1982
Jacques Lesage de La Haye
« Ras les murs », sur Radio libertaire, chaque mercredi, de 20 h 30 à 22 h 30.
Michel Foucault Naissance de la prison, Surveiller et punir éditions Gallimard 1975.

Michel Foucault tirait la sonnette d’alarme dès 1975. Il arguait que « la prison ne peut pas manquer de fabriquer des délinquants. Elle en fabrique par le type d’existence qu’elle fait mener aux détenus : qu’on les isole dans les cellules, ou qu’on leur impose un travail inutile (voir p. X), pour lequel ils ne trouveront pas d’emploi, c’est de toute façon ne pas “songer à l’homme en société ; c’est créer une existence contre nature inutile et dangereuse”
Naissance de la prison, Surveiller et punir Michel Foucault paru aux éditions Gallimard en février 1975.

Ils ont emprisonné les pauvres et les racialisés
Je n’ai rien dit, je ne suis pas pauvre, je ne suis pas racialisé
Ils ont enfermé les migrants
Je n’ai rien dit je ne suis pas migrant
Ils ont arrêté les journalistes
Je n’ai rien dit je ne suis pas lanceur d’alerte
Ils ont mis derrière des barbelés des gilets jaunes et autres rebelles
Tu n’as rien dit, tu n’es pas contestataire
Mais quand ils viendront te chercher, qui sera libre pour te défendre ?