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Campagne médiocre : la faute à Blair

Publie le dimanche 25 mars 2007 par Open-Publishing
5 commentaires

Chronique
Campagne médiocre : la faute à Blair, par Eric Le Boucher
LE MONDE | 24.03.07 | 15h05 • Mis à jour le 24.03.07 | 15h55

Pourquoi le niveau de réflexion économique dans cette campagne est-il si médiocre ? Alors que le diagnostic sur la profondeur de la crise française est maintenant bien établi et partagé par les trois camps principaux, UMP, UDF et PS, pourquoi les candidats ne proposent-ils que peu de mesures pour stopper la dégradation de la compétitivité nationale et relancer la croissance et pourquoi ces lapins sortis du chapeau comme les heures supplémentaires chez Sarkozy, les deux emplois sans taxes chez Bayrou, ou le "rétablissement de la confiance" d’un coup de baguette magique, ploup !, chez Royal ?

Pourquoi, en somme, les candidats ne sont-ils toujours pas à la hauteur de l’enjeu énorme : la guerre mondiale économique, la Chine, l’Inde, les Etats-Unis, l’accélération technologique, le vieillissement, etc. ?

Le fautif s’appelle Tony Blair. Il y a dix ans, les socialistes français ont qualifié, a priori et sans examen, le blairisme de politique "de droite" et ils n’ont toujours pas corrigé leur erreur depuis. Le déport gauche-gauche opéré alors dans l’ambiance post-1995 bourdieusienne et trotskiste a provoqué une perturbation magnétique du paysage politique français qui dure encore, malgré la tentative de Ségolène Royal. La gauche déportée sur sa gauche a profité en 2002 à Jacques Chirac, qui préfère les girouettes aux boussoles, mais elle a surtout évité à la droite de devoir construire une réponse au blairisme, c’est-à-dire une réelle politique économique libérale française de droite. Blair nié, pas de confrontation intellectuelle, pas besoin d’idées.

Voilà pourquoi, dix ans après l’arrivée de Tony Blair au pouvoir outre-Manche, ni la gauche ni la droite française n’ont de doctrine étudiée, confrontée, validée, forte, face aux défis de la mondialisation.

Voilà pourquoi la campagne est médiocre et pourquoi les trois candidats sont si imprécis, si ambivalents, si peu fiables, en un mot. Et voilà pourquoi les électeurs hésitent. On les comprend.

Revenons au point de départ, à ce PS français au QI de pétoncle. Il a sous ses yeux, de l’autre côté du Channel, à deux heures trente de train, une politique de gauche qui réussit, et il s’obstine à affirmer que c’est une politique de droite qui échoue. L’erreur est devenue cette fois-ci grosse comme le nez au milieu de la figure, et on peut espérer que même le PS peut en voir l’effet : si François Bayrou occupe 18-22 % des voix dans les sondages, c’est que le PS a déserté le centre, laissant le champ libre à une renaissance de l’oubliée UDF.

Toute la remagnétisation correcte du paysage droite-gauche et le débat d’idées qui s’ensuivra attendent la reconnaissance de leur erreur par les socialistes : le blairisme est non seulement de gauche, mais c’est la réponse intelligente de gauche à la mondialisation. Insistons : ce n’est pas seulement le sort du Parti socialiste qui est en jeu, mais bien l’atterrissage, si retardé, de toute la France dans la réalité.

Remplissons donc un devoir "citoyen", pour employer un mot tarte à la crème qui fait vibrer de plaisir les militants : voici un manuel de démonstration du caractère de gauche de la politique conduite par Tony Blair et Gordon Brown, son ministre des finances, depuis leur arrivée au pouvoir, en mai 1997 :

 Le taux de chômage a été réduit à 5,5 % (baisse de 3 points en dix ans).

 75 % de la population entre 15 et 64 ans a un emploi, contre 63 % en France.

 Le gouvernement a créé un smic en 1999.

 Les inégalités, qui ont crû jusqu’en 2000, ont depuis tendance à se réduire.

 La moitié des créations d’emplois depuis 2000 l’a été dans les services publics, soit 600 000 emplois.

 Le gouvernement a réalisé des efforts d’investissements historiques dans la santé, les transports et l’éducation.

L’examen budgétaire constitue la preuve par neuf : les dépenses publiques britanniques ont crû de 8 points de PIB depuis 2000 (elles avaient baissé, il est vrai, pendant le premier mandat), pour atteindre 45,6 % de ce même PIB, selon l’OCDE, soit un niveau proche de l’Allemagne ! A cette vitesse-là, camarades, Blair n’est pas seulement de gauche : il est communiste !

Cette hausse des dépenses n’est pas seulement un rattrapage par rapport aux coupes claires du thatchérisme. Elle constitue un pilier de la doctrine stratégique de la troisième voie blairiste : une économie complètement ouverte à la mondialisation, mais accompagnée par un Etat très actif. Actif dans les services publics, actif dans la défense des plus faibles, actif dans l’innovation, actif dans le discret mais déterminé positionnement dans les services à valeur ajoutée. Demandez à Gordon Brown comment il défend la City !

Tout n’est pas parfait au pays de la rose : la productivité reste faible, la croissance dépend de l’endettement immobilier, les divergences régionales se sont accentuées. Mais "nous n’avons jamais été aussi bien", titrait récemment le magazine The Economist. La richesse par habitant en Grande-Bretagne est passée du septième rang au sein du G7 en 1997 au deuxième derrière les Etats-Unis aujourd’hui.

La clé première de cette politique de gauche qui réussit, Antony Giddens, père intellectuel du blairisme, la donnait récemment (www.telos-eu.com) : "Accorder la primauté à l’économie et à la croissance."

Are you listening, madame Royal ?

Eric Le Boucher
Article paru dans l’édition du 25.03.07

Messages

  • la primauté doit rester pour l’individu , les clercs notabillisés du "monde" et consorts formatés au système restent lamentables !!

    l’économie c’est pour les nantis , les inféodés et les affidés .

    • Concernant la dérive libérale du monde, il faut lire absolument le livre de Laurent Mauduit "Petits conseils" chez Stock.

      Ancien du journal "Libération" et du "Monde", il montre bien l’évolution de ces journaux, rattrapés par la crise de la presse et normalisés avec les capitaux de ces messieurs du CAC 40.
      Pousser le P.S. le plus à droite possible est un de leur but. Il s’agit d’installer un capitalisme de type anglo-saxon et d’en finir avec "l’exception" française.

      Pour eux, la position française sur l’Irak ou bien le vote "non" pour le T.C.E. sont des situations qu’ils ne veulent pas revivre. Ils se donnent les moyens de la manipulation.
      Pour ce qui me concerne, je pense que ce qu’ils ont fait pour le réferendum de 2005 n’est rien à côté de ce qui est en cours pour ces présidentielles.

      Le soir du 22/04/07, la seule chose susceptible de les perturber serait un bon score de M.G.B..

      Mic

  • A cette vitesse-là, camarades, Blair n’est pas seulement de gauche : il est communiste !

    Ben voyons...
    Pour certains, Jesus Christ aussi.

    Pauvre Le Boucher... La campagne est médiocre parce que les journalistes dans son genre sont extrêmement médiocres, complaisants et mornes sur le fond, derrière une vigueur toute de façade.

  • 75 % de la population entre 15 et 64 ans a un emploi, contre 63 % en France.

    On un emploi ? Certes la bonne question est qu’elle type d’emploi ? 5h, 15h.../semaines.

    Non cela ne s’appel pas un emploi, cela s’appel exploitation, soumission, obligation de...

    Le jour ou les êtres humains aurons assimilés que leurs vies est temporel, autrement dit une conscience d’être dans un espace temps éphémère.

    La vie ne peut pas se résumer à la grosseur d’un billet de banque.

    Bref, nous sommes loin très loin de la réalité avec nos problèmes d’existence matérielles.

    Dom.P

  • http://www.humanite.fr/journal/2006-05-13/2006-05-13-829755

    Emploi, pauvreté, logement, santé : les vrais chiffres du faux modèle Blair

    Le Royaume enchanté

    de Tony Blair,

    par Philippe Auclair. Éditions Fayard, 2006. 19 euros.

    C’est le livre d’un homme en colère. Choqué par l’image d’Épinal que médias et partis politiques donnent du miracle britannique. Anglophile, le journaliste témoigne de l’aberrante mystification que recouvre ce modèle si cher aux partisans de la « modernité » et autres « réformes » libérales. Le chapitre le plus éloquent est consacré à l’emploi. Le taux de chômage de 5 % est cité en exemple à longueur d’antenne. Or Christina Beatty et Stephen Fothergill de l’université de Sheffield ont plongé au fond du chapeau de magicien pour en sortir des statistiques soigneusement lissées : on a oublié de compter les malades inemployables... L’épidémie atteint tout le pays. Deux fois plus qu’en Allemagne, quatre fois plus qu’en Italie ! Record d’Europe. Les 2 600 000 victimes de cette maladie imaginaire et les 42 % de faux chômeurs font grimper le taux miracle à plus de 8 %. Pas de quoi pavoiser. Quant aux vrais malades, s’ils veulent franchir la barrière d’hôpitaux à la dérive, il leur faut puiser dans le bas de laine. S’ils en ont un.

    Tony Blair a fait aussi fructifier l’héritage de Mme Thatcher et des conservateurs. La fortune souriant aux plus riches, leurs revenus ont augmenté de 288 % sous son règne, le nombre de pauvres atteignant le record de 13 millions (un tiers des enfants). Le royaume construit moins de logements sociaux qu’en 1925. Certes, l’immense majorité des Britanniques sont propriétaires de leur logement, devenu le moyen de garantir les retraites, tant elles sont chiches et les mutuelles quasi inexistantes. On a donc recours à l’emprunt hypothécaire (comme aux États-Unis) pour assurer ses vieux jours, en louant son sweet home et en priant pour que les taux d’intérêt ne montent pas.

    Le boom de la consommation est entretenu par la multiplication des cartes de crédit liées aux chaînes de distribution. Les trois quarts des sujets de sa majesté du New Labour sont dans le rouge. On dénombre 170 000 faillites quotidiennes. Le déficit du budget public est passé de zéro à l’arrivée du roi Tony à mille milliards d’euros, en comptant les sommes dues pour les retraites des fonctionnaires, curieusement gommées des statistiques. C’est le bilan d’un tricheur. La dernière trouvaille des « projets public-privé » vide encore plus le budget en nourrissant les profits. Sous un flot de discours sur la fatalité de ses réformes, le royal Tony Blair a jusqu’ici aseptisé syndicats, opposition et citoyens, réduits à s’abstenir majoritairement aux élections soumises à un système de bipartisme qui broie l’espoir de changement. Les municipales récentes semblent néanmoins annoncer la fin de ce règne d’adaptation à un capitalisme financier triomphant. Désormais, le roi est nu.

    Jacques Coubard