Gaza ou la fin de l’humanité

16 décembre 2023 la forêt de Yablokov

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Hervé Kempf
16 décembre 2023

Se taire devant le massacre perpétré par l’État d’Israël n’est plus possible, écrit Hervé Kempf dans cet édito. La violence occulte le principal défi de l’avenir : des conditions d’existence dignes pour toute la région.

Des pluies diluviennes se sont abattues le 14 décembre sur la bande de Gaza, ajoutant encore des difficultés à une situation déjà intenable pour la population, soumise depuis plus de deux mois à une violence démesurée.

On compte — selon le ministère de la Santé du Hamas — plus de 18 000 morts depuis le déclenchement de l’offensive israélienne en octobre. Rapporté à la population française, c’est comme si 600 000 personnes avaient été tuées en France. Les bombardements sur les habitantes et habitants de la bande de Gaza constituent des « crimes de guerre », selon l’expression de l’historien Omer Bartov, un « génocide », selon la Fédération internationale pour les droits humains, dont la Ligue française des droits de l’Homme est membre. Parmi le fracas des bombes, le silence assourdissant des politiques frappe, entre autres sidérations suscitées par ce drame. Un être humain ne peut pourtant rester silencieux devant le massacre que poursuit l’État d’Israël. Mais les responsables politiques français, presque tous, se taisent.
Des pluies diluviennes se sont abattues sur la bande de Gaza. Capture écran France 2 / Bader12000

La violence des actes terroristes conduits par le Hamas le 7 octobre ne peut justifier les actes que conduit, à une échelle décuplée, Israël. Car le 7 octobre n’a pas été un coup de tonnerre dans un ciel serein, mais la réponse du Hamas à la colonisation de la Cisjordanie poursuivie depuis des années par le gouvernement israélien. Comme l’a dit le journaliste Charles Enderlin, « on savait que tôt ou tard, il allait se passer quelque chose, les Palestiniens n’allaient pas accepter la politique annexioniste » menée par le gouvernement de M. Netanyahou.

Pourquoi Reporterre, journal centré sur l’écologie, appelle-t-il à un cessez-le-feu, prenant position sur ce conflit géopolitique apparemment éloigné des enjeux dont nous traitons quotidiennement ? Une réponse simple est : l’évidente compassion suscitée par une vengeance aveugle.
Duel au gourdin ou la Rixe, l’une des peintures à l’huile sur plâtre de Goya.

Mais il nous faut ici décaler le regard, en relisant Le contrat naturel, du philosophe Michel Serres, paru en 1990. Le livre s’ouvre par la description d’un des tableaux les plus saisissants de Goya : deux hommes qui se battent violemment à coups de gourdins. Le regard est attiré par la scène, dont Goya montre la saisissante âpreté, le sang qui coule sur le visage de l’un des personnages, les bâtons durs qui vont atteindre les crânes. Mais Serres nous dit : « Regardez ailleurs… » Voyez où sont les hommes, où ils s’enfoncent, ce qui leur arrive, ce qu’ils oublient : dans leur acharnement à se détruire, ils s’enfoncent lentement dans le marais, dans le sol spongieux qui va les avaler, ne laissant ni vainqueur ni vaincu. Ils oublient le monde, l’autour, l’ailleurs, et vont être submergés. Serres montrait au lecteur que, dans l’agitation humaine du temps, on oubliait l’essentiel : la nature, ce monde que notre activité frénétique détruit dans l’indifférence, préparant l’impossibilité de vivre correctement, parce que les bases même de la vie auront été réduites.

Ce ne sont pas seulement les pluies diluviennes sur Gaza qui font aujourd’hui penser à ce sol spongieux où l’humanité s’enlise, pas même l’écocide que poursuit l’État d’Israël dans sa colonisation de la Palestine, en détruisant les oliviers, en accaparant les eaux, en dévastant la bande de Gaza. Mais aussi les sécheresses récurrentes et aggravées qui s’annoncent au Proche-Orient du fait du changement climatique, et qui devrait inciter à la coopération plutôt qu’à une guerre éternelle où il n’y aura que des vaincus. Pendant qu’Israël poursuit la colonisation de la Palestine au mépris du droit des peuples et de la communauté internationale, l’effort meurtrier détourne l’attention du principal défi de l’avenir : la sauvegarde de conditions d’existence dignes pour toute la région.

« En dehors d’une utopie, il n’y a pas de solution possible »

Décalons autrement le regard. Dans un livre marquant paru en 2009, Les guerres du climat (éd. Gallimard), l’anthropologue allemand Harald Welzer alertait sur le risque que la crise écologique conduise à une guerre généralisée. Mais l’auteur allait plus loin : alors que le chaos écologique — si on le laisse s’aggraver — créera de plus en plus de désordre géopolitique et de mouvements de population, les populations des pays riches tendront à accepter, pour protéger leur confort, l’abandon, voire la répression brutale des populations livrées à un sort misérable et leur demandant de l’aide. Comme le formule bien Pablo Servigne, « Welzer montre comment une société peut lentement et imperceptiblement repousser les limites du tolérable au point de remettre en cause ses valeurs pacifiques et humanistes, et sombrer dans ce qu’elle considérait comme inacceptable quelques années auparavant. (…) Les habitants des pays riches s’habitueront aussi probablement à des politiques de plus en plus agressives envers les réfugiés ou envers d’autres États, mais surtout ressentiront de moins en moins cette injustice que ressentent les populations touchées par les catastrophes. C’est ce décalage qui servira de terreau à de futurs conflits ». L’inhumanité avec laquelle nous acceptons des milliers de noyés en Méditerranée fait ici écho au silence que fait résonner le drame de Gaza.

Mais prenons garde. Nul ne se relèvera de la barbarie où conduit l’égoïsme ou la lâcheté. Ce qui se passe en Palestine se déroule « aujourd’hui dans un contexte de fascisation mondialisée » constate le chercheur Omar Jabary Salamanca Lemire, cité par Mediapart. Accepter le massacre perpétré par l’État d’Israël, c’est préparer d’autres drames à venir, dans une course inextinguible à l’horreur menée par des monstres convaincus que la force est la seule puissance.

Plus que jamais, la paix s’impose. Il faut le dire, calmement, sans crainte d’aucun discours de haine. La paix, maintenant. Et dire l’espoir, qui vaut pour la Palestine comme pour une humanité confrontée au destin écologique. Le mot nous en vient d’une écrivaine libanaise, Dominique Eddé : « En dehors d’une utopie, il n’y a pas de solution possible. » Nous appelons à l’utopie de la paix.

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