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A Lyon, un hôpital privé flambant neuf va être détruit

Publie le mardi 8 juin 2004 par Open-Publishing
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Les bâtiments sont encore debout. Les grues aussi. L’ensemble a plutôt fière allure, mélange de béton, de métal et de bois. L’hôpital privé Jean-Mermoz devait ouvrir ses portes en 2003, dans le 8e arrondissement de Lyon, à proximité des facultés de médecine et de l’hôpital public Edouard-Herriot.
Le projet figurait parmi les pôles privés les plus ambitieux réalisés en France : 28 848 m2, destinés au regroupement de trois cliniques privées lyonnaises d’excellence, appartenant à la Générale de santé (chaîne de cliniques privées). Le projet global, estimé au départ à 48 millions d’euros, comprenait trois structures, une maison médicale, une clinique réservée à l’hospitalisation et un institut d’oncologie, dotés de matériel de pointe : scanner, accélérateur de particules, etc.

Mais voilà, la totalité de ces bâtiments presque achevés va être livrée... aux bulldozers. Les constructions souffrent en effet d’une série de graves malfaçons : piliers de travers, fissures dans les dalles, poutres de béton mal coulées. L’opérateur, la Société civile immobilière (SCI) de l’Europe, filiale de la Générale de santé, a lancé, vendredi 4 juin, un appel d’offres pour des travaux de démolition.

L’histoire de cet incroyable gaspillage financier commence à l’été 2002, lorsque l’entreprise chargée du gros œuvre, Charles Queyras Constructions (STGD), une société de Gap (Hautes-Alpes), est placée en redressement judiciaire. Le chantier, lancé en grande pompe un an et demi plus tôt en présence du maire de l’époque, Raymond Barre (app. UDF), est suspendu en septembre 2002 lorsque la société dépose son bilan.

Sur le terrain, les propriétaires découvrent les premières malfaçons et saisissent la justice pour demander une expertise. Un pré-rapport, remis à l’été 2003, conduit la Générale de santé à opter pour la démolition d’un premier bâtiment, le plus avancé, la maison médicale. Le 1er décembre 2003, les 3 600 m2, qui devaient accueillir une quarantaine de bureaux de consultation, pour 80 praticiens, sont tout simplement rasés.

Deux mois plus tard, en février, le rapport définitif remis à la justice conclut cette fois à la destruction totale des deux bâtiments restants, construits à 75 % : l’institut d’oncologie de 3 500 m2, qui devait regrouper un centre de radiothérapie, un espace de curiethérapie et douze cabinets de consultations ; enfin la clinique, d’une superficie de 21 653 m2, conçue pour abriter, notamment, vingt et une salles d’opération, cinq box de soins d’urgence, une crèche, un restaurant.

Les conclusions des experts, Henry Duc Dodon et Pierre Martin, ont été sans appel. "Les capacités portantes de ces structures sont douteuses, tant les désordres sont variés ainsi qu’excessivement nombreux, et des effondrements sont à craindre", écrivent-ils. Les deux experts estiment que les responsabilités de ce désastre sont largement partagées entre les différents intervenants : l’entreprise de gros œuvre, bien sûr, mais aussi l’architecte et maître d’œuvre, Françoise Jourda - qui selon eux n’a pas pu ignorer "les malfaçons apparentes" -, les bureaux d’études, ceux de contrôle et aussi la Générale de santé.

Les experts considèrent que cette dernière a "privilégié les considérations financières au détriment de la qualité des ouvrages". Ils relèvent que le maître d’ouvrage a "accepté le risque de confier les travaux à une entreprise n’ayant aucune référence pour des travaux de cette technicité, étant en grosse difficulté financière et dont l’offre était respectivement de 13 % plus basse que l’estimation des maîtres d’œuvre et 25 % que les autres offres des concurrents".

Interrogé sur ce point, le directeur régional de la Générale de santé "conteste" ces conclusions. "A aucun moment, explique Pierre-Yves Guiavarch, la Générale de santé, avant l’arrêt du chantier, n’a été informée du caractère irréversible des malfaçons." La Générale de santé fait valoir que la société Queyras a emporté le marché parce que "son offre se situait dans les fourchettes financières préétablies".

La Générale de santé ne nie cependant pas qu’elle connaissait les difficultés financières de l’entreprise retenue, mais elle les relativise. "Au moment de la signature du marché, nous avions une entreprise en plan de continuation, et non en liquidation judiciaire, qui présentait des perspectives de pouvoir continuer convenablement son ex-ploitation", se défend Pierre-Yves Guiavarch.

Alors que le tribunal de grande instance de Lyon ne s’est pas encore prononcé sur la solution préconisée par les experts, l’opérateur a finalement décidé d’anticiper cette échéance afin de relancer le chantier et de préserver ses droits sur le permis de construire en cours, en lançant la procédure de destruction totale du chantier. Il a surtout voulu éviter une association catastrophique dans l’esprit du public avec l’effondrement de Roissy : "Mermoz, c’est l’anti-Roissy", assurent les communicants de la Générale de santé. "Aucune partie ne conteste plus l’opportunité de cette solution, explique le directeur régional de la Générale de santé. C’est pourquoi nous pouvons maintenant lancer l’opération." Les experts ont chiffré le coût de la démolition-reconstruction à 17,2 millions d’euros. A ce surcoût s’ajoutent les travaux réalisés dans les trois cliniques existantes, en raison du retard pris par leur regroupement, 2,5 millions d’euros.

La démolition doit intervenir à partir de la première quinzaine d’août, pour s’achever à la mi-janvier 2005. La Générale de santé estime que le nouveau chantier pourrait débuter en mars 2005. Les bâtiments pourraient être livrés au second semestre 2007, soit cinq ans après la date initialement prévue. Convaincu que "la pertinence du projet reste intacte", le groupe n’a pas modifié le concept initial, sauf la capacité d’accueil, qui sera portée de 209 à 228 lits.

La maîtrise sera désormais scindée. La conception sera confiée au même cabinet d’architectes, Jourda, l’exécution à l’entreprise Coteba, renforcée par un bureau d’études, Arcadis. L’hôpital Mermoz a tous les atours d’un bel éléphant blanc.

http://www.lemonde.fr/web/article/0,1-0@2-3228,36-367836,0.html

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