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Suisse : Le procès des manifestants d’Aubonne tourne à celui de la police

Publie le mercredi 30 juin 2004 par Open-Publishing

Le Tribunal a maintenu pour l’essentiel les peine infligées aux trois altermondialistes qui avaient bloqué l’autoroute durant le G8. Mais a permis de mettre à jour une opération de police pour le moins chaotique.

La résistance s’organise

Répression - Militants, victimes de violences policières, avocats et psychologues d’une dizaine de pays sont venus soutenir les accusés et débattre de la résistance à la répression.

« J’étais là quand la rumeur a couru qu’un manifestant (Martin Shaw, ndlr) était mort. C’était comme si mon fils mourrait une seconde fois. » Depuis un triste jour de juillet 2001, Heidi Giuliani s’est investie d’une mission : faire qu’aucun autre jeune ne subisse le sort de Carlo, son fils de 23ans, abattu par la police italienne lors d’une manifestation anti-G8 à Gênes. Hier, ce combat l’a ramenée en Suisse, plus d’un an après un autre Sommet des Huit qui raviva son cauchemar. Au Tribunal d’arrondissement de Nyon, elle est venue soutenir Martin et Gesine, car « en Italie aussi on confond les accusés et les victimes », dit-elle d’une voix douce, maniant l’euphémisme sans acrimonie aucune. Elle pose aussi une question subversive : « Combien vaut une vie humaine dans une société consumériste ? »

A l’instar de Heidi Giuliani, une centaine d’altermondialistes ont convergé d’une dizaine de pays européens pour suivre ce procès « exemplaire » en terre vaudoise. Et « lancer un cri d’alarme face au renforcement, dans toute l’Europe, des mécanismes de répression », selon l’avocat catalan Robert Sabata. En guise d’exemple, le porte-parole de la Commission Droits fondamentaux et mondialisation[1] souligne le « fichage » des spectateurs opéré au tribunal nyonnais hier, mais aussi la semaine dernière lors d’un procès similaire à Gênes. « D’expérience, nous savons que ces relevés vont grossir les fichiers policiers. »

Vaincre la peur

Plus largement, c’est le droit à la libre-expression qu’entendent défendre les supporters des activistes du pont d’Aubonne. « On les accuse d’avoir bloqué une route. Mais ma ville entière a été bloquée par la police pendant plusieurs jours à cause de huit personnes », brocarde Heidi Giuliani. Plus juridique, l’avocat milanais Gilberto Pagani, du Legal Team Europa, observe que le droit de manifester librement est garanti par la Convention européenne des droits de l’homme et qu’il ne peut être « subordonné » au droit de circuler sur une autoroute. « On fait comme si manifester contre le G8 était un crime, alors qu’au contraire, c’est un devoir », plaide à son tour Me Sabata.

Devoir toujours plus difficile à remplir, si l’on en croit les activistes. A cause de nouvelles entraves légales ou de procès du type de celui de Nyon, mais surtout d’une véritable « stratégie de la peur » suivie par les autorités politiques, selon Gesine Wenzel. L’Allemande parle même d’une « justice dans la rue », en référence à la violence exercée « en toute impunité » par la police à l’égard de manifestants. Des « punitions extrajudiciaires » visant à laisser des « séquelles psychologiques », accuse-t-elle.

Face à cet écueil, Gesine, Martin et le Groupe d’Aubonne[2] multiplient les contacts internationaux. Le week-end dernier, une centaine de personnes ont débattu à l’Usine de Genève de « la montée de la répression politique et policière en Europe » et de ses conséquences sur les militants. Ou sur le mouvement altermondialiste, car violence policière et impunité répandent la peur bien au-delà du cercle militant, dénonce un militant genevois qui a participé à la rencontre de l’Usine : « Certains hésitent à retourner à une manifestation. C’est grave, car la décision de manifester ne devrait jamais dépendre de la peur. »

L’apport des psychologues

Originalité de la rencontre : aux classiques militants antirépression se sont joints victimes, juristes et surtout psychologues, qui ont placé au centre de leurs débats la prévention du traumatisme. « Après une agression, chacun réagit à sa façon. Il est parfois trop tard pour agir. En revanche, on peut réduire fortement les risques en se préparant sérieusement avant une manifestation. »

Un accompagnement psychologique qui demande une « expertise » pour laquelle les quelques cinquante mouvements représentés à l’Usine envisagent de « renforcer leur collaboration. » Avec, en ligne de mire, la constitution d’un réseau ad hoc, à l’instar des juristes progressistes regroupés en Legal Team Europa.

Benito Perez

Paru le Mardi 29 Juin 2004 dans Le courrier

Notes :

[1] http://www.globaldr.org
[2] http://www.aubonnebridge.net.