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120 anciens candidats intentent un procès à la télé-réalité

Publie le mardi 3 juin 2008 par Open-Publishing
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de Emmanuel Berretta

À 31 ans, l’avocat Jeremy Assous est devenu la terreur des chaînes privées et des producteurs de télé-réalité. Sa victoire contre TF1 dans l’affaire de L’Île de la tentation, où trois participants se sont vu reconnaître par la cour d’appel de Paris le statut de "travailleur" avec tous les avantages y afférents, a ouvert une brèche dans laquelle un torrent judiciaire s’est engouffré. Depuis février, pas moins de 120 anciens candidats, accourus d’un peu partout en France, lui ont confié la défense de leurs intérêts. Les demandes d’indemnisation vont de 150.000 à 600.000 euros, selon "la durée d’exploitation" durant laquelle les candidats estiment avoir "travaillé".

Des procès vont ainsi s’ouvrir contre Endemol (producteur de Secret Story , de Loft Story , Star academy ), contre Adventure Line ( Koh Lanta ), contre W9, filiale de production de M6 ( Les colocataires , Pékin Express , Nouvelle Star )... L’affaire commence à faire du bruit car, en dépit des années qui se sont écoulées, les procès sont parfaitement recevables. En matière civile, la prescription est trentenaire.

16.000 euros d’indemnités pour travail clandestin

"Ces participants ont déjà tenté de faire des procès, explique Jérémy Assous. Mais les avocats qu’ils ont rencontrés les ont dissuadés sur le mode : "Vous plaisantez ? Si vous attaquez TF1, vous aurez les meilleurs avocats contre vous. Vous n’avez aucune chance. Et ça va vous coûter très cher." Pour de "simples gens", l’argument du pot de terre contre le pot de fer fut longtemps dissuasif. Jéremy Assous, lui, affirme se contenter de 1.000 euros d’honoraires hors taxes par client. Il entend se rémunérer plus tard en prélevant un pourcentage sur les dommages et intérêts accordés par les tribunaux en cas de victoire.

Et si on se bouscule au portillon dans les prétoires, c’est que le pactole judiciaire pourrait être très élevé. Par exemple, dans l’affaire de L’Île de la tentation , la cour d’appel de Paris a condamné TF1/Glem à payer à chacun des plaignants 16.000 euros d’indemnité pour travail dissimulé, 817 euros au titre des congés payés, 8.176 euros au titre des "heures sup’", 500 euros de dommages et intérêts pour licenciement irrégulier et 1.500 euros pour rupture abusive de contrat... Et encore, le tournage de L’Île de la tentation ne dure que quinze jours. Pour la Star Academy, qui dure 16 semaines, 24 heures sur 24, les montants deviennent colossaux ! Le code prévoit que le travail clandestin donne lieu à une pénalité correspondant à 6 mois d’indemnité minimum. Dans ces conditions, ça chiffre très vite !

TF1 conteste la notion même de travail

TF1 s’est pourvu en cassation contre cet arrêt. "Nous contestons l’existence même de la notion de travail, explique Édouard Boccon-Gibod, le président de Glem, la filiale de production de TF1 qui réalise L’Île de la tentation . Se laisser filmer dans un endroit paradisiaque pour vivre sa propre vie et tester ses propres sentiments, sans aucune instruction de la production, ne peut pas être assimilé à un travail. Quant au travail clandestin, il faudra qu’on nous explique comment on peut être clandestin quand on est filmé pour la France entière..." La Une n’a jamais payé les participants, ni même défrayé ses "pensionnaires" durant le tournage, précisément pour éviter l’ornière du droit du travail.

TF1 a toutefois tenu compte de la jurisprudence de la cour d’appel de Paris en supprimant, pour l’édition 2008 de L’Île de la tentation , tout ce qui pouvait permettre aux juges de considérer l’existence d’un lien de subordination des participants vis-à-vis de la production. "Les candidats avaient jusqu’ici une obligation de se tenir à disposition de la production le temps du tournage. Nous avons supprimé cette disposition, c’est tout. Ils sont libres d’aller et de venir comme bon leur semble."

Difficile d’imaginer un tournage désormais soumis aux caprices des candidats qui peuvent, à tout moment, plier bagage... Et pourtant, TF1 s’y est résigné. Simplement, pour limiter le risque d’abandon, la Une a augmenté le nombre de "candidats remplaçants". Jéremy Assous essaie de prouver que le producteur donne des ordres durant le tournage. Il dispose d’un certain nombre de documents écrits, comme la "bible du candidat" de l’émission Aventure sur le Net (TF6), ou des "notes éditoriales". Mais la pièce clef indiscutable, elle, a disparu : il s’agit des rushs des émissions. Où sont-ils passés ? Les producteurs avancent qu’avec les caméras numériques désormais utilisées, les fichiers contenant les rushs des éditions précédentes ne sont pas conservés d’une année sur l’autre. Ils sont écrasés informatiquement.

Les candidats de la Nouvelle Star : des artistes comme les autres ?

En l’absence de telles pièces, l’avocat doit se contenter d’opérer une démonstration juridique. Le cas des tentateurs de L’Île de la tentation est peut-être le plus facile à traiter. Pour Assous, leur situation est assimilable à celle des artistes. "Ils jouent un rôle, celui de tenter. C’est donc bien qu’ils reçoivent des instructions, assure l’avocat. Tout comme les participants de la Nouvelle Star ou de la Star Academy , ils assurent une prestation : celle du chant concourant à un programme de divertissement, à l’instar de n’importe quel artiste. D’ailleurs, quand une célébrité participe à une émission de télé-réalité - je pense à Christophe Dechavanne par exemple - , ne vous inquiétez pas, il dispose d’un contrat de travail et il est rémunéré. C’est donc bien le droit du travail qu’il s’agit d’appliquer."

Le contrat de jeu ou le contrat de travail ?

Chez Adventure Line ( Koh Lanta ) comme chez Endemol, concernant Secret Story , on rétorque que la législation du travail ne s’applique pas quand il s’agit d’un jeu. Le candidat ne serait pas, dans ce cas, un travailleur mais un joueur. Jérémy Assous dégaine aussitôt un contre-argument : "La notion de jeu n’est pas incompatible avec la notion de travail. Les joueurs professionnels, ça existe, non ?" Deuxième argument : Assous réfute la notion de jeu en analysant l’article 1964 du Code civil qui régit précisément le "contrat aléatoire" applicable au jeu et au pari. "Un jeu, c’est quand les effets, avantages ou pertes, dépendent d’un événement incertain. Or, où est l’aléa pour le producteur ou le diffuseur ? Aucun. L’élection ou le gain ne sont que des prétextes pour les producteurs, car ce qui importe c’est que les participants, du fait de leur prestation, contribuent à l’élaboration et à la fabrication du format audiovisuel, et ce, même s’ils sont éliminés."

"Si on va par là, ça voudrait dire que le candidat de Questions pour un champion ou Des c hiffres et des lettres pourrait donc lui aussi demander à ce qu’on indemnise son travail clandestin ? Ridicule !", assène-t-on chez les producteurs. Les juges ont désormais entre les mains les moyens de dynamiter la télé-réalité en France, voire la télé tout court.

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