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Militer n’est pas un délit, militer est un crime.

Publie le samedi 26 juillet 2003 par Open-Publishing

La police genevoise diffusait, hier, 40 photos de jeunes casseurs
anti-G8 présumés sur son site Internet. Selon des juristes, elle viole
ainsi la présomption d’innocence et le droit à la protection des mineurs.

Près de deux mois après les événements du G8, les forces de l’ordre
genevoises faisaient appel, hier, au sens civique de la population à
l’encontre des fauteurs de troubles. Sens civique que certains
interprètent comme un appel à la délation. Or, en publiant sur son site
Internet les photos d’une quarantaine de casseurs présumés, qualifiés de
criminels, la police genevoise « viole la présomption d’innocence »,
estiment certains juristes.

« L’atteinte à la personnalité des gens doit être proportionnée aux
circonstances. Elle pourrait se justifier pour un crime. Or, dans ce cas,
nous n’avons eu affaire qu’à de simples délits », constate Me François
Membrez. Le dommage à la propriété et la participation à une émeute,
principales infractions retenues à l’encontre des casseurs, sont des
délits et non des crimes. Pour l’avocat genevois, le principe de la
proportionnalité n’est pas respecté. Et la présomption d’innocence,
obligeant les autorités à respecter l’anonymat d’une personne soupçonnée
d’infraction, est violée.

C’est pourtant en s’appuyant sur le principe de proportionnalité que le
juge d’instruction a officiellement autorisé la démarche de la police. « Il
s’agit d’un simple calcul entre des infractions qui se doivent d’être
poursuivies et la protection de la sphère privée », argumente Stéphane
Esposito. Pour le juge d’instruction, la protection des données est toute
relative : « Les gens savaient qu’ils étaient filmés. » Dans ce cas et face à
des événements d’une telle ampleur, les besoins de l’enquête priment,
estime le magistrat.

LA JUSTICE, PAS LA POLICE

D’après le porte-parole de la police, les enquêteurs seraient par ailleurs
en possession de preuves confirmant la culpabilité des individus.
Cependant, au nom de la confidentialité de l’enquête, Jacques Volery n’est
pas en mesure de diffuser des informations plus précises sur ces preuves.

Au-delà de la présomption d’innocence se pose le problème de la protection
des mineurs. Sur les 32 arrestations qui ont eu lieu après les événements
du G8, 23 concernaient des mineurs. M. Volery confirme que, sur le nombre
de portraits diffusés, la plupart sont des adolescents.

« Le droit des mineurs stipule que la procédure doit rester secrète »,
commente l’avocat Vincent Spira. En effet, la Loi genevoise sur les
juridictions pour enfants et adolescents stipule que « l’information a lieu
à huis clos. Il est interdit d’en rendre compte. Exceptionnellement, le
juge peut envoyer un communiqué à la presse sans aucune révélation
d’identité. »
La police invoque la nécessité de résultats concrets et rapides

M. Volery révèle que, une heure après la diffusion des portraits sur le
site, la première identification avait lieu. La police prévoit d’utiliser
une deuxième série de photos plus tard, si l’expérience se montre
fructueuse. Par ailleurs, le juge d’instruction ne cache pas que la
méthode pourra être utilisée dans d’autres circonstances, comme dans des
cas de vols.

Me Spira s’en inquiète : « Le risque est évidemment d’impliquer des gens qui
n’y sont pour rien. Il ne revient pas à la police de juger, mais au
tribunal de décider si une personne est un criminel ou non »,
commente-t-il.

« Combien de fois, dans des procédures pénales, les accusations portées sur
la base de photos et de films n’aboutissent à rien ! Il faut savoir rester
modeste. »
Face à ces pratiques, la marge de contestation est minime. La seule
possibilité légale de réagir reste le dépôt d’une plainte pénale
individuelle. Mais les espoirs de réussite sont minimes.

« Tout le débat aura lieu sur l’équilibre des biens en présence, à savoir
les intérêts de la personne d’un côté, l’intérêt public de l’autre. Pour
celui qui dépose une plainte, il s’agit d’un véritable parcours du
combattant », prévient Me Spira.

VIRGINIE POYETTON