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En septembre 2025, le Népal bascule dans une crise historique
En septembre 2025, le Népal bascule dans une crise historique : la génération Z renverse le gouvernement, propulsant Sushila Karki, première femme Première ministre intérimaire, au pouvoir. Entre révolte pour les libertés, lutte contre la corruption et convoitises autour de l’uranium du Mustang, le pays se trouve à la croisée des chemins, sous le regard stratégique de l’Inde et de la Chine.
Le Népal traverse une tempête historique, secoué par une crise sans précédent qui pourrait redéfinir son avenir. Le 12 septembre 2025, Sushila Karki, ancienne juge en chef de la Cour suprême, devient la première femme Première ministre intérimaire, portée au pouvoir par un soulèvement massif de la génération Z. Ce mouvement, qui à forcer la démission de l’ex-Premier ministre K.P. Sharma Oli, est salué par certains comme un élan démocratique. Pourtant, il soulève des questions cruciales sur les dynamiques géopolitiques régionales et l’enjeu stratégique de l’uranium découvert dans le Mustang en 2014, une ressource qui place le Népal au cœur des convoitises internationales.
Le 8 septembre 2025, une étincelle met le feu aux poudres : l’interdiction controversée de vingt-six plateformes de médias sociaux, perçue comme une atteinte aux libertés fondamentales, déclenche des manifestations d’une ampleur exceptionnelle. (Facebook, TikTok , X, Instagram, WhatsApp, Discord etc..)
Menées par la génération Z, ces protestations, initialement centrées sur les libertés numériques, se transforment rapidement en une révolte nationale contre la corruption endémique, le népotisme et les inégalités économiques criantes. La colère populaire atteint son paroxysme : le palais de Singha Durbar, cœur symbolique du pouvoir népalais, est partiellement incendié, tandis que le Parlement est vandalisé. Le bilan humain est tragique : soixante-douze morts et plus de 1 300 blessés, selon les chiffres officiels. Sous une pression populaire écrasante, Oli capitule et démissionne, contraignant l’armée à instaurer un couvre-feu national pour endiguer le chaos.
Dans cette tourmente, Sushila Karki, 73 ans, émerge comme une figure d’espoir et de consensus. Plébiscitée par les manifestants à travers des consultations organisées sur des plateformes numériques comme Discord, elle est choisie pour son intégrité irréprochable et son combat de longue date contre la corruption. Première femme à avoir occupé le poste de juge en chef du Népal en 2016, Karki s’engage avec fermeté à organiser des élections libres et transparentes le 5 mars 2026, tout en promettant de répondre aux aspirations de la jeunesse : « éradiquer la corruption, instaurer une gouvernance intègre et promouvoir une justice économique pour tous ».
Karki, une juriste au destin exceptionnel, née en 1952 à Biratnagar, dans l’est du Népal, s’est forgée une réputation d’acier au fil d’une carrière exemplaire. Diplômée en sciences politiques de l’Université hindoue de Bénarès en 1975 et en droit de l’Université Tribhuvan en 1978, elle a gravi méthodiquement les échelons du système judiciaire népalais. Son mandat de juge en chef (2016-2017) reste marqué par des décisions courageuses, notamment l’annulation de nominations gouvernementales controversées, comme celle d’un chef de police en 2017.
Ces prises de position lui ont valu une tentative de destitution, qualifiée de « politiquement motivée » par les Nations unies, renforçant son image de magistrate incorruptible. Dès son entrée en fonction, Karki agit avec une détermination sans faille. Elle visite immédiatement les blessés dans les hôpitaux, promet une indemnisation d’un million de roupies népalaises aux familles des victimes, qu’elle honore comme des « martyrs de la révolution », et nomme trois ministres clés pour stabiliser le pays : Om Prakash Aryal (Intérieur), Rameshwar Prasad Khanal (Finances) et Kulman Ghising (Énergie).
Sa mission s’annonce cependant colossale : restaurer l’ordre dans un pays fracturé, reconstruire des infrastructures dévastées (avec des pertes estimées entre 1 et 1,5 milliard de dollars) et répondre aux attentes d’une jeunesse impatiente, tout en manœuvrant dans un contexte géopolitique régional particulièrement explosif. Au cœur de cette crise, un facteur stratégique majeur attise les tensions : la découverte d’uranium dans la région reculée du Mustang en 2014. Bien que son exploitation soit entravée par des défis logistiques et environnementaux significatifs, cette ressource positionne le Népal comme un enjeu géopolitique crucial. Pris en étau entre l’Inde et la Chine, deux puissances nucléaires aux ambitions divergentes, le pays devient un terrain de rivalités intenses. La Chine, qui investit massivement dans les infrastructures népalaises via l’initiative des « Nouvelles Routes de la soie », voit dans l’uranium une opportunité stratégique pour consolider son influence régionale. L’Inde, soucieuse de préserver son hégémonie himalayenne, surveille avec une attention particulière les avancées chinoises, notamment dans la région sensible du Tibet.
Pour la Chine comme pour l’Inde, une révolution au Népal serait analysée non pas idéologiquement mais stratégiquement, à l’aune exclusive de leurs intérêts fondamentaux. Pékin jugerait le nouvel régime sur sa capacité à garantir la stabilité frontalière du Tibet et à contenir l’influence occidentale, tandis que New Delhi l’évaluerait sur sa volonté de préserver la sphère d’influence indienne dans l’Himalaya. Les deux puissances réagiraient avec un pragmatisme similaire : toute instabilité à Katmandou serait perçue comme une menace, mais un gouvernement stable respectant leurs intérêts respectifs serait accepté, qu’il soit démocratique ou non. Leur objectif commun serait d’éviter que le Népal ne bascule dans le camp adverse, faisant de ce petit État l’enjeu silencieux de leur rivalité régionale.
La crise népalaise s’inscrit aussi dans un contexte régional volatile, marqué par des bouleversements majeurs. Au Pakistan, la chute d’un gouvernement modéré a plongé le pays dans une instabilité persistante. Au Bangladesh, la montée de l’extrémisme religieux exacerbe les tensions sociales et politiques. Cet arc d’instabilité qui encercle partiellement l’Inde ouvre également un front potentiel pour la Chine, particulièrement au Tibet où les revendications autonomistes pourraient être attisées par les troubles régionaux. À court terme, Karki fait face à une tâche herculéenne : restaurer la confiance dans des institutions discréditées, mener des enquêtes crédibles sur les violences des manifestations et reconstruire un pays meurtri.
La dissolution du Parlement, bien que critiquée comme inconstitutionnelle par certains juristes, et la promesse d’élections en mars 2026 ont apaisé temporairement les tensions, mais la légitimité de ce processus demeure fragile.
Le mécontentement persistant de la jeunesse, combiné aux défis économiques structurels, pourrait raviver les flammes de la révolte si les réformes promises tardent à se concrétiser. À plus long terme, le Népal risque de rester un acteur stratégique dans le jeu géopolitique régional.
L’uranium du Mustang, bien que difficile d’accès, pourrait attiser les convoitises étrangères, accentuant les pressions sur le gouvernement intérimaire. Si Karki parvient à maintenir une neutralité stratégique équilibrée et à transformer l’élan de la révolution Z en réformes institutionnelles durables, le Népal pourrait amorcer un renouveau historique.
Mais un échec à répondre aux attentes populaires ou une instrumentalisation par des puissances extérieures pourrait précipiter le pays dans une instabilité chronique, alimentée à la fois par les rivalités régionales et les fractures internes persistantes.
L’ascension de Karki incarne à la fois l’espoir d’un Népal plus juste, porté par la fougue réformatrice de sa jeunesse, et la vulnérabilité d’un pays pris dans l’étau des rivalités asiatiques.
Entre la lutte contre la corruption, la gestion délicate de la ressource stratégique que représente l’uranium du Mustang et les pressions géopolitiques multiformes, sa mission est d’une complexité redoutable.
Les prochains mois seront décisifs pour déterminer si le Népal peut transformer cette crise en une opportunité de renouveau démocratique ou s’il succombera aux forces centrifuges internes et externes qui le menacent. Pour l’heure, Katmandou reste sous les feux croisés des observateurs internationaux, témoin à la fois impuissant et actif de sa propre métamorphose.
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