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Lula propose au G8 un fonds mondial contre la faim

Publie le jeudi 29 mai 2003 par Open-Publishing

http://www.lemonde.fr/article/0,5987,3220--321813-,00.html

Invité au sommet des pays les plus industrialisés, le chef d’Etat brésilien demandera de taxer les ventes d’armes ou d’utiliser le remboursement de la dette des pays pauvres pour financer un programme d’éradication de la faim. Il se veut le porte-parole d’une Amérique latine sinistrée.

Brasilia de notre correspondant

Issu d’une famille de paysans pauvres, Luiz Inacio Lula da Silva a fait

de la lutte contre la faim l’un de ses chevaux de bataille. Inscrite comme action prioritaire de son gouvernement, par le biais du programme "Faim zéro" qui prévoit d’éradiquer le fléau en quatre ans de mandat, le président brésilien veut maintenant en faire une revendication "globale" sur la scène internationale.

M. Lula da Silva l’a fortement répété au cours d’un entretien, le premier accordé à des journalistes depuis son investiture le 1er janvier 2003, avec la presse étrangère (El Pais, The New York Times, Financial Times, Welt am Sonntag, Yomiuri Shimbun, la télévision portugaise et Le Monde), qui s’est déroulé, mardi 27 mai, au palais du Planalto à Brasilia.

"Parmi les financements possibles, on peut envisager le prélèvement d’une taxe sur les ventes d’armes", a proposé le chef de l’Etat à propos du projet de fonds mondial contre la faim qu’il défendra au sommet du G8 à Evian, où il sera l’un des invités représentant les pays en voie de développement.

Fin janvier, M. Lula da Silva avait fait sensation en se rendant successivement à Porto Alegre, la ville brésilienne organisatrice des trois premières éditions du Forum social mondial, puis à Davos, siège de son contrepoint, le Forum économique mondial des "décideurs". Devant un parterre de banquiers et de chefs d’entreprise réunis dans la station touristique helvétique, l’ancien leader syndical des métallos de Sao Paulo avait déjà plaidé en faveur d’une mobilisation générale contre la misère.

S’il n’est certes plus officiellement question de relancer le débat sur la taxation des transactions financières, la "taxe Tobin" chère aux militants de "l’autre mondialisation" dont Porto Alegre est devenu le port d’attache, l’idée d’œuvrer pour la création d’un fonds mondial contre la faim suit cependant son chemin à Brasilia.

Le versement d’une partie du service de la dette extérieure des pays les plus pauvres figure également au nombre des suggestions brésiliennes, qui seront évoquées à Evian, concernant la constitution de son capital.

Le fondateur du Parti des travailleurs (PT) est "tout à fait conscient du symbolisme résultant de l’élection d’un tourneur mécanique à la présidence d’un pays comme le Brésil". Prêt à "prendre (ses) responsabilités dans le mouvement historique" qu’il incarne et qui "dépasse les frontières du Brésil", il veut donc se conduire en porte- parole d’une Amérique latine sinistrée.

"Après cinquante ans de guerre froide et une décennie de néolibéralisme, marquée par les ajustements fiscaux préconisés par le Fonds monétaire international (FMI), il faut se rendre compte, précise- t-il, qu’il n’y a pas d’autre solution viable qu’une nouvelle dynamique d’investissements." Et de citer en exemple l’Espagne, le Portugal et la Grèce, dont le décollage économique a été financé par l’Union européenne.

CONTRE LE PROTECTIONNISME

"Les pays industrialisés, souligne-t-il, ont tout intérêt à promouvoir la croissance dans les pays en développement, car ces derniers représentent des débouchés potentiels pour leurs exportations. C’est la meilleure manière de combattre le terrorisme, la contrebande, le narcotrafic et le crime organisé." Avec un taux d’épargne qui n’atteint plus que 17 % du produit intérieur brut (PIB), le Brésil dépend plus que jamais des capitaux étrangers pour relancer une économie guettée par la récession.

Le leadership régional du Brésil a été récemment conforté tant au cours de la réunion du Groupe de Rio à Cuzco (Pérou), que lors de la cérémonie d’investiture du nouveau président argentin, Nestor Kirchner, favorable en politique étrangère au renforcement prioritaire du Mercosur (le marché commun associant le Brésil, l’Argentine, l’Uruguay et le Paraguay).

A ce titre, M. Lula da Silva mène aussi l’offensive contre le protectionnisme et les subventions agricoles des pays riches. Il en sera d’autant plus question au sommet du G8, tout au moins en coulisses, que le Brésil est engagé en première ligne sur un double front.

Au sein du Mercosur, le Brésil négocie, fort de son rôle de puissance agricole de premier plan, un accord de libre échange avec l’Union européenne. Simultanément, il copréside avec les Etats-Unis les pourparlers sur la Zone de libre-échange des Amériques (connue sous le sigle ALCA), qui devrait englober, à l’horizon 2005, tous les pays du continent à l’exception de Cuba.

Or, à Brasilia, cette échéance est jugée de plus en plus "irréaliste" en raison de la décision de Washington de s’en remettre aux futures décisions de l’Organisation mondiale du commerce (OMC) sur l’épineux dossier du commerce agricole.

A une ALCA semée d’embûches, le Brésil préfère dorénavant un accord Mercosur-Etats-Unis. C’est le message qui a été transmis à Robert Zoellick, le représentant américain pour le commerce, pendant la visite de deux jours qu’il a effectuée à Brasilia avant le départ du président brésilien pour Evian. Un tête-à-tête entre M. Lula da Silva et George Bush est d’ailleurs programmé le 20 juin à Washington. "Je dois apprendre à vivre avec Bush. Je ne peux pas lui demander de devenir ce qu’il n’est pas, et vice versa", dit le président brésilien.

Féru de ballon rond, le chef d’Etat se plaît à comparer l’art de gouverner à celui de diriger une équipe de football. "Les entraîneurs aiment bien discuter entre eux, dit-il, mais ils veulent tous gagner." Autrement dit, les accords en cours de négociations ne peuvent aboutir que s’ils correspondent à des intérêts bien partagés.

Soucieux de pousser ses pions sur l’échiquier international, M. Lula da Silva va accessoirement mettre à profit son voyage à Evian pour tenter d’obtenir, dans le cadre d’une éventuelle réforme des instances des Nations unies, des appuis supplémentaires - il a déjà obtenu celui de la France - en faveur de la candidature brésilienne à un poste de membre permanent au Conseil de sécurité.

Jean-Jacques Sévilla