Accueil > La peur mange l’âme

de Fabrizio Violante traduit de l’italien par karl&rosa
Les rues des villes sont des parcours sans fin. Dans la bienheureuse condition du flâneur, c’est comme si tous les possibles pouvaient s’avérer.
À la station, je me laisse engloutir par le métro : la ville du dessus glisse lentement dans celle du dessous et dans l’étreinte des deux villes les parcours, les probabilités se multiplient encore. Je refais surface mais, arrivé à Beaubourg, le parcours s’interrompt : l’édifice, pensé comme une machine de la culture perméable, praticable dans toutes les directions, avec sa façade ouverte à la ville, marquée de la seule diagonale ascensionnelle des escaliers roulants présente aujourd’hui des accès fermés et un parcours d’entrée et de sortie obligatoire et guidé.
Des questions de sécurité imposent une longue file vers l’unique trouée gardée et contrôlée comme le check-up d’un aéroport. La ville a peur, et ce n’est qu’à l’intérieur, dans la grande exposition Dada - organisée dans un vaste espace subdivisé en cellules thématiques carrées et ouvertes aux angles, sans sens de visite obligatoire - que le parcours se réapproprie sa liberté.
La peur est le trait caractérisant notre époque, celle du terrorisme global et de la guerre permanente et la ville est son principal théâtre. Comme le ressent Paul Virilio, "la ville devient la caisse de résonance de toutes les peurs", elle est "la cible de toutes les terreurs". L’obsession urbaine de la sécurité, la peur des délits - qui est de toute façon indépendante de leur cours réel - ont comme conséquence directe la bunkérisation des espaces de la ville, la surveillance croissante des lieux publics - et donc leur réduction continuelle - et le développement de plus en plus important de ce qu’on appelle les gated communities qui marquent le retour à la ville fermée, l’affirmation d’un nouveau modèle de véritable apartheid urbain.
Ceux qui peuvent se le permettre s’isolent dans des quartiers résidentiels fermés, enclaves que protègent des barrières infranchissables, des caméras de télévision et des équipes de surveillance privées ainsi que de stricts règlements intérieurs. Ces villes privées, fondées sur la surveillance et la distance - où, comme le souligne Zygmunt Bauman, "la clôture sépare le ghetto volontaire des arrogants de ceux, nombreux, qui sont condamnés à n’avoir rien" - sont au nombre de plus de vingt mille dans les seuls Etats-Unis avec une population qui dépasse les huit millions d’habitants, séduits par des campagnes publicitaires qui promettent "un monde plus parfait".
Le sentiment d’insécurité diffus est un phénomène non seulement urbain mais aussi essentiellement lié aux médias puisque ce sont les organes de communication qui alimentent et diffusent la peur. C’est ainsi que le thème de la sécurité est devenu, depuis les années 90, le thème principal de nombreuses campagnes politiques empreintes de contrôle et de répression. L’idée même de la guerre préventive a été justifiée aux yeux de l’opinion publique par la peur d’une éventuelle attaque chimique et le fait que ce danger ne se soit ensuite avéré être qu’un triste montage de toutes pièces est une nouvelle démonstration du fait que la peur est un excellent système de conditionnement.
En effet, le capital de la peur se traduit en profit non seulement politique mais aussi et surtout commercial : la publicité exploite massivement le besoin de sécurité induit pour augmenter les ventes. Un exemple en est la diffusion des SUV, vantés sur le marché, nord-américain surtout, comme indispensables à affronter les dangers de la vie urbaine.
En somme, l’information administre et stimule constamment la peur et "la ville contemporaine porte désormais clairement les signes de cette peur diffuse dans l’organisation et dans les modalités d’utilisation des espaces, dans les formes architecturales, dans la culture et dans les comportements quotidiens" (Giandomenico Amendola). Mais les systèmes de contrôle et les barrières défensives qui maintiennent les étrangers dehors, et avec eux les éventuels dangers - au nom du comfort extrême, la sécurité intérieure - créent des communautés blindées socialement homogènes qui marquent la désintégration de la démocratie dans les espaces publics, en laissant l’uniformité alimenter le conformisme et, donc, l’intolérance.
Alors, la peur ronge l’âme véritable et le caractère le pus stupéfiant de la ville, cohabitation - non indolore, certes - de routine et de surprise. Ecoutons Bauman : "la tendance à se retirer des espaces publics pour se réfugier dans des îles d’uniformité finit par devenir l’obstacle le plus grand à la possibilité de vivre avec la différence, faisant ainsi se flétrir dialogues et négociations. Avec le temps, l’exposition à la différence devient le facteur décisif d’une cohabitation heureuse, le facteur qui fait se dessécher les racines urbaines de la peur".
Messages
1. > La peur mange l’âme, 25 avril 2006, 15:50
DEUX PROVERBES :
1) La peur n’évite pas le danger !
2) Vas où tu veux, meurs où tu dois !
Amicalement
Michèle