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Nucléaire et Greenpeace : Le secret-défense à nouveau au tribunal

Publie le dimanche 27 novembre 2005 par Open-Publishing

Info issue du site Greenpeace France :

Paris, France - 11h30 mercredi 19 février 2003, en plein centre ville de Chalon-sur-Saône, 25 militants de Greenpeace bloquaient un camion transportant près de 150 kg de plutonium pendant son trajet entre l’usine Areva/Cogema de La Hague et le site nucléaire de Marcoule (Gard). L’organisation écologiste entendait ainsi dénoncer publiquement et pacifiquement ce trafic quasi-quotidien de quantités considérables de plutonium à travers toute la France. Trente mois après, l’actualité nucléaire et les conditions dans lesquelles se déroulent les débats publics sur l’EPR et la gestion des déchets radioactifs montrent combien les problématiques liées au plutonium restent confuses, complexes et ô combien importantes.

12 militants de l’association écologiste poursuivis pour "entrave à la circulation", le Président, François Veillerette et le Directeur de l’époque Bruno Rebelle poursuivis pour "dégradation aggravée volontaire" (1) et Greenpeace en tant que personne morale (15 entités en tout) passent lundi 28 novembre devant le Tribunal de Grande Instance de Chalon-sur-Saône. Les militants risquent deux ans de prison ferme et 4 500 euros d’amende ; partie civile, Cogéma réclame 2000 euros de dommage matériel pour la peinture du container, 30 000 euros pour le préjudice moral et 15 000 euros pour les frais de justice au titre de l’article 700. Face à ces accusations, l’actualité du secret-défense montre bien l’utilité et la légitimité de ce type d’action pour obtenir, enfin, des informations nécessaires et indispensables de la part de l’industrie nucléaire.

"Sans cette action symbolique d’envergure, le public n’aurait jamais été informé des risques qu’il encourt car l’industrie nucléaire fonctionne dans l’opacité la plus complète, analyse Yannick Rousselet, chargé de campagne Nucléaire à Greenpeace France. Est-ce que sans ce blocage nous aurions vécu une soirée comme celle du 14 novembre dernier à Caen où la Commission nationale du débat public a expressément demandé aux autorités représentés par messieurs Lallemand (2) et Lacoste (3) de s’exprimer sur l’accès à l’information pour tout ce qui concerne l’industrie nucléaire ?"

En stoppant ce camion à quelques mètres de l’entrée de la caserne militaire "Carnot", Greenpeace faisait la démonstration que la distinction que tente de faire l’industrie nucléaire entre nucléaire "civil" et nucléaire militaire n’est qu’un artifice de communication. Les autorités ont depuis donné raison à Greenpeace et reconnu officiellement que le transport de plutonium issu du retraitement pose un problème spécifique lié aux risques de prolifération nucléaire. Pour autant le combat sur l’information est loin d’être gagné. Le 9 août 2003, on pouvait découvrir dans le journal officiel un arrêté du 24 juillet relatif à la protection du secret défense national, suivi d’un nouvel arrêté daté 26 janvier 2004, mettant sous le sceau du secret l’information sur les matières nucléaires.

"Aujourd’hui en France, c’est le secret Défense qui rythme l’accès à l’information sur le nucléaire. Greenpeace se doit de combattre ce type de situation et de pratique absolument anti-démocratiques. Les sanctions et les peines encourues par les dirigeants de l’association mis en cause sont extrêmement lourdes et symboliques. Nous refusons d’être bâillonnés de cette matière et continuerons de dénoncer par tous les moyens possibles l’opacité nucléaire", explique Pascal Husting, directeur général de Greenpeace France.

Pour mémoire.
Que faut-il retenir de ces quelques 6 heures de réunion sur le "secret" (au choix défense, industriel ou commercial) organisée conjointement par les commissions du débat public sur l’EPR et les déchets nucléaires à Caen le 14 novembre dernier ?

Concernant le secret-défense :
- Après l’intervention de Monsieur Lallemand, Haut Fonctionnaire de Défense, son périmètre reste flou et arbitraire mais, au moins, nombre d’intervenants se proposent d’améliorer cette situation ;
- Confirmation officielle a été faite que les industriels ont le pouvoir de décider d’apposer un tampon secret défense sur leurs documents. La seule règle d’encadrement semblant être l’arrêté secret défense de 2004 particulièrement vaste et peu précis ;
- Le Haut Fonctionnaire de Défense explique que sa mission consiste également à éviter les abus de tampon mais il ne répond ni à la question posée sur les moyens dont il dispose (vérifications surprises ? validations ? procédures ?) ni à la méthodologie adoptée qui reste elle mystérieuse.

Concernant l’aspect juridique du secret-défense :
- L’intervention de Mr Prieur, spécialiste en Droit de l’Environnement laisse à penser que les bases légales du secret défense "à la française" semblent bien fragiles ... Une question juridique importante à suivre.

Concernant la dangerosité du plutonium :
- Mr Lallemand a affirmé que, oui, le plutonium de La Hague est considéré comme une matière proliférante. Areva n’était pas là pour expliciter pourquoi ses porte paroles continuent d’affirmer le contraire... dommage !

Mais de nombreuses questions restent sans réponse, par exemple :
L’uranium de retraitement est-il couvert par le secret défense ? EDF avait considéré comme indécente une question portant sur cette matière et son utilisation au cours d’un débat précédent, on ne sait toujours pas pourquoi...
Quelles conséquences auraient un attentat grave sur le réacteur EPR ou sur La Hague ? Monsieur Lacoste répond que la prévention des attentas est organisée et que des simulations sont parfois organisées pour tester les capacités de secours. Très bien mais... ce n’était pas la question posée !

Concernant les suites à donner à cette réunion :
- Sur proposition de Benjamin Dessus, un groupe de travail associant experts, industriels et administrations va s’atteler à clarifier le périmètre du secret défense et trouver des solutions méthodologiques pour pouvoir débattre de nucléaire ;
- La CNDP a déjà décidé d’une expertise comparant l’accès à l’information dans différents pays européens nucléarisés et ce groupe de travail devrait être constitué en fin de semaine ou en début de semaine prochaine selon Mr Mathieu président de la commission EPR.

Pour Greenpeace, il paraît donc nécessaire que la CNDP utilise la possibilité que lui offre la loi de prolonger les débats de deux mois et que ce délai supplémentaire soit mis à profit pour avancer sur le problème du "secret défense". Il serait dommage que les résultats de ces travaux d’expertise complémentaire indispensables débouchent... après les débats ! L’EPR est envisagé pour 2012, possède une durée de vie de 60 ans et les déchets étant là, eux, pour des millénaires, il ne paraît pas incongru de s’accorder deux mois supplémentaires pour essayer de créer les conditions d’un débat public plein et entier.

Finalement, on notera l’annonce de monsieur Salha, directeur de la division ingénierie nucléaire d’eDF. Rappelant que l’opérateur n’a "aucune volonté de [se] cacher derrière le secret commercial" et qu’il possède "l’esprit d’ouverture" pour expliquer ses activités, eDF publiera le Rapport préliminaire de sûreté de l’EPR, du moins une version "expurgée des éléments sensibles" mais pas avant six mois. Effort notoire certes mais peut-être inutile car le débat public sera ... terminé.

Notes :
(1) - Les militants ont inscrit "Ici 20 bombes" à la peinture sur le camion
(2) - Monsieur Lallemand est Haut-commissaire de défense au Ministère de l’industrie. Il est l’auteur des arrêtés secret-défense signés après le blocage de Chalon-sur-Saône. Il est aussi à l’origine de la censure de la contribution du Réseau Sortir du nucléaire sur la vulnérabilité de l’EPR en cas d’attaque type 11 septembre dans le cahier d’acteur du débat public.
(3) - Monsieur Lacoste est directeur de la DGSNR (Direction Générale de la Sûreté Nucléaire et de la Radioprotection)