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L’autre oeil Tsahal

Publie le mardi 8 juin 2004 par Open-Publishing

Ils ont 20 ans. Revenus d’un service militaire à Hébron, ils racontent en photos, en vidéos, la litanie des Territoires. Pas d’images sanguinaires, mais la banalité de l’humiliation palestinienne, exposée pour la première fois à Tel-Aviv, pour ceux qui ne vont jamais là-bas.

Par Jean-Luc ALLOUCHE

Tel-Aviv

omik, Mikha, Yonathan et Yéhouda reviennent d’une période militaire de plusieurs mois à Hébron ; certains de leurs camarades sont encore en service actif. Ils ont décidé de « briser le silence » (1), de montrer leurs photos souvenirs de soldats de 20 ans. Une soixantaine de clichés grand format, les uns quasi professionnels, les autres plus maladroits. Outre les photos, des vidéos de témoignages de soldats passent en boucle. Une collection de clés de voiture confisquées à des Palestiniens est pendue au mur. Celui-ci : « Ma mère saura enfin à quoi ressemble la casbah de Hébron... » Ou celui-là : « Je ne veux pas que vous fuyiez devant ce que je fais. »

Ils ne veulent pas parler à la presse étrangère ou sous couvert d’anonymat. Parce qu’ils se veulent d’abord « patriotes » et, surtout, parce qu’ils veulent tendre « un miroir à la société israélienne pour ce qui se commet en son nom dans les territoires occupés ». Ils ont invité le chef d’état-major, le commandant de la région Centre, le procureur militaire, mais ils ne sont pas venus. Seul le colonel Hen Livni, commandant adjoint du Nahal, le corps auquel ils appartiennent, a fait le déplacement. L’écho suscité par cette exposition a entraîné une réplique immédiate du porte-parole de l’armée : « Après les allégations des témoins [de cette exposition] sur des violences commises sur la personne et les biens des Palestiniens, une enquête de la police militaire est ouverte. Tsahal éduque ses soldats pour se conduire selon de hauts critères moraux (...). »

« Mais comment la meilleure éducation morale peut-elle résister à la réalité quotidienne de l’occupation ? Surtout à Hébron », s’insurge l’un d’eux. La cité d’Abraham, révérée par les musulmans et les juifs, qui compte 120 000 Palestiniens, est l’une des villes les plus violentes de Cisjordanie. Près de 1 200 militaires y assurent la sécurité de 600 colons retranchés dans l’ancien quartier juif de la ville, dont les habitants ont été massacrés et expulsés à plusieurs reprises dans les années 30. Ici, les colons sont les plus extrémistes, comme le proclament les nombreux graffitis sur les murs. « Tuez-les tous ! Dieu reconnaîtra les siens... » ou « Les Arabes à la chambre à gaz... », peut-on lire sur une arme ou un mur.

Les images ne sont pas sanguinaires, elles traduisent la banalité de l’humiliation quotidienne : contrôles d’identité, couvre-feu, murs suintant la haine des colons. Haine qu’on retrouve sur les murs de Cisjordanie et de Gaza, cette fois sous la main de Palestiniens. Pour autant, ces images sont exceptionnelles parce que les Israéliens, à moins d’être soldats ou colons, n’ont jamais l’occasion de les voir.

Les témoignages vidéo, eux, déroulent la routine de l’arbitraire, de l’impuissance, de l’ennui parfois, de l’indifférence qui s’installe, de la peur aussi : « Si j’étais un Arabe, peu m’importerait qu’un soldat ait été correct... Celui qui viendra, la prochaine fois, enfoncer ma porte ne le sera pas. » « Ce que j’ai compris, ce n’est pas que nous devons protéger les Juifs des Palestiniens, mais ces derniers des Juifs. » « Si j’avais été l’un des enfants humiliés par l’un de nos officiers, je n’en serais pas sorti pacifiste, mais extrémiste... » Femme enceinte empêchée de franchir un barrage, noce obligée de rebrousser chemin, familles évacuées de leurs maisons... La litanie de l’occupation. « Pour nous, il est important qu’une mère dont le fils va s’engager sache où il met les pieds. »
(1) « Breaking the Silence », Galerie de photographie géographique, 8, av. Hahaïl, Yad Eliahou, Tel-Aviv. Jusqu’au 25 juin.

http://www.liberation.fr/page.php?Article=213007