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Une plongée dans l’emploi (et la vie) des travailleurs précaires

Publie le dimanche 10 février 2008 par Open-Publishing
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Elsa Fayner est journaliste, diplômée de l’école supérieure de journalisme
de Lille. Mais pendant trois mois, elle est devenue vendeuse par
téléphone, serveuse de hot-dogs dans la grande distribution et femme de
ménage dans l’hôtellerie de luxe. Elle a partagé l’emploi et un peu de la
vie de travailleurs précaires de la région. Elle raconte.

 Pourquoi avez-vous choisi d’aborder le thème des travailleurs précaires
 ?

« J’ai commencé mon enquête l’année dernière. On était dans une période
pré-présidentielle. Il y avait un consensus pour redonner de l’importance
à la valeur travail. J’ai voulu me pencher sur le système français qui
était parfois considéré comme décourageant, démotivant, avec le SMIC, par exemple, qui augmente chaque année, quelle que soit la productivité. »

 Pourquoi avoir choisi Lille pour réaliser cette enquête ?

« D’abord parce qu’à Paris, je risquais de croiser des personnes que je connaissais.
Lille, c’est aussi une ville dans laquelle j’avais des repères pour y
avoir suivi une partie de mes études. Ensuite, il me fallait une grande
ville. Enfin, j’ai choisi la région lilloise pour son passé industriel et
la reconversion de ses emplois. »

 Qu’est-ce qui vous a le plus marquée pendant ces trois mois ?

« J’étais partie en me disant que j’allais gagner le SMIC mensuel. En fait, je me suis aperçue qu’il fallait davantage compter sur le SMIC horaire. En
contrat court, j’ai plutôt gagné 600 à 700 euros par mois. Le SMIC est en
réalité plus un plafond qu’un plancher. J’ai aussi pu constater que ceux
qui étaient payés au SMIC étaient prêts à tout accepter : les conditions
de travail pénibles, les emplois du temps atypiques le soir, le week-end,
la nuit... et même les entorses au droit du travail (sur le plateau de
télémarketing, on n’avait pas le droit d’aller aux toilettes dans l’hôtel
quatre étoiles, la salle de pause était aussi le local poubelles). »

 Ces situations semblent assez peu remises en cause par les personnes que vous avez rencontrées...

« Leurs emplois sont assez prenants. Ils n’ont pas le temps d’avoir du recul. Il y a rarement des critiques du système.
Par ailleurs, chaque fois qu’un ordre est donné, l’argument ultime, c’est
"pour faire plaisir aux clients". Cette dilution des ordres fait que les
salariés ne savent plus vers qui se tourner en cas de problème. Enfin, le
marché du travail est tel qu’ils sont heureux d’avoir un emploi et
acceptent certains abus. »

 Est-ce que vous pensez que l’on peut quitter la condition de travailleur
précaire ?

« Pour l’instant, la situation des personnes que j’ai
rencontrées est incertaine. Et globalement, elles n’ont pas de
perspectives d’évolution. Certains voudraient suivre des formations mais
quand on est une mère seule, avec un enfant, c’est impossible de quitter
son emploi. Ce n’est pas un manque de motivation. »

 Est-ce qu’ils veulent « travailler plus pour gagner plus » ?

« D’une
part, les personnes que j’ai rencontrées et qui travaillent à temps plein
passent 9 à 10 heures sur leur lieu de travail. Il faut y ajouter des
trajets domicile-travail assez longs. Ils se lèvent tôt, ils se couchent
tard. D’autre part, ceux qui travaillent à temps partiel ont souvent des
horaires éclatés qu’ils peuvent difficilement compléter avec d’autres
contrats. Dans ces conditions, c’est quasiment impossible de travailler
plus. »

 Plus que « travailler plus », vous concluez votre livre sur l’idée du « 
travailler mieux ». Est-ce aussi dans l’intérêt des entreprises ?

« Ce
n’est pas qu’une question d’humanité. C’est aussi une question économique
 : quand on respecte les gens, ils travaillent mieux. Les mauvaises
conditions de travail induisent absentéisme, retards, maladies
professionnelles, accidents du travail qui, selon certaines estimations,
finissent par coûter 3 % du produit intérieur brut (PIB). Par exemple,
dans l’entreprise de grande distribution dans laquelle j’ai travaillé, le
code du travail était respecté et il n’était pas question de travailler
une minute de plus. Les gens étaient plus motivés. »

« Et pourtant, je me suis levée tôt... Une immersion dans le quotidien des travailleurs précaires »,
Elsa Fayner,
Éditions du Panama,
15 euros.

La Voix du Nord

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