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Un bond dramatique vers l’Europe des inégalités.
Publie le mercredi 4 novembre 2009 par Open-PublishingAvec la ratification irlandaise du traité modifiant les traités européens encore appelé Traité de Lisbonne, tout ce qui justifiait le rejet de ce traité qui n’était en fait qu’un copier-coller du Traité établissant une Constitution pour l’Europe (TCE) va devenir réalité. Les millions de femmes et d’hommes qui ont dit « non » à une Europe des inégalités vont, dans un contexte aggravé par la crise du capitalisme, devoir maintenant en subir les effets.
Il n’est pas inutile de rappeler ne fut-ce que synthétiquement, ce qui attend celles et ceux qui ne vivent que de leur travail – quand ils en ont. Il n’est pas non plus inutile de garder en mémoire l’appui qu’ont apporté à ce traité, aux côtés de la droite, les socialistes et les Verts.
1- A propos de la laïcité :
Comme dans le TCE, « l’héritage religieux » est mentionné comme « source de la démocratie, de l’Etat de droit et des libertés fondamentales » ; l’Union Européenne (UE) reconnaît les Eglises, mais pas la laïcité (le mot et la chose sont absent des textes). Le retour en force de l’ingérence des Eglises est ainsi encouragé. L’Europe des Lumières s’obscurcit dangereusement. Les droits des femmes à peine conquis sont directement menacés. Le Vatican triomphe.
2- A propos de la démocratie :
Si quelques dispositions renforcent le poids du Parlement européen, celui-ci reste largement un Parlement croupion : il n’est pas l’unique législateur et ses pouvoirs de contrôle sont limités (pas de séparation des pouvoirs), il ne peut pas proposer ses propres textes (le monopole de l’initiative est maintenu en faveur de la toute puissante Commission européenne qui peut s’opposer aux attentes du Parlement et du Conseil des ministres tous deux pourtant issus du suffrage universel).
Le citoyen qui peut changer, par le suffrage universel, son maire, son parlementaire, son gouvernement est totalement impuissant face à une Commission européenne qui n’est pas comptable de ses actes. Le traité ne modifie pas le caractère technocratique et opaque d’une Commission européenne plus que jamais aux ordres des lobbies de la finance et du business. Le traité consacre un défaut de démocratie qui, lorsqu’il se constate ailleurs, provoque les condamnations indignées de l’Union européenne.
3- A propos des droits sociaux fondamentaux :
La Charte des droits fondamentaux traduit un terrible recul par rapport à la Déclaration Universelle des Droits de l’Homme et aux Conventions internationales qui la précisent (le Pacte international relatif aux droits économiques sociaux et culturels ainsi que le Pacte international relatif aux droits civils et politiques).
Il est en recul par rapport à la Charte sociale de Turin de 1961. Ni le droit à la santé, ni le droit au logement, ni le droit à un revenu minimum, à une pension de retraite, à une allocation de chômage, ni le droit à l’accès à un certain nombre de services (transports, poste, etc), ni le droit à la sécurité sociale et à l’aide sociale ne sont formellement garantis dans ce texte.
Pire, ces droits, lorsqu’ils sont mis en œuvre dans certains Etats membres, sont désormais directement menacés par les « quatre libertés fondamentales de l’Union européenne » : liberté d’établissement et de circulation des personnes, des marchandises, des capitaux et des services.
4- A propos du néolibéralisme des politiques européennes :
La disparition de la formule « concurrence libre et non faussée » qui se trouvait dans le TCE n’entraîne pas de changement dans l’orientation des politiques. Un article du nouveau traité rappelle le primat d’une « économie de marché ouverte où la concurrence est libre » et un protocole (même valeur que le traité) indique que « le marché intérieur comprend un système garantissant que la concurrence n’est pas faussée ».
La seule politique de l’UE, c’est, plus que jamais, de mettre en concurrence toutes les activités humaines. Pas de place pour la coopération ; pas de place pour la solidarité. Mme Merkel l’a confirmé au Parlement européen : en ce qui concerne le libéralisme des politiques, « rien ne va changer ». Pire, un tel texte rend impossible toute espèce d’Europe sociale.
5- A propos des services publics :
Rien n’est plus mensonger que d’affirmer que l’Union Européenne protège désormais les services publics (baptisés « services d’intérêt général »). Un protocole dont l’intitulé parle des « services d’intérêt général » ne concerne en fait dans son contenu que les « services d’intérêt économique général » lesquels sont soumis aux règles de la concurrence.
Il s’agit-là d’une formidable mystification de la part des auteurs du traité. Comme ceux-ci l’ont déclaré : « la liberté d’établissement et la liberté de circulation des personnes, des biens, des capitaux et des services continuent de revêtir une importance capitale ». Le traité de Lisbonne soumet comme jamais les services culturels, d’enseignement, de santé et sociaux à la logique du marché.
6- A propos de la mondialisation néolibérale :
L’affirmation selon laquelle désormais l’Union Européenne protégerait contre la mondialisation est totalement mensongère et démentie par le texte : celui-ci renforce la subordination de toute politique à une économie de marché sur le modèle imposé par les accords de l’Organisation Mondiale du Commerce (OMC) ; il renforce les pouvoirs de la Commission européenne pour négocier des politiques de dérégulation à l’OMC.
Les pouvoirs du Comité 133 sont consacrés et renforcés dans la mesure où il ne devra plus se prononcer à l’unanimité. Son opacité demeure. La négociation de la mise en œuvre de l’Accord Général sur le Commerce des Services (AGCS), dont l’objectif ultime est la privatisation de toutes les activités de services -qu’elles soient nationales, régionales ou municipales – en sera facilitée. Le traité de Lisbonne facilite la soumission des services publics locaux, régionaux et nationaux aux règles de l’AGCS.
7- A propos de la subordination de la majorité des 27 Etats à l’OTAN :
Le traité est aussi un traité d’adhésion collective à l’OTAN, une organisation qui n’est pas européenne et dont la direction se trouve au Pentagone, à Washington. Il est précisé que « l’OTAN reste, pour les Etats qui en sont membres, le fondement de leur défense collective et l’instance de sa mise en œuvre. » Les Etats se sont engagés dans ce traité à augmenter leur capacité militaire dans le cadre de l’OTAN. Il n’y aura pas d’Europe européenne et pacifique. Le traité met en place une Europe auxiliaire militaire des gendarmes du monde.
Comme l’écrivait très justement Pierre Bourdieu, « l’Europe européenne fonctionne comme un leurre dissimulant l’Europe euro-américaine qui se profile. » Face à cette nouvelle avancée de ce qu’il appelait « la restauration conservatrice », l’heure n’est pas à la résignation, mais à la résistance. J’y reviendrai.
Raoul Marc Jennar.
http://www.jennar.fr/index.php/un-pas-dramatique-vers-leurope-des-inegalites/