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Ce que l’éthique communiste n’est pas
Publie le mardi 21 septembre 2010 par Open-Publishing3 commentaires
de Emrah Kaynak
Saisi à travers la sphère idéologique bourgeoise, le communisme se confond avec une doctrine de renoncement et un égalitarisme grossier. Le socialiste passe pour un être primitif dépourvu de tout sens gustatif ou esthétique. Le communisme prend, selon cette interprétation triviale, la forme d’un principe de contrainte absolu menant à la standardisation des esprits alors que le capitalisme est présenté comme un principe de jouissance infini.
L’argent, dans la société capitaliste, est la mesure de toutes choses devant lequel tous les hommes s’inclinent, ceux qui en manquent comme ceux qui en abondent. L’argent, principe de puissance, est devenu sa propre norme.
Le renoncement est le substrat du capitalisme et non du socialisme comme l’écrit Karl Marx dans ses Manuscrits de 1844 : « le renoncement à soi-même, le renoncement à la vie et à tous les besoins humains est sa thèse principale. Moins tu manges, tu bois, tu achètes des livres, moins tu vas au théâtre, au bal, au cabaret, moins tu penses, tu aimes, tu fais de la théorie, moins tu chantes, tu parles, tu fais de l’escrime, etc., plus tu épargnes, plus tu augmentes ton trésor que ne mangeront ni les mites ni la poussière, ton capital. Moins tu es, moins tu manifestes ta vie, plus tu possèdes, plus ta vie aliénée grandit, plus tu accumules de ton être aliéné.
Tout ce que l’économiste te prend de vie et d’humanité, il te le remplace en argent et en richesse et tout ce que tu ne peux pas, ton argent le peut : il peut manger, boire, aller au bal, au théâtre ; il connaît l’art, l’érudition, les curiosités historiques, la puissance politique ; il peut voyager ; il peut t’attribuer tout cela ; il peut acheter tout cela ; il est la vraie capacité. Mais lui qui est tout cela, il n’a d’autre possibilité que de se créer lui-même, de s’acheter lui-même, car tout le reste est son valet et si je possède l’homme, je possède aussi le valet et je n’ai pas besoin de son valet. Toutes les passions et toute activité doivent donc sombrer dans la soif de richesse. L’ouvrier doit avoir juste assez pour vouloir vivre et ne doit vouloir vivre que pour posséder ».
L’ouvrier est asservi par la force des choses à ce culte de l’argent et de la possession. C’est le capitalisme qui en a fait ce qu’il est aujourd’hui. Le marxisme n’absolutise en rien cette tragique condition et il souhaite encore moins la généraliser en tant que norme universelle. Au contraire, cette condition, perçue par Marx comme la négation même de la condition humaine, ne pourra être dépassée que par une révolution sociale qui supprimera le paradigme salariat-patronat, prolétariat-bourgeoisie.
Le communisme se distingue tout autant de l’indéterminisme et de la fuite dans l’intériorité du stoïcisme que de la libération transcendante et abstraite du judéo-christianisme qui exclut les plaisirs prosaïques et érige la pauvreté en idéal. La pensée religieuse accorde à la souffrance et au dénuement une vertu salvatrice.
Friedrich Nietzsche, dans Généalogie de la morale, critiquait vigoureusement la posture ascétique comme principe contraire à la vie. Il ne s’agit pas de s’abstraire de la réalité par la force de l’imagination mais de s’y projeter corps et âme pour la transformer, pour devenir partie prenante de sa propre existence.
La servitude consumériste est l’aliénation du sujet aux choses c’est-à-dire le fait d’accorder aux objets des puissances magiques, de les personnifier : la possession de tel produit vous rendra heureux, plus libre, plus intelligent, respecté ; telle marque vous correspond parfaitement,…
Le caractère bourgeois d’un produit ou d’une activité est attaché plus à son sens social qu’à son essence. Dépossédé de cette valeur distinctive ou élitiste, celui-ci perd pour la bourgeoisie son attrait. La chasse (ou l’équitation) n’est pas en soi un passe-temps bourgeois mais elle en prend la forme dans un contexte défini.
La quête ininterrompue de plaisirs immédiats, consumés dans l’acte de consommation même, ne peut que déchoir en un hédonisme nihiliste. Un désir assouvi cède ipso facto sa place à un désir inassouvi.
L’égoïsme, la fièvre acquisitive, et l’individualisme acharné ont une base matérielle ; ils sont le reflet des conditions concrètes d’une matrice économico-culturelle qui prescrit, au bénéfice de sa propre rationalité, des conduites de consommation préfigurées.
Un homme est libre s’il est souverain de ses choix non pas dans leur détermination libre mais dans la compréhension de leurs causes efficientes. Une passion cesse d’être une passion sitôt qu’elle devient intelligible et transparente. Pour être à proprement parler libre, il ne s’agit pas de faire ce qu’on veut mais de gouverner sa volonté.
Pour le communiste, l’existence ne se réduit pas à l’addition de plaisirs disloqués. Les besoins et les plaisirs sont modulés par un principe d’unité et de continuité : la manifestation croissante des virtualités humaines, l’expansion des forces vitales, que seule l’émancipation collective potentialise. Marx n’a cessé de mettre l’émancipation individuelle au cœur de son projet, au point qu’il le concevait comme une association où "le libre développement de chacun est la condition du libre développement de tous". Autrement dit, le Je et le Nous s’engendrent dans une union dialectique. L’être s’engage dans un mouvement fédératif avec tout le dynamisme de sa subjectivité, sans renoncer à ce qui le caractérise. Le dirigisme étatique, la subordination de la créativité, la coercition intellectuelle sont donc absolument étrangers au projet marxiste.
Les valeurs éthiques du socialisme -la solidarité, le désintéressement, l’engagement, etc.- constituent la voie d’accès à une société fondée sur de nouvelles relations humaines. La vertu du prolétariat ne réside pas dans sa condition miséreuse et dans son impuissance présumée mais dans la prise de conscience collective de son dessein historique. Le prolétariat est une classe condamnée à s’émanciper par ses seules forces.
Le socialisme est l’affirmation exaltante de la vie, affirmation déconstructrice et créatrice. Il revient à l’homme de se définir et de définir un horizon de sens en construisant son avenir. De tous les biens, notre destin est certainement la chose la plus importante à s’approprier.
Messages
1. Ce que l’éthique communiste n’est pas, 21 septembre 2010, 13:44, par copas
1. Ce que l’éthique communiste n’est pas, 22 septembre 2010, 11:11, par Mengneau Michel
"c’est un mouvement pour libérer les êtres humains des obligations économiques et de l’asservissement des moules prédéterminés de la production."
Tout est dit, et je conseille beaucoup à ceux qui encore raisonnent comme l’URSS productiviste de contester la notion de produire comme facteur de bien-être, car ce serait une erreur profonde de croire que produire est source de richesses, pour les actionnaires oui, pour le peuple ce peut être une forme contestable de mieux-être, mais pas forcément de bien-être, cette nuance est d’importance.
Il y a aussi "l’économie" qu’il va faloir contester, sortir de la réflexion économique pour reconstruire une société tout autre, c’est à dire plus basée sur les liens que sur les biens.
Excellent article, et merci Copas pour le complément très instructif duquel j’ai tiré la citation.
2. Ce que l’éthique communiste n’est pas, 2 janvier 2011, 21:03
"L’être s’engage dans un mouvement fédératif avec tout le dynamisme de sa subjectivité, sans renoncer à ce qui le caractérise. Le dirigisme étatique, la subordination de la créativité, la coercition intellectuelle sont donc absolument étrangers au projet marxiste."
Le projet marxiste est donc à rapprocher du projet anarchiste.
Quand les communistes comprendront-ils que c’est l’autorité, économique, mais aussi politique, qui est la cause de nos maux ?