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Retour sur la Lettre de Guy Môcquet
Publie le mercredi 30 avril 2008 par Open-Publishing10 commentaires

de Bernard Gensane
Voilà plusieurs semaines que je tourne autour d’un mot terrible, d’un concept qu’on ne saurait manipuler à la légère. J’ai testé ce vocable, oralement, sur quelques proches qui n’ont pas paru scandalisés. Mais, jusqu’à ce jour, je n’avais osé l’utiliser dans un écrit.
Je me lance : je considère que nous vivons aujourd’hui, en France, en dictature. Il ne s’agit pas d’un régime à la Pinochet, à la Kim Il Sung ou, plus proche de nous, à la Franco, avec son armée, sa Guardia Civil et ses curés. Non, il s’agit d’une dictature de l’argent. Dans le monde entier, les puissances d’argent, les milieux financiers exercent un pouvoir sans partage. Ils tiennent tout, y compris, bien évidemment, les grands médias.
Chez nous, la droite et la gauche institutionnelles cautionnent, depuis bientôt trente ans, un état de fait où la parole démocratique ne peut pratiquement plus se faire entendre et où les pratiques démocratiques ne sont que des simulacres. Ce qui se passe avec Sarkozy n’est pas fondamentalement différent de ce qui se passait sous Chirac ou Mitterrand. Disons que nous avons opéré un saut quantitatif et qualitatif, au sens où tous les espaces publics et privés sont désormais rembougés, farcis par le discours dominant.
C’est dans cette optique qu’il faut comprendre l’initiative de la lecture de la lettre de Guy Môquet. Pour qu’une idéologie dominante domine parfaitement, il faut qu’elle éradique, qu’elle tue ce qu’il reste de l’idéologie dominée et qu’elle se fasse oublier en tant qu’idéologie. Comme il n’est pas question, dans une démocratie formelle, de censurer au sens propre du terme, de violenter physiquement les citoyens, il suffit à la classe dominante de déplacer tous les débats politiques ou, mieux encore, de les vider de leur substance.
C’est ici qu’intervient la communication. Il y a bien longtemps que les entreprises, les stars, mais aussi les administrations, les pouvoirs publics et, bien souvent, les médias, n’informent plus : ils communiquent. La différence entre l’information et la communication est que cette dernière substitue la forme au fond. En outre, celui qui informe travaille pour les autres. Celui qui communique travaille pour lui. C’est pourquoi la communication, qu’il s’agisse de publicité ou de tout autre message, est mensonge. Ainsi, lorsqu’il y a une grève dans les transports publics, l’accent est mis sur le spectaculaire, l’immédiat, c’est-à-dire la « grogne des usagers ». Notez que, dans ce cas précis, la classe dominante redécouvre des usagers qu’elle avait perdus de vue depuis qu’elle a privatisé à tour de bras et qu’elle considère tous les citoyens comme des clients. Notez également que les usagers, tout comme les travailleurs en lutte d’ailleurs, « grognent ». En d’autres termes, ils n’expriment pas une parole, un dit, mais un bruit de gorge, le contraire d’un discours élaboré.
Pour prendre un autre exemple, très révélateur du simulacre de la vie politique, lorsque le Président de la République se rend dans une usine pour exprimer sa sympathie aux travailleurs (dans le meilleur des cas), il se contrefiche des accidents du travail, de l’amiante, des horaires insupportables, des données qu’on ne peut traiter que dans la durée, et politiquement. Il fait semblant, pour un instant fugace, d’être proche des travailleurs. Il n’est intéressé que par l’image que l’on retiendra, tout aussi fugacement, de sa démarche. Gouverner, pour Sarkozy, c’est imposer l’omniprésence d’une forme. La boîte à images doit être alimentée une ou deux fois par jour. D’où la création, la mise en scène de pseudo-événements, l’insistance sur la psychologie, l’émotion aux dépens des structures et des superstructures. Pourquoi, aujourd’hui, le public est-il extrêmement maigrelet autour du tombeau de Lady Di ? Parce que, quelle qu’ait pu être la valeur personnelle de la princesse, elle ne fut qu’image. Et une image disparaît avec son support.
Si Nicolas et Cécilia Sarkozy ont voulu, pendant des années, vivre dans la lumière, ce n’est pas par narcissisme personnel, mais bien parce que, pour eux et les leurs, il fallait créer en permanence du simulacre. « Gouverner, c’est faire croire », disait Hobbes. Le sarkozysme est une théorie de l’apparaître, puis du paraître. Le sarkozysme, c’est le déplacement de l’idée hors du temple pour que la frontière entre l’intime et le public soit éradiquée afin que la dépossession soit confondue avec les passions secrètes des victimes du simulacre et du système. Le sarkozysme, c’est la mécanisation par la simplification de la pensée des individus et des groupes. La victoire de Sarkozy doit beaucoup à vingt ans de privatisation de TF1, la plus grande entreprise de crétinisation d’Europe, selon l’aveu même de ses dirigeants. Le sarkozysme, c’est un pouvoir qui existe avant tout par la représentation que l’on en a, quand son héros et sa propre fiction ne font plus qu’un. Le sarkozysme, c’est la perte des repères, avec pour seul motif le discours clos de sa propre prédication. Sarkozy sur le yacht de Bolloré ou faisant semblant de faire du vélo avec Virenque (il fait semblant, c’est un vrai cycliste qui vous l’affirme), c’est comme du divin qui serait redescendu sur terre. Le sarkozysme, c’est un ensemble de signes flottants qui, en surface, ne dénotent aucune réalité.
La geste sarkozyenne (courir en compagnie de Kouchner dans un maillot de la police new-yorkaise) est épuisée par son autosuffisance. Lorsque je regarde courir Sarkozy, je regarde – à proprement parler – rien. L’image du coureur est son propre référent. Nous sommes alors dans un monde dénaturé qui a pris sa revanche contre la Renaissance ou l’esprit des Lumières, là où les sentiments et les instincts (la chasse aux immigrés) l’emportent sur la raison, là où l’intuition et une présentation des choses binaire, manichéenne remplacent l’argumentaire (« je vais vous débarrasser des racailles », « Fadela Amara est remarquable »), là où la prédication remplace la dialectique (« pour moi, il n’y a pas de tabous »).
Quid, me direz-vous, de Guy Môquet ?
Je passerai rapidement sur le choix très habile de ce résistant, cet adolescent qui lançait des tracts alors que la hiérarchie de son parti politique n’avait pas encore entamé la lutte contre l’occupation nazie, et que le lider maximo de ce même parti avait déserté l’armée française pour aller se réfugier en URSS (dont il aurait d’ailleurs quelque peine à revenir). Choisir Môquet, c’est donc choisir un communiste pas franchement dans la ligne du moment, et qui renvoie aux communistes d’aujourd’hui les hésitations (soyons gentil) de leurs aînés.
Pourquoi ce fusillé en particulier ? Pourquoi le choix de la jeunesse et de la pureté (Môquet n’a tué personne, contrairement aux cinq du Lycée Buffon, beaucoup plus "populaires" dans les années cinquante et soixante) ? Parce que lorsqu’on n’a jamais esquissé le moindre geste de manifestation soi-même (sauf contre des étudiants grévistes), parce que lorsqu’on appartient à une classe qui a collaboré et s’est enrichie outrageusement au contact intime de l’occupant, quand on a une flopée d’amis venant de l’extrême droite et qu’on défend depuis dix ans les idées de Le Pen, on a bien des choses à se faire pardonner.
Il existe, depuis des années, des compilations de lettres de fusillés. (Voir, par exemple, La vie à en mourir, Lettres de fusillés 1941-1944, ouvrage paru aux éditions Tallandier. Lettres choisies et présentées par Guy Krivopissko, conservateur du Musée de la Résistance nationale). Même si le Parti Communiste a pu exagérer en se proclamant le « Parti des fusillés » avec ses 75000 victimes, il n’en est pas moins vrai que la grande majorité des fusillés, des résistants qui ont pris les armes appartenaient à la classe ouvrière et étaient communistes. Ce qui signifie que, dans une France encore très rurale, les paysans, les fonctionnaires, les artisans, les commerçants ont bien plus fait le dos rond que les ouvriers. Sarkozy ne le dit pas, Guy Môquet ne le disait pas non plus.
Mettre en avant la lettre du jeune supplicié sert tout bonnement à masquer la politique de la classe dirigeante d’aujourd’hui, décrite la bave aux lèvres le 4 octobre dans le magazine économique Challenges par Denis Kessler, ancien bras droit du baron Sellières à la tête du MEDEF, ami de toujours de Dominique Strauss-Kahn (tout se tient), ce “socialiste” qui pense et déclare que les gens mal informés, les gens qui souffrent ont trop de pouvoir dans la représentation démocratique.
« À y regarder de plus près, on constate qu’il y a une profonde unité à ce programme ambitieux. Les réformes à faire ? », demande Kessler. « C’est simple. Prenez tout ce qui a été mis en place entre 1944 et 1952 [c’est-à-dire à une époque où la classe dirigeante et les ancêtres de l’UMP ont dû payer le prix de leur collaboration économique et politique avec l’occupant], sans exception.
Elle est là. Il s’agit aujourd’hui de sortir de 1945, et de défaire méthodiquement le programme du Conseil National de la Résistance. » Et Kessler d’évoquer : « la création des caisses de Sécurité sociale, le statut de la fonction publique, l’importance du secteur public productif et la consécration des grandes entreprises françaises qui viennent d’être nationalisées, le conventionnement du marché du travail, la représentativité syndicale, les régimes complémentaires de retraite, etc. » Bref, tout ce qui a rendu la vie à peu près supportable pour 90% de Français pendant cinquante ans.
Sarkozy, comme son très proche collaborateur Guaino, se traînent des valises névrotiques qui pèsent des tonnes. Le premier, dans sa famille paternelle, a un passé qui ne passe pas, et il n’a découvert qu’adolescent, les origines juives de sa mère. Le second, comme dit pudiquement Wikipédia, n’a pas connu son père. Tout deux ont toujours eu une revanche à prendre sur la vie. Exalter les mythes fondateurs de la vraie gauche (Jaurès, anticapitaliste et pacifiste, Môquet, résistant magnifique) permet de faire oublier que, dans les faits, on n’aime les gens de gauche que morts ou traîtres. Faire lire une lettre d’un jeune militant communiste sans référence au contexte, sans allusion à ses propres engagements, bref une lettre purement humaine, familiale, une lettre d’émotion, quelle belle manœuvre !
Une lettre qui exalte l’abnégation, le sens du sacrifice, le courage, des valeurs que la classe dominante peut faire siennes sans problèmes dans une perspective de politique-spectacle, d’iconisation, et de pipolisation de l’école. La lettre d’un fils extraordinairement ému mais pas d’un jeune communiste qui veut organiser la résistance à la base. Pour le ministre Xavier Darcos, l’école doit « renforcer la cohésion nationale autour d’une histoire ». Il est urgent, en effet, de raconter des histoires (après Môquet, à qui le tour ?) à une société disloquée par la brutalité de sa classe dirigeante.
Faites le compte, vous verrez que, depuis 2002, il ne s’est pas passé une journée sans que les dirigeants n’aient pris une mesure hostile au monde du travail, aux salariés. On en revient à Pétain – n’est-ce pas Kessler ?, quand l’école du Maréchal était mobilisée pour construire une unité nationale de façade, mais obligatoire, à coups de mythes simplistes (Jeanne d’Arc, Bara, Bugeaud). Une récupération au profit d’une identité nationale (comme le ministère du même nom) serait censée faire oublier les attaques contre la Sécurité sociale, les services publics, les retraites.
Non, Môquet n’appartient pas à tout le monde, mais à ceux qui luttent, qui n’acceptent pas le fait accompli, le principe de réalité. La France rêvée par Guy Môquet est le contraire de la France de Sarkozy, cette France d’avant le 4 Août, d’avant les Lumières, la France du fric étalé sans honte, la France des casinotiers, la France des beaufs à Rolex©, la France qui se pâme devant Bush.
La mythologie que veut forger Sarkozy, pour le moment du moins (ça lui passera avant que ça me reprenne), évacue de grandes figures chéries de la droite, comme Jeanne d’Arc ou Napoléon. C’est donc une mythologie sans mauvaise conscience, sans squelettes dans le placard, sans torture en Algérie, sans Mai 68 (en 68, Môquet aurait pendu le père de Sarkozy avec les tripes du père de Kessler !), sans le moindre faux-pas, sans regret ni repentance. Une mythologie unidimensionnelle, celle d’un pays totalitaire.
Messages
1. Retour sur la Lettre de Guy Môcquet, 30 avril 2008, 10:24
Je me lance : je considère que nous vivons aujourd’hui, en France, en dictature.
Quelqu’un s’est déjà "lancé", il y a un siècle et demi : "Le gouvernement moderne n’est qu’un comite qui gère les affaires communes de la bourgeoisie toute entière" (Manifeste du parti communiste 1848).
Et c’est vrai que Sarko fait tout ce qu’il peut pour rester dans ce shéma. En 365 jours on cherche vainement une décision, une seule, qui ne collerait pas avec la description de K Marx.
CN46400
2. Retour sur la Lettre de Guy Môcquet, 30 avril 2008, 10:39
Superbe, merci !
3. Retour sur la Lettre de Guy Môcquet, 30 avril 2008, 12:01
cet adolescent qui lançait des tracts alors que la hiérarchie de son parti politique n’avait pas encore entamé la lutte contre l’occupation nazie,
Ce serait plus convainquant si on nous disait où, pendant ce temps, était le dénommé Prosper Moquet, père de Guy, dirigeant national, par ailleurs député de Paris, et pour faire bon poid, ce qui lui est arrivé ? Accessoirement on peut aussi nous dire ce que, pendant ce temps, faisaient les autres, tous les autres, partis politiques.
CN46400
4. Retour sur la Lettre de Guy Môcquet, 30 avril 2008, 13:00, par jacky
Prosper Moquet était député communiste du 17e arrondissement de Paris
Le PCF a été dissout par Daladier en septembre 1939
Prosper Moquet a été arrêté le 10 octobre 1939, incarcéré puis edéporté dans un camp français, en Algérie.
jd
5. Retour sur la Lettre de Guy Môcquet, 1er mai 2008, 00:19
Je pense qu’il serait utile pour la comprehension de la situation d’alors d’informer sur l’existence d’un document datant du 6 décembre 1938 signé entre georges bonnet ministre des affaires étrangères de la république française et joachim von ribbentrop, ministre des affaires étrangères du reich allemand qui confirme les accords passés entre le france et l’allemagne sur le dos des autres états d’europe centrale et notamment la russie. que celle ci ait eu connaissance de ce document cela ne fait de doute. Elle a regle sa marche à suivre sur l’exemple de la france.
Dans ce contexte il est impossible pour les communistes français qu’ils aient ce document qui aurait permis de mieux comprendre la situation.
Par ailleurs il est extrémement délicat voire impossible d’avoir accès aux archives de cette époque ou nous aurions appris beaucoup de chose sur qui à fait quoi
jc de marseille
1. Retour sur la Lettre de Guy Môcquet, 2 mai 2008, 16:39
Bon. Si l’Histoire éclaire sur ce qu’il convient de faire dans le présent, il est bon de continuer à la refaire, car :
– Aujourd’hui, c’est vrai nous en sommes en dictature
– S’il n’y avait que la France, on aurait éventurellement moins de mal à s’en sortir.
– Mais l’Europe entière est soumise à la dictature mise en place aux USA,
– Et la France fait partie de l’Europe. Même pas plus facho que l’Italie de Berlu. Européenne néo-libérale.
La misère conduisant à la religion et au vote fasciste, il est prévisible qu’on nous serve encore plus de misère. Et donc encore plus de religion et de vote fasciste, etc...
Comment briser ce cercle vicieux ?
SOLIDARITE.
Personne ne doit avoir faim, personne ne doit dormir dehors. Personne ne doit aller tuer et se faire irradier en Afghanistan, sous peine de crever de faim.
BOYCOTT
N’acceptons pas d’être achetés pour de la verroterie. Ne soyons pas bouche bée devant les paillettes et le bling bling. Soyons soucieux de ce qu’il nous faut pour manger et dormir, et trouvons la qualité où elle est : à côté de chez nous. Dans le jardin et chez la Grand’mère d’à côté, qui sait coudre. Chez le copain qui sait faire un toit.
CONTRE-PROPAGANDE
Démonter sans relâche la propagande et ses supports.
Utiliser les medias alternatif.
GRAINS DE SABLE
Grains de sable partout. Y compris dans le perfectionnement des techniques anti-systèmes de surveillance.