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Venezuela : une victoire au coeur d’une guerre médiatique

Publie le samedi 21 août 2004 par Open-Publishing

La victoire de Chavez signe aussi la retentissante débâcle de médias contrôlés par l’opposition et transformés en agents de propagande.

Par Fernando Malverde (*)

Comme tous les après-midi sur Globovision, la chaîne vénézuélienne d’information en continu, Leopoldo Castillo est aux commandes de l’émission Alo ciudadano. Nous sommes à quelques jours du référendum à travers lequel les Vénézuéliens doivent dire s’ils souhaitent, " oui ou non " révoquer le président du pays, Hugo Ch vez. Pendant les trois heures de direct, pas la moindre voix discordante : le journaliste et ses invités, représentants du patronat, membres des partis d’opposition ou intellectuels triés sur le volet, sont tous farouchement opposés à Ch vez et au processus de " révolution bolivarienne " dont il est le moteur. De même, les appels des téléspectateurs et les messages SMS qui défilent en permanence en bas de l’écran sont unanimes : " Ch vez doit partir ! "

Le Venezuela hérite d’une situation ultra-libérale où 95 % des chaînes de radio et de télévision sont privées. Le résultat : des médias, en grande majorité violemment antichavistes, comme le sont neuf des dix quotidiens nationaux et six des sept grandes chaînes de télévision. Invectives, manipulations, affirmations sans preuve : il y a longtemps que les règles minimales de la déontologie et de l’objectivité ne sont plus une préoccupation dans ce journalisme de combat. Un engagement qui est allé jusqu’à la participation active des patrons de presse lors du coup d’État raté d’avril 2002 contre le président Ch vez. En juin 2003, David Natera Febres, le président du BPV, le syndicat des patrons de la presse vénézuélienne, déclarait sa satisfaction que les moyens de communication soient " un écueil sérieux " face à la politique " inspirée par le totalitarisme castro-communiste " du gouvernement.

Les mêmes commentateurs qui, en France, sont prêts à admettre que les médias commerciaux se sont substitués aux partis politiques défaillants, refusent de tirer les connaissances de cette réalité : les médias ne se contentent pas d’exprimer les idées de l’opposition, ils en sont l’avant-garde et participent à l’élaboration de son projet politique. Pis : ils sont impliqués directement dans sa mobilisation et dans l’organisation de ses actions.

Aujourd’hui les partisans du gouvernement, même s’ils sont majoritaires dans le pays, ne s’expriment qu’à travers les antennes d’une radio et d’une chaîne de télévision publiques en position marginale. Des médias d’État, unilatéralement partisans, qui à leur façon, traduisent, eux aussi, l’extrême polarisation du pays, mais donnent au moins à entendre les positions que soutient la majorité des Vénézuéliens. La fracture est telle entre le pays et ses médias que les journalistes de base affrontent quotidiennement sur le terrain l’hostilité d’une partie de la population et sont parfois l’objet d’inacceptables agressions physiques. Injustifiables, ces manifestations d’hostilité sont à mettre en relation avec l’agression que les médias privés font subir quotidiennement à ceux qui se sentent privés d’un droit à une information équilibrée.

La politisation extrême du secteur médiatique se double d’une forme d’apartheid social ancré dans la culture des élites vénézuéliennes et qui explique en partie leur désarroi face au " phénomène Ch vez ". Le peuple des bidonvilles, ces 80 % de Vénézuéliens qui vivent en dessous du seuil de pauvreté, a toujours souffert d’une totale invisibilité médiatique.

Dans ce contexte, les patrons de presse disposent de relais complaisants à l’extérieur du pays. La couverture du Venezuela par les médias internationaux est caricaturale. Pourtant aucune censure, sous quelque forme que ce soit, n’a jamais été exercée par le gouvernement de Hugo Ch vez. La seule répression institutionnelle arbitraire contre la liberté d’expression qu’ait connue le pays a été la fermeture des médias publics et communautaires pendant le coup d’État d’avril 2002.

Pour l’observateur européen, le Venezuela est avant tout un prisme au travers duquel il est aisé de reconnaître des situations finalement proches de lui, bien que poussées à l’extrême. Ainsi, si elles sont d’actualité partout dans le monde, les questions inséparables de " la liberté de la presse " et du " droit à l’information ", se posent avec une violence toute particulière là-bas. En juin dernier, l’AMJ,qui regroupe les propriétaires de journaux de la planète a " condamné la répression de la liberté d’expression et de la liberté de la presse ". L’association corporatiste Reporters sans frontière dénonce, elle, les " attaques répétées de Hugo Ch vez contre la presse ", alors qu’il ne s’agit que de critiques légitimes qui relèvent de la liberté d’expression et Human Rights Watch s’insurge contre un gouvernement qui mettrait " la liberté de la presse en danger ". Mais, au Venezuela comme ici, la liberté de la presse que défendent les médias commerciaux - et leurs alliés, tenants d’un libéralisme débridé - est avant tout la liberté des propriétaires de journaux et des intérêts de leur seule classe sociale. Pourtant moins contraignant que les dispositifs mis en place dans un pays comme la France, le programme de régulation de l’audiovisuel envisagé par le gouvernement Ch vez se heurte donc aux tenants de la dérégulation.

La guerre médiatique qui fait rage au Venezuela est donc emblématique du conflit qui déchire, de façon plus ou moins violente, le monde aujourd’hui : un conflit entre une vision néolibérale d’une part et de l’autre, l’espoir d’une société plus respectueuse des droits et du bien-être des hommes. Avec le résultat du référendum de dimanche dernier, favorable à Hugo Ch vez et au processus bolivarien, c’est indéniablement l’espoir qui a remporté une victoire.

(*) Journaliste, membre d’une délégation française qui a séjourné au Venezuela et y a observé le rôle des médias avant le scrutin de dimanche dernier (voir encadré).

http://www.humanite.presse.fr/journal/2004-08-21/2004-08-21-399111