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"Les photos sont choquantes, mais nos rapports sont pires", accuse la Croix-Rouge

Publie le samedi 8 mai 2004 par Open-Publishing
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Le Comité international de la Croix-Rouge (CICR) sait depuis longtemps qu’il se passe "des choses pires que sur les photos" dans la grande prison d’Abou Ghraib, à l’ouest de Bagdad. "Nous n’avons pas besoin de photos pour savoir ce qui s’y passe et c’est inacceptable", dit la porte-parole du CICR, Antonella Notari. Selon elle, le CICR avait déjà fait, "dans un premier temps", plusieurs rapports et des recommandations aux autorités américaines et britanniques sur place et, "dans un deuxième temps", à leurs supérieurs à Washington et à Londres.

"Les photos sont certes choquantes, mais nos rapports sont pires", dit Mme Notari qui refuse toutefois de préciser le contenu des rapports, conformément à la pratique habituelle du CICR. C’est le prix à payer, selon elle, pour des visites "impromptues et régulières" toutes les cinq à six semaines à la prison d’Abou Ghraib depuis que les prisonniers irakiens s’y trouvent, en octobre 2003.

"Nous le savions et nous avions dit aux Américains que ce qui se passe à Abou Ghraib est répréhensible". Mme Notari nie catégoriquement les déclarations de la générale Janis Karpinski, commandante depuis juin des unités en charge des prisons en Irak, selon lesquelles les "hommes du renseignement militaire" auraient empêché que les détenus du bloc 1A, où ont été pratiquées les tortures, soient présentés aux délégués du CICR. "Nous ne sommes pas des naïfs, rétorque Antonella Notari, nos délégués sont extrêmement expérimentés et ils parlent à beaucoup de gens à l’intérieur de la prison, nous finissons toujours par savoir la vérité, dans toutes les prisons du monde, et la vérité à Abou Ghraib est choquante."

"MESSAGE PRÉVENTIF"

Le CICR demande que les exactions commises à l’encontre de prisonniers irakiens soient punies par la justice. "Quand il y a des informations sur la torture, des sanctions doivent être prises très vite, c’est extrêmement important, cela responsabilise les personnes qui ont la charge des prisonniers et envoie un message préventif très clair aux autres."

Selon ses délégués, si le CICR est resté "très discret" sur les abus, c’est parce que ses rapports "ont été pris extrêmement au sérieux" par les Américains. Les relations entre les Etats-Unis et le CICR sont plus compliquées sur la base navale de Guantanamo. Le refus "persistant" des Etats-Unis de respecter les conventions de Genève sur les prisonniers de guerre avait même conduit, pour la première fois, le CICR à dénoncer publiquement "l’illégalité" des détentions arbitraires des 600 prisonniers qui s’y trouvent.

Depuis la chute du régime baasiste en avril 2003, le CICR a enregistré plus de 11 000 prisonniers irakiens en Irak, dont un certain nombre ont été libérés depuis. Selon l’organisation, dans la prison d’Abou Ghraib se trouvent deux catégories de prisonniers, des anciens combattants de l’armée de Saddam Hussein, qui ont le statut de prisonniers de guerre, et des civils internés "pour différentes raisons" mais à qui s’appliquent également des conventions de Genève dont le CICR est depuis 1949 le gardien. Le CICR se concentre sur "les prisonniers les plus exposés à savoir ceux qui sont détenus pour raisons de sécurité". Le fait que la coalition ait utilisé la prison d’Abou Ghraib a "beaucoup choqué le peuple irakien", dit Antonella Notari, "car cette prison était connue pour les atrocités que le régime de Saddam Hussein y commettait".

LES ONG AUSSI...

L’ONU aussi se mobilise timidement. Mardi 4 mai, le Haut- Commissariat pour les droits de l’homme a nommé "un expert indépendant" pour enquêter sur les violations commises par les belligérants en Irak. Le juge islandais Jakob Moller est chargé de conduire "un exercice d’évaluation". Son mandat et ses moyens restent à définir. Une des voix les plus fortes sur les abus en Irak pourrait être celle de Theo van Boven. Personnalité respectée des défenseurs des droits de l’homme, ce magistrat hollandais est rapporteur spécial de l’ONU sur la torture. Dans un communiqué, mardi, il a demandé "une enquête, des poursuites et des sanctions" ainsi qu’une réparation aux victimes de ces violations.

Les organisations non gouvernementales aussi multiplient les dénonciations. La Fédération internationale des droits de l’homme a déjà interpellé le gouvernement suisse, en tant que dépositaire des conventions de Genève, lui demandant de réunir une conférence internationale pour, selon son secrétaire général, Antoine Bernard, "trouver des solutions aux violations du droit international humanitaire commises en Irak". Human Rights Watch a demandé que l’enquête soit étendue à "des autorités supérieures" afin de savoir "si elles ont ordonné ou tolérer ces abus, qui sont peut-être des crimes de guerre".

Afsané Bassir Pour

Ce que dit la 3e convention de Genève

L’article 13 de la 3e convention de Genève du 12 août 1949 stipule que "les prisonniers de guerre doivent être traités en tout temps avec humanité" et qu’ils ne peuvent pas être soumis à des traitements dangereux, humiliants ou dégradants. Ils doivent être protégés "contre tout acte de violence ou d’intimidation, contre les insultes et la curiosité publique".

L’article 14 précise que "les prisonniers de guerre ont droit en toutes circonstances au respect de leur personne et de leur honneur".

L’article 17 souligne que les prisonniers qui refusent de répondre aux questions "ne pourront être ni menacés, ni insultés, ni exposés à des désagréments ou désavantages de quelque nature que ce soit", et a fortiori à "aucune torture physique ou morale ni aucune contrainte" pour leur arracher des renseignements.

Cette 3e convention définit précisément les prisonniers de guerre. Il s’agit :

 des membres des forces armées d’une partie au conflit, de même que des membres des milices et des corps de volontaires faisant partie de ces forces armées ;

 des membres des autres milices et des autres corps de volontaires, appartenant à une partie au conflit et agissant en dehors ou à l’intérieur de leur propre territoire, même si ce territoire est occupé, et remplissant les conditions suivantes : avoir à leur tête une personne responsable, avoir un signe distinctif et reconnaissable à distance, porter ouvertement des armes, se conformer aux lois et coutumes de la guerre ;

 de la population d’un territoire qui, à l’approche de l’ennemi, prend spontanément les armes pour combattre les troupes d’invasion sans avoir eu le temps de se constituer en armée régulière.

Amnesty parle de torture "régulière"

Dans un entretien accordé à l’agence Global Viewpoint, Irene Kahn, secrétaire générale d’Amnesty International, accuse l’armée américaine présente en Irak d’avoir eu recours "régulièrement à des méthodes telles que la privation de sommeil, l’humiliation et le genre de mauvais traitements montrés dans les photos" de détenus de la prison d’Abou Ghraib rendues publiques par CBS. Pour cette organisation de défense des droits de l’homme, cela constitue des actes de "torture" telle qu’elle est définie par le droit international. "A l’évidence, ce n’étaient pas des incidents isolées", ajoute-t-elle. La porte-parole indique qu’"entre avril et juillet"2003, de nombreux anciens prisonniers d’Abou Ghraib et du Camp Cropper, fermé depuis, avaient témoigné avoir subi ces traitements auprès d’Amnesty International. "J’ai écris à Paul Bremer, l’administrateur américain en Irak, en juillet pour attirer son attention sur ces accusations de torture", explique Mme Kahn. "On nous a dit que l’armée avait vérifié, et que ce n’était rien."

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