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Manifestation du 2 octobre ou les manoeuvres de l’intersyndicale

Publie le lundi 27 septembre 2010 par Open-Publishing
4 commentaires

Les manifestations du 23 septembre (en tout cas à Grenoble) étaient tendues vers une unique question : et maintenant ? Encore traumatisé-e-s par la séquence des luttes du premier semestre 2009 qui avait vu les principales centrales syndicales épuiser le mouvement dans des journées de grève « saute-mouton » dont l’épilogue fut un très triste 1er mai et la déroute orchestrée du 13 juin, échaudé-e-s par l’expérience de 2003 durant laquelle la CFDT, fidèle à son inclinaison collaborationniste, choisit le pouvoir contre les intérêts des salariés, les militant-e-s redoutent la duplication de scénarios similaires. Et franchement, ils n’ont pas complètement tort ! Le contenu du communiqué de l’intersyndicale publié le 24 septembre ne comporte en effet aucun argument susceptible d’atténuer voire de lever leurs craintes. Rédigé dans le pur style bureaucratique et sans qu’aucune des 6 confédérations n’ait pris le temps de consulter « sa base », sa lecture attentive révèle trois éléments importants.

Premièrement, il réaffirme les termes de la lettre ouverte à Sarkozy et aux parlementaires selon lesquels « le vote de ce projet dans sa logique actuelle n’est pas d ’actualité ». Outre sa syntaxe approximative, cette formulation signifie que les 6 confédérations entendent négocier sur les bases ou dans les limites du projet de loi puisqu’elles n’en demandent pas le retrait, même pas implicitement. A partir de là, le mouvement social n’est requis uniquement, pour reprendre le jargon technocratique, que pour « faire bouger les lignes » ou « déplacer le curseur » sur les questions de la pénibilité, des carrières longues, de la situation des femmes, voire pour les plus optimistes de l’âge légal, mais sans toucher à l’économie générale du projet qui consiste, pour le dire une fois encore, à accroître la part du profit dans la richesse créée.

Deuxièmement, le communiqué ne contient pas la moindre référence au MEDEF, alors que les « champions » du CAC 40 sont les instigateurs réels du projet de loi. Point de négligence à cet égard, mais une conséquence logique de la manière dont l’intersyndicale s’interdit de poser le problème, pourtant crucial, de la durée de cotisation. Ou, pour le dire autrement, son refus obstiné de porter la question des retraites au niveau où elle devrait l’être : celui de la répartition des richesses et de la désétatisation de la sécurité sociale. En demeurant volontairement prisonnière du terrain sur lequel le gouvernement et le MEDEF l’ont entraînée, l’intersyndicale veut priver les salariés des cadres de « pensée » adéquats à leurs luttes. Dans son « Art de la guerre » Sun Tzu démontrait que rester sur le terrain de l’adversaire, c’est déjà admettre sa défaite. Par ailleurs, une telle position stratégique permet aux aigrefins de la politique institutionnelle, particulièrement le pS, de se refaire à bon compte une virginité, tout en maintenant intacte leur référence centrale à l’économie de marché.

Troisièmement, la journée du 12 octobre est conditionnée au calendrier et aux débats parlementaires. Le communiqué, dans une formule très jésuitique, retient que « cette journée trouvera toute sa place pour amplifier la mobilisation dans le cas où les parlementaires ne prendraient pas en compte ce qui s’est exprimé dans l’action et si le gouvernement restait intransigeant » . Cette « clause » conditionnelle est le meilleur moyen de désarmer préventivement le mouvement. Les caciques UMP du sénat, en service commandé, ont bien compris le message. Larcher président de la « haute assemblée » et Longuet, ex rejeton de l’extrême droite, actuellement président du groupe UMP ont annoncé que les sénateurs s’emploieraient à gommer les injustices les plus flagrantes contenues dans le projet de loi, notamment en matière de pénibilité et de carrière longue. Dans le même temps, à la CFDT et à la CGC , des voix se font entendre pour flatter « la plus grande indépendance des sénateurs » à l’égard de l’exécutif relativement à leurs homologues du palais Bourbon. En écho aux propos des sénateurs, les tracts les plus récents de la CFDT (ceux diffusés ce matin) parlent de « la nécessité d’une autre réforme », ajoutant que « le système d’après guerre est en effet en complet décalage avec la société actuelle », pour finir par ce cri du coeur « comment le gouvernement peut-il vouloir boucler le financement du système sans prendre en compte la situation actuelle des femmes, la pénibilité de certains emplois... ». Ainsi Chérèque, avec la bienveillance des autres secrétaires confédéraux, dont Bernard Thibault, est en passe, si nous le controns pas, de réussir son pari : faire avaliser un processus de régression sociale sans précédent, tout en permettant aux appareils syndicaux de perdurer dans le jeu institutionnel de la représentation policée et parfois policière du mouvement social. Ce scénario cousu de fil blanc n’est cependant pas l’exacte copie de celui de 2003, puisque il pourrait cette fois signifier, après des décennies d’incertitude, la victoire sans doute provisoire du syndicalisme d’accompagnement (Thibault dirait de propositions, d’autres dont je suis parlent plus volontiers de syndicalisme de soumission et d’acceptation) sur le syndicalisme de lutte de classes. Or pour ce syndicalisme là, les luttes sont définitivement considérées comme des instruments au service exclusif de stratégies dont la caractéristique est l’abandon de tout idée construite d’émancipation (définitivement, contrairement à la situation de la CGT où la tension entre instrumentalisation et dynamique autonome des luttes, qui a traversé toute son histoire avec toutefois une prévalence pour le premier terme, reste par chance encore assez vive en dépit des efforts de la direction pour l’éradiquer).

C’est à l’articulation de ces trois éléments qu’il faut considérer cette « sublime » proposition de l’intersyndicale d’organiser une grande manifestation le samedi 2 octobre.
L’argument pour la justifier est connu : élargir le mouvement en donnant la possibilité à celles et ceux qui ne peuvent se mettre en grève d’y participer. Argument d’une très grande faiblesse, car il fait l’impasse sur sur les millions de salariés (de l’industrie, des commerces, des services, du BTP, etc.) qui travaillent les samedis.
La vérité de cette proposition est ailleurs.
 D’une part, elle est dans la volonté de l’intersyndicale de sortir le mouvement social des ateliers, des bureaux, des services, c’est à dire des lieux où s’initient les analyses et les débats, où se construisent collectivement les contenus et les formes de la lutte, où se nouent les solidarités de combat. C’est là et seulement là que peut se former l’exigence d’une radicalisation de l’action. Et c’est précisément cette possibilité qui fait frémir les directions syndicales : perdre le contrôle du mouvement et avec lui, la légitimité institutionnelle que la bourgeoisie leur consent. Aussi, pour en prévenir le risque potentiel, elles ont choisi la diversion de la déambulation des anonymes solitaires. Qu’ils soient nombreux ou pas ne changera rien à l’affaire : ils seront des « individus » sous contrôle et instrumentalisés.
 D’autre part, elle est dans la date de cette déambulation qui n’est pas choisie au hasard. A trois jours de l’examen par le sénat du projet de loi et suffisamment éloignée de la « fantomatique » journée du 12 octobre, elle soumet volontairement le devenir du mouvement à l’appréciation que portera l’intersyndicale sur le « travail » des sénateurs. Or, pour les centrales syndicales les plus « réformistes » -CFDT, CGC, CFTC et sans doute UNSA – le jugement est déjà quasiment rendu : mesuré mais globalement positif. La journée du 2 octobre en constituera l’alibi : un succès, ils feront croire que la mobilisation a payé ; un échec, même relatif, ils affirmeront que compte tenu du faible niveau de mobilisation ce qui a été « obtenu » n’est pas si mal. Mais dans tous les cas, ils appelleront à y mettre un terme. Merveilleux tour de passe-passe !

La manipulation est patente, le piège connu. Comment l’éviter ? Sûrement pas en focalisant notre attention et notre énergie sur le 2 octobre ou en lançant, comme s’y résignent sans grande conviction certain-e-s camarades, des appels volontaristes à sa réussite. La seule voie praticable qui nous reste pour déjouer les plans de Chérèque et mettre en échec le gouvernement est celle de la radicalisation du mouvement par la généralisation des grèves reconductibles. A l’instar de ce qu’ont entrepris de nombreux syndicats de base de la CGT et de quelques UD, elle passe par l’ancrage du mouvement dans les usines, les ateliers, les bureaux, par la systématisation des AG et de la consultation des travailleurs. Cette stratégie requiert la mobilisation, l’engagement et la détermination dans l’unité de tous les militant-e-s. Alors ne nous laissons pas abuser par les faux-semblants et les manoeuvres de l’intersyndicale. Le temps presse !

Fabrice Sacher
Saint-Martin d’Hères
Militant de la CGT

Messages

  • La manipulation est patente, le piège connu. Comment l’éviter ? Sûrement pas en focalisant notre attention et notre énergie sur le 2 octobre ou en lançant, comme s’y résignent sans grande conviction certain-e-s camarades, des appels volontaristes à sa réussite. La seule voie praticable qui nous reste pour déjouer les plans de Chérèque et mettre en échec le gouvernement est celle de la radicalisation du mouvement par la généralisation des grèves reconductibles. A l’instar de ce qu’ont entrepris de nombreux syndicats de base de la CGT et de quelques UD, elle passe par l’ancrage du mouvement dans les usines, les ateliers, les bureaux, par la systématisation des AG et de la consultation des travailleurs. Cette stratégie requiert la mobilisation, l’engagement et la détermination dans l’unité de tous les militant-e-s. Alors ne nous laissons pas abuser par les faux-semblants et les manoeuvres de l’intersyndicale. Le temps presse !

    Oui la manipulation est patente comme tu dis.

    Oui la date du 12 est POURRIE et OUI cela aurait du être plus tôt (comme il en était initialement question, à savoir le jeudi suivant le samedi 2) - MAIS rien ne dit cependant que nous serions OBLIGES d’attendre le 12 d’une part (compte tenu des infos que je vois circuler, je pense qu’il y aura d’autres manifs bien avant le 12 et des grèves aussi !!)

    Et d’autre part, NON je ne vois toujours pas quoi en quoi le samedi 2 octobre, compte tenu de l’état REEL (et non fantasmé) de nos forces SUR LE TERRAIN, ne serait pas une date à saisir. Justement pour que, du 2 au 12 on ait de quoi mettre une énorme gifle à celles et ceux qui veulent nous enterrer.

  • Il faut aussi voir l’avantage énorme d’une journée de grève le samedi : impossible à personne de raler sur les manifestants parce qu’ils "prendraient en otage" ou qu’ils font chier le monde...
    C’est ce que les médias et beaucoup de non-grévistes répètent quand il y a une grève en semaine. Et c’est vraiment dommage de se mettre les gens à dos alors qu’il faut les rallier.
    Du coup c’est l’occasion de montrer aussi à ces gens que les manifestants ne sont pas là pour emmerder le monde mais pour défendre leurs idées.
    Et je pense que c’est très très important...

  • Je partage complètement cette analyse très fine ainsi que la proposition de radicalisation du mouvement par des grèves reconductibles.

  • Je tiens à signaler que la confédération Force Ouvrière n’a pas signé le communiqué
    de l’intersyndicale puisque les autres confédérations refusent d’avancer le mot d’ordre "retrait du plan Sarkozy-Fillon-Woerth" et refusent d’appeler à la grève interprofessionnelle visant à bloquer le pays.