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Sortir du dogme européiste

Publie le vendredi 10 juin 2005 par Open-Publishing
5 commentaires

de Hubert Védrine

Cette insurrection électorale annoncée, ce Mai 68 à froid, nous oblige à affronter des questions interdites dans nos politiques économique, sociale et européenne.

Quelles sont les causes du rejet du traité constitutionnel ? Quelles suites aura-t-il ? Comment agir, maintenant ? Il ne faut pas se tromper sur les causes ni les réduire à des explications politiciennes ou personnelles. Ces non viennent de loin ­ et ont fait boule de neige. Déjà, il y avait eu l’avertissement de Maastricht ­ les 49,2 % de non, aussitôt oubliés.

Puis une façon bureaucratique de niveler le marché unique à coups de directives tatillonnes ­ plus même qu’aux Etats-Unis ! ­, à quoi a semblé se réduire l’ambition européenne, ce qui a braqué une partie de l’électorat. Ces causes, quelles sont-elles ? D’abord le refus de voir que les mots "intégration politique" , Graal pour certains, sonnaient comme une menace pour d’autres. Ensuite, l’élargissement massif de l’Union, assené comme une dette morale non discutable. Plus encore, le carambolage, fatal, entre la relance de l’intégration européenne et la vague libérale et de dérégulation mondiale et de mise en concurrence généralisée, alors que la France n’arrivait toujours pas à faire baisser son taux de chômage.

Citons aussi la lourde erreur initiale d’avoir baptisé "Constitution" ce traité, ce qui a exacerbé attentes et craintes. Puis l’agacement provoqué par la balourdise et la morgue du bombardement politique et médiatique pour le oui, à quelques rares voix près, et l’exaspération face à la stigmatisation indignée de toute réticence.

Enfin, bien sûr, le contexte de politique intérieure française, le sentiment de n’avoir été ni compris ni écouté, les péripéties de campagne et la démagogie des non.

Au bout du compte : 15 422 000 voix pour le non. Bientôt suivis par 62 % des électeurs néerlandais et par le gel britannique de son propre référendum, ce qui confirme qu’il n’y a pas un problème français mais européen. Les Français sont-ils devenus anti-européens ? Evidemment non.

Mais ils ressentaient depuis longte mps un "malaise" sur l’Europe, qui était nié. Ce qui a tout envenimé, c’est plutôt cet acharnement à ridiculiser tout sentiment patriotique normal, à caricaturer tout souci quant à l’élargissement, même légitime et pas du tout xénophobe, à jeter la suspicion sur tout désir bien naturel de garder une certaine souveraineté sur son destin et son identité dans la mondialisation, à balayer avec mépris toute critique. C’est tout cela qui, avec l’insécurité sociale, l’insécurité identitaire, le sentiment de dépossession démocratique, a fermé les issues et poussé les Français à frapper aussi fort.

Paradoxe : les rédacteurs du traité constitutionnel croyaient avoir trouvé un bon équilibre entre l’Europe et les nations. C’était aussi mon avis. Les électeurs ne l’ont pas compris ainsi. Mais il existe quand même des réponses sur ce point. L’avenir confirmera que les Français restent disponibles pour un projet européen, pour peu qu’il soit raisonnablement reformulé.

C’est moins évident concernant l’attente sociale traduite par ce vote. Face aux effets de la mondialisation et pour échapper au marché, tenants du non comme du oui répondent : Europe sociale. Mais c’est un leurre ! Il n’y a ni unanimité ni même majorité parmi les Vingt-Cinq pour garantir au niveau européen le "modèle" social français, encore moins pour le généraliser !

Car ce modèle n’en n’est plus un, avec son incapacité enkystée à créer des emplois non subventionnés. Surtout maintenant, où nos partenaires croient détecter dans le vote du 29 mai la nostalgie d’une économie administrée, aux antipodes de ce qui marche ailleurs en Europe. Or c’est au nom de "l’Europe sociale" que beaucoup d’électeurs de gauche étaient devenus pro-européens. Et c’est dans l’espoir de la relancer que beaucoup d’entre eux ont voté non. Surmonter ces contradictions est une obligation très sérieuse pour la gauche.

Les suites ? Sur un plan démocratique, les scénarios échafaudés ces derniers jours à Bruxelles sont surréalistes. Les autres Etats membres peuvent voter à leur tour s’ils le souhaitent. Mais, en droit international, des pays, quel que soit leur nombre, ne peuvent imposer un traité à un pays qui l’a rejeté. Après deux votes négatifs, tout cela n’a plus de sens.

Faire revoter la France sur le même texte serait vécu comme une provocation et échouerait. Renégocier est très peu vraisemblable. De plus, si une renégociation avait lieu, elle ne porterait pas sur les seules demandes françaises (lesquelles ?), mais serait générale, et rien ne dit qu’elle tournerait à notre avantage. En revanche, il sera peut-être possible de mettre en oeuvre, par accord unanime à Vingt-Cinq, certaines dispositions du traité constitutionnel. Le plus utile, pour la démocratie, serait celles qui donnent un rôle aux Parlements nationaux et instaurent un droit de pétition.

En fait comme en droit, le traité de Nice va donc continuer à s’appliquer, complété par quelques dispositions, peut-être enrichi par des coopérations renforcées. De plus, des initiatives intergouvernementales sont toujours possibles.

Que faire maintenant sur le social ? Si l’on veut préserver les acquis européens et éviter que tout se détricote, il est urgent d’abandonner explicitement la logomachie déresponsabilisante et anxiogène de l’intégration européenne sans fin. C’est-à-dire, comme la métaphore de la bicyclette qui doit toujours avancer faute de tomber, l’annonce permanente d’un nouveau traité, les "ce n’est qu’une étape" , le mythe des "Etats-Unis d’Europe" qui seraient seuls à même de faire le poids...

Il faut revenir à la juste formule de Jacques Delors ­ fédération d’Etats-nations, dans laquelle chaque mot compte ­, stabiliser cette réalité originale et équilibrée, la faire vivre et rayonner. En redisant que les peuples et les Etats-nations ne vont pas disparaître. Qu’ils ne sont ni dépassés ni ringards. Qu’ils sont ouverts, modernes, associés et unis par des liens fédéraux dans quelques domaines précis.

Il faut mettre un terme à une autre source d’inquiétude : l’élargissement sans fin. L’Europe est géographique autant que politique. Elle doit avoir des limites. Il faut l’assumer. Après tout, les Etats-Unis ne proposent pas à leurs voisins, avec qui ils ont des relations très étroites, d’adhérer aux Etats-Unis. Un peu de bon sens ! Cela sera dur pour ceux qui ont fait de la fuite en avant dans l’intégration européenne la dernière idéologie de substitution. Mais voilà : il y a des peuples, qui ne se laissent pas dissoudre. Il faut libérer le projet européen du dogme européiste.

Nous ne devons plus, comme depuis trop d’années, tout attendre ou tout redouter de l’Europe, ou de tel ou tel traité, mais retrouver, à notre niveau, le sens des responsabilités, nos objectifs, une volonté. Et reformuler les politiques que nous voulons mener avec nos partenaires, dans le cadre européen.

Revenons à une Europe de projets. Grands équipements, projets universitaires, scientifiques, industriels, sociaux, culturels, écologiques, diplomatiques... Projets précis, assortis de calendriers. Face à eux, personne ne sera tenté par le non ! Les traités existants le permettent. Dotons la zone euro d’une vraie politique économique. La question de l’avenir sera de concilier croissance, emploi et écologie. Soyons le continent qui fera cette synthèse.

Sur le plan social, il est temps de redire que, s’il est important de parvenir à une harmonisation européenne générale sur les grandes lignes et que les Vingt-Cinq adoptent à l’OMC des positions plus combatives, "à l’américaine" , le cadre pertinent de la politique sociale demeure l’Etat-nation. C’est au niveau national que nous devons mettre en oeuvre une politique économique novatrice créatrice de vrais emplois, ce qui est la clef de l’acceptation par les Français de la réforme nécessaire de notre système social et d’un regain de confiance. Cela, l’Europe ne le fera pas à notre place. Mais elle ne nous en empêche pas. La France peut y parvenir si son rapport à l’Europe est assaini.
Hubert Védrine est ancien ministre (PS) des affaires étrangères.

http://www.lemonde.fr/web/imprimer_...

Messages

  • Salut à toutes et à tous,

    Dans son article au Monde, Hubert Védrine explique au pouvoir que pour sauver le DOGME EUROPÉISTE, il faut faire semblant d’en sortir, et il dit pourquoi et comment. Cependant, pour le Monde, faire semblant de sortir du dogme européiste, c’est déjà trop, c’est pourquoi ce "journal" présente cet article seulement comme un "point de vue" !

    Néanmoins, je crois qu’il faut faire très attention à ce que dit Hubert Védrine, car dans son article, il explique au pouvoir quels sont les pièges qu’il faut nous tendre afin qu’on se fasse piéger par une nouvelle version du dogme européiste qui, cette fois, nous serait présenté comme n’étant plus le dogme européiste !

    Hubert Védrine cite un à un tous les pièges dans lesquels on est susceptibles de tomber. C’est pourquoi son article mérite d’être décrypté avec beaucoup d’attention.

    Bien à vous,

    do

    http://mai68.org

  • Ce qui importe aux travailleurs, c’est de sortir des traités qui musèlent les politiques économiques de Etats (Maastricht, Amsterdam, Nice) au profit des capitalistes.

    Ce sont pas les "subtilités" d’un baron du Parti "socialiste".

    Le moyen d’en sortir, c’est la grève, le sabotage (au sens d’Emile Pouget), la manifestation, l’action directe.

  • « Sur le plan social, il est temps de redire que, s’il est important de parvenir à une harmonisation européenne générale sur les grandes lignes et que les Vingt-Cinq adoptent à l’OMC des positions plus combatives, "à l’américaine" , le cadre pertinent de la politique sociale demeure l’Etat-nation. C’est au niveau national que nous devons mettre en oeuvre une politique économique novatrice créatrice de vrais emplois, ce qui est la clef de l’acceptation par les Français de la réforme nécessaire de notre système social et d’un regain de confiance. Cela, l’Europe ne le fera pas à notre place. Mais elle ne nous en empêche pas. La France peut y parvenir si son rapport à l’Europe est assaini. Hubert Védrine est ancien ministre (PS) des affaires étrangères. »

    Si, dans l’ensemble, la réflexion d’Hubert Védrine reflète assez fidèlement ce qui s’est passé le 29 mai, en revanche, je suis plus que réservé sur la chute. Parler de "nécessaires réformes" pour le système social, cela signifiie quoi exactement ? De nécessaires sacrifices toujours pour les mêmes ? Quand les socialistes, y compris M. Védrine, parviendront-ils à s’affranchir de l’idéologie ultra-libérale qui pollue leur démarche politique depuis un quart de siècle ?

    Verdi

  • Il faut bien sûr savoir qui parle, un ancien ministre des affaires étrangères qui a défendu le Oui à la Constitution. Dans ce contexte, je trouve ses propos très rafraichissants. On est tellement habitué à voir les "ouistes" asséner toujours les mêmes "vérités" qu’il y a de quoi être étonné, et donc un peu rassuré, de lire des propos aussi ouverts.

    Bien sûr cela ne veut pas dire qu’il adopte une stature de "noniste". Mais, sachant qu’il faudra bien un jour combler - au moins un peu - le fossé oui-non, je crois que c’est avec de tels propos qu’il pourra y avoir des rapprochements pour faire un bout de route ensemble. Même si effectivement il peut avoir des arrières pensées et des objectifs qui ne nous conviennent pas.

    Ce que j’aime bien c’est sa volonté de clarifier les choses. Si on y adjoint un réel contrôle démocratique, on pourrait sûrement définir une nouvelle direction.

    Toujours dans ce soucis de clarification, j’aime aussi sa volonté de bien articuler souverainisme et fédéralisme, pour que l’on comprenne bien où se situe le pouvoir politique. Il faudrait pour bien faire que cette articulation ne reste pas figée,mais puisse évoluer au grès des volontés électorales.

    Ce n’est certes pas cela qui fera une Europe moins libérale, plus sociale, moins ceci, plus cela, mais on en revient à l’objet même d’une Constitution qui est de définir un cadre de fonctionnement, sans imposer une volonté politique, contrairement à ce qu’on a essayé de nous faire gober...

    Pour finir, j’ai aussi apprécié son titre "Sortir du dogme européiste". Puissent de tels propos se multiplier !

    • Les partis dits socialistes en france en europe doivent changer de nom...tony blayr c’est un socialiste ??le vrai socialisme aussi démocratique (personne aspire à le capialisme d’état de l’urss etc ;,chine,etc ;)n’existe pas.,.A quand un vrai parti de democratie radicale pour un vrai soCialisme, d’écologie sociale ???En europe ces gens s’appellent socialistes mais du socialisme originaire il n ya rien...ce sont seulement des partis de la classe ricihe moyenne ,des démocrates à la clinton ,etc ;au révoir ; ;le nominalisme c’est un grand problème ???Il faudrait changer les noms de tous ces partis de cette gauche européenne..la crise des gauches réside dans ces partis qui ne correspondent pas à leur nom,appellation..Comme le communisme ,les gens crpoient topujours à la dictature,la chine,etc ;changer les noms .les socialistes ne sont poas des socialistes,les communistes ,ils font penser à tout le monde,(le peuple,pas les militants branchés,mais les gens ),le mot communisme fait peur à beaucoup de monde ; ; ;un parti d’une gauche d’unité populaire prolétaire n"est pas possible ??Democratie socialiste ,où democratie radicale pour le socialisme .,un peu de fantasie car ces noms ne réprésentent pas la réalité..C’est ca la confusion de ces années...les partis ne réprésentent plus la réalité,.Les gens ne comprennet rien de ces partis qui s’appellent dans une manière et ils défendent les classes moyenns riches ,la privatisation,la dite croissance libérale,le mdef,les banques,etcetc ;qui réprésente les précaires lesprolé&taires,les chomeurs les travailleurs malpayés ,les opprimés,les exclus du système CAPITALISTE ???.SORTIR DU DOGME CAPITALISTE...AUTONOMIE SOCIALE/rOUGE NOIR, et vert..