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qui tutoie qui ? La france vue de suisse (le temps)

Publie le mercredi 13 juin 2007 par Open-Publishing

Président Nicolas

Fredy Gsteiger
Jeudi 31 mai 2007

Ce n’était pas vraiment la première fois où je me suis senti enfin pris au sérieux. Mais c’était tout de même une sacrée expérience. En entrant en troisième année au collège, notre professeur d’allemand nous a tout à coup informés que, dorénavant, il nous appellerait par notre nom de famille. De Fredy, je suis alors devenu Gsteiger. Pas Monsieur Gsteiger, bien entendu ! Lui, bien entendu, est resté Herr Schmid.

Pour nous tous, le moment a été un rien étrange. Chacun de nous aurait préféré être appelé par son prénom, bien sûr. Et cela sur le long terme, même lorsqu’on serait des vieillards de 30 ou 40 ans, voire davantage. Le tutoiement était alors à la mode. Et nos premières visites aux Etats-Unis ou dans les pays scandinaves avaient encore renforcé cette impression : s’appeler par notre prénom, ça faisait moderne, convivial et décontracté.

Bien plus tard, cela a été pour moi une grande découverte d’apprendre qu’à l’Hôtel de Ville de Paris, et plus tard au Palais de l’Elysée, Jacques et Bernadette Chirac s’appelaient Monsieur ou Madame et se vouvoyaient. Mais bon, vous savez, les Français enfermés dans leurs traditions ! Ou plutôt : une certaine France. On se posait la question indiscrète de savoir si même dans leurs moments intimes, ou pendant leurs scènes de ménage, tous deux continuaient à se vouvoyer. Ou est-ce qu’ils se rudoyaient plutôt ? Mais cela ne nous regardait pas.

Aujourd’hui, je continue à ne me sentir nullement agressé si un étudiant dans un bus ou la caissière de Coop me tutoie - ou à peu près la moitié des serveurs et serveuses dans les bars et restaurants branchés zurichois. (De toute façon, c’est toujours mieux que de se voir offrir une place assise dans le tram.) Mais je commence quand même à trouver cette familiarité un petit peu gênante. Je développe même un sens des nuances. Je n’ai pas élevé les cochons avec tout le monde, tout de même.

Pour cette raison précise, j’ai lu récemment avec surprise que, désormais, au Conseil des ministres français, le nouveau président conduit les affaires à l’américaine. Enterré le vouvoiement ! Quand ça peut être George, Dick ou Condoleezza à la Maison-Blanche, ça sera Nicolas, Michèle ou Bernard à l’Elysée. On verra bien si cela contribue à décontracter - ou même à améliorer - la politique française.

Au contraire de cette initiative présidentielle, mais au même moment, le ministre de l’Education - Xavier pour ses collègues ministériels - réintroduit ou renforce le vouvoiement dans les écoles de la République. La cohérence a rarement été une caractéristique politique. Ni en France, ni ailleurs.

Mais la question la plus importante reste celle des nouvelles consignes qui concernent la façon dont les policiers, gendarmes et CRS devraient désormais appeler les jeunes des banlieues. Ces dernières années, on a rarement entendu dans les banlieues un Monsieur ou Madame - et cela d’ailleurs dans les deux sens. En l’occurrence, un peu plus d’égards pour la forme, pour ne pas dire de respect mutuel, ne fera guère de mal.