Bellaciao
La Caisse des Dépôts : logique financière et casse sociale au menu de l’État actionnaire ?
Les années se suivent et se ressemblent pour le groupe Caisse des Dépôts (CDC) : les indicateurs financiers sont au vert, mais la réalité des entreprises françaises reflète une autre vérité, beaucoup moins reluisante. Entre logique financière et casse sociale, la stratégie de la CDC pose question.
C’est l’heure des comptes pour le groupe Caisse des Dépôts (CDC) qui, fin mars, a publié ses résultats 2024. Avec 69,1 milliards d’euros de fonds propres agrégés – en croissance constante depuis 2018 – et un résultat net agrégé de 5,1 milliards d’euros, le groupe CDC affiche des voyants au vert. Pour la CDC au moins, qui ne cache pas de s’intéresser surtout à sa boutique. Antoine Saintoyant, directeur des participations de la CDC le rappelait sans ambages en 2024 : « La gestion des participations stratégiques est l’un des quatre métiers de l’Établissement public Caisse des Dépôts. Son rôle est d’assurer le pilotage des filiales et des participations stratégiques du Groupe. Qu’est-ce qu’une participation stratégique ? C’est une entreprise qui par son activité contribue aux objectifs stratégiques du groupe Caisse des Dépôts. C’est une entreprise dont la Caisse des Dépôts est actionnaire, un actionnaire de long terme, sans horizon de sortie prédéfinie, premièrement. Deuxièmement, c’est un actionnaire actif dans la gouvernance, et troisièmement, c’est un actionnaire qui vise un certain niveau de rentabilité pour que l’entreprise puisse contribuer au résultat du groupe Caisse des Dépôts. » « Rentabilité », le mot est lâché, et ce n’est pas une figure de style. Dans ces résultats annuels, certains indicateurs sont en effet flatteurs, comme les 20,9 milliards de prêts en faveur du logement social et de la politique de la ville. Voilà pour l’annonce, et l’autosatisfaction. Mais derrière ces résultats apparemment positifs se cache une stratégie financière synonyme parfois de casse sociale.
Investir sur les marchés et tant pis pour le climat
Officiellement, le groupe CDC – qui réunit la Caisse des Dépôts et Consignation ainsi que de nombreuses filiales ayant des participations dans des entreprises publiques – constitue l’un des bras armés de l’État pour faire fructifier l’épargne des Français. Ses trois objectifs sont inscrits noir sur blanc : soutenir la transformation écologique, la souveraineté de l’économie et la cohésion sociale et territoriale. A croire que le directeur des participations n’a pas lu la brochure… Car il y a un hic : les faits tendraient à prouver le contraire, tant la logique financière s’est imposée au fil des années comme la boussole nº1 des dirigeants du groupe.
Cette stratégie s’illustre de deux manières : des investissements prononcés sur les places boursières européennes et le lâchage de certaines entreprises françaises qui mériteraient pourtant d’être soutenue. Pour investir sur les marchés, le groupe CDC s’est tourné vers Euronext – la principale place boursière de la zone euro – dont il est désormais actionnaire à hauteur de 7,8% . Ses prises de participation en France et en Europe sont en effet nombreuses. En 2021 par exemple, le groupe CDC a renforcé sa position en Italie lors de l’acquisition de Borsa Italiana et de ses filiales par le consortium mené par Euronext, Cassa Depositi e Prestiti (CDP) et Intesa SanPaolo. Plus récemment, le groupe CDC – à travers Bpifrance et CDC Croissance – a été mobilisé sur les marchés liés aux entreprises de la tech française . L’appétit pour les places boursières est évident, avec bien évidemment les risques que cela comporte pour la gestion de l’épargne des Français.
De plus, parmi les nouveaux investissements du groupe dans le domaine de l’énergie, la filière « gaz » tient actuellement la corde. En contradiction avec ses objectifs liés à la transition écologique. En 2021, le groupe CDC – à travers son véhicule d’investissement Société d’infrastructures gazières (SIG) – a ainsi accentué son poids au capital de GRTgaz en rachetant les parts d’Engie (11,5%) pour un montant de 1,1 milliard d’euros. Au total, le groupe CDC détient désormais 39% de GRTgaz, qui vient d’être renommé NaTran en janvier dernier. Le choix d’investir dans les énergies fossiles peut paraître décalé par rapport aux bonnes intentions affichées par le groupe.
Des privatisations en ligne de mire
Cette politique apparente d’investissement cache une réalité de désinvestissement ciblé. En 2022, le retrait du groupe CDC d’Egis – qui compte 16000 salariés – lors de la privatisation de cette entreprise est venu entériner le désengagement de l’État dans une filière pourtant stratégique : l’ingénierie publique. Plus récemment, c’est une autre entité – Novethic, un centre de recherche pionnier de la transformation durable de l’économie – qui est en train de faire les frais de cette même politique. En 2024, sa situation financière est devenue particulièrement préoccupante, et la menace d’une disparition de cette institution d’intérêt public a largement préoccupé les représentants syndicaux des salariés de Novethic qui ont lancé une grève en octobre . « Nous recevons des informations parcellaires, plus ou moins officielles, parfois par la presse, sur la prochaine suppression de nos activités et de nos emplois. La plus récente mentionne la mise au vote, lors d’un comité d’engagement, d’une provision pour la possible fermeture totale de Novethic », déplorait alors le communiqué du CSE et de la SDJ de Novethic. Plus d’une vingtaine d’emploi sont en suspens.
Autre gros dossier, celui de Transdev, l’entreprise publique de transport urbain, nº1 mondial du secteur dans lequel l’État détient 66% des parts via le groupe CDC. L’année 2024 a été celle de toutes les rumeurs autour du désengagement de l’État qui cherche désespérément à renflouer ses caisses : privatisation totale ? Retrait conséquent au capital ? En novembre dernier, le groupe CDC a annoncé vouloir « rester un actionnaire significatif, de manière à conserver un rôle actif dans la gouvernance de Transdev, en veillant à l’ancrage français » tandis que les syndicats ont estimé que la participation de l’État pourrait chuter à 15%, ce qui constituerait une perte totale de contrôle et une menace évidente sur l’emploi. Pour Sophie Binet , la secrétaire générale de la CGT, cette privatisation déguisée « symbolise l’absence de politique industrielle d’Emmanuel Macron ou du moins son échec. L’État actionnaire doit exercer ses responsabilités, se doter de capacités d’action sur le tissu productif et ne doit pas se comporter comme un simple fonds d’investissement ». Le dossier n’est pas clos, le principal candidat à la reprise – le groupe allemand Rethmann – attend son heure. On repassera donc pour la préservation de la souveraineté industrielle française.
Les indicateurs macroéconomiques – au vert – sont une chose, la stratégie réelle de désengagement de l’État en est une autre. Entre des investissements boursiers nourris, des investissements dans des entreprises gazières allant à l’encontre de la décarbonation de l’économie et son retrait au capital de fleurons tricolores, le groupe CDC – et à travers lui l’État actionnaire – n’est pas en ligne avec ses objectifs officiels. Difficile dans ces conditions de crier victoire avec des chiffres.
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