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BRICS ou BRACS : Va-t-on vers un « Nouvel Ordre Mondial » ou un « Nouveau Désordre Mondial » ?
“Agreeing that something needs to change is one thing, but agreeing on how to work together is another” (Nils Adler, Can BRICS create a new world order ? Al Jazeera, August 22, 2023).
“The world is facing four deficits : a growing governance deficit, a trust deficit, a development deficit, and a peace deficit (Xi Jinping, Boao, China, Forum for Asia Annual Conference, April 20, 2021).
Introduction
La non admission de certains pays du « Sud Global » comme l’Algérie, l’Indonésie, le Nigéria et tant d’autres—qui avaient postulé leur adhésion aux BRICS—a suscité beaucoup de controverse dans les médias écrits et audio-visuels sur les critères qui ont été utilisés par les leaders du groupement pour admettre certains nouveaux membres et pas d’autres dont la candidature a été pressentie. Si la question des critères et des règles d’entrée aux BRICS a une certaine importance, elle n’est pas le sujet primordial de notre propos dans le présent papier, d’autant que plusieurs autres forums internationaux (G7, G20, et autres) n’ont pas, non plus, de critères formellement établis pour admettre ou refuser de nouveaux membres en leur sein. La vraie question est de savoir si les BRICS (ou les autres groupements internationaux) sont sur la voie de l’établissement du Nouvel Ordre Mondial dont il est question depuis les années 1970, ou, au contraire, s’ils ajoutent au désordre actuel du monde aggravé par la pandémie du covid-19 (2019) et la guerre Russo-Ukrainienne (2022).
Depuis le milieu des années 1970—et même avant, dans les années 1950-60)—les pays du Sud Global (appelés autrefois pays du Tiers-Monde) n’ont pas cessé de s’insurger contre la dominance et l’influence exercées par le Nord Global (en particulier les pays de l’Ouest) sur un monde où le schisme entre les « Haves » et les « Have Not » se creuse continuellement de décennie en décennie. Les pays du Sud Global soulignent particulièrement l’incapacité du Nord Global et des institutions internationales qu’il a créées—ONU, FMI, Banque Mondiale, OMC, OMS, etc)—à faire face aux catastrophes écologiques et sanitaires, notamment la pandémie du covid-19, et à mettre fin aux guerres qui sévissent dans certaines régions du monde, notamment la guerre en Ukraine, mais pas seulement. Les tentatives passées de réformer ou de re-former l’ordre mondial actuel (qui est plus un désordre mondial) par les groupements au Sud aussi bien que ceux au Nord de la planète n’ayant pas réussi à mettre de l’ordre dans la Maison-Monde, de nouvelles initiatives ont été prises—les BRICS au Sud et le G7 et G20 au Nord—pour établir un Nouvel Ordre Mondial.
Réussiront-elles, cette fois-ci, là où les précédentes ont échoué, c’est la question à laquelle nous tenterons de répondre dans le présent article. Pour ce faire, nous diviserons notre propos en trois volets. Le premier passera en revue les tentatives des années 1950-70 de changer le cours des affaires du monde. Le second volet examinera les efforts des groupements du Nord Global (G7 et G20) de mettre de l’ordre dans le fonctionnement des institutions internationales. Le troisième volet se penchera sur les efforts du Sud Global (principalement des BRICS) pour établir un Nouvel Ordre Mondial plus juste, plus équitable et plus stable.
Les tentatives des années 1950-70 d’établir un Nouvel Ordre Mondial
Nous verrons d’abord comment est née l’idée du « Nouvel Ordre Economique International » (NOEI), puis sa formulation officielle aux Nations-Unies.
Les premiers initiateurs du « Nouvel Ordre Economique International »
L’idée du NOEI—et du Nouvel Ordre Mondial plus généralement parlant—n’est pas nouvelle. Elle remonte aux années 1950 et même avant, en 1947, à la Conférence dite « Asian Relations Conference (ARC) qui s’était tenue à New Delhi (Inde) du 23 mars au 2 avril 1947 à l’initiative de l’ICWA (Indian Council of World Affairs) dirigée par le Premier Ministre Indien Jawaharlal Nehru, dont le but était de « promouvoir les échanges culturels et sociaux entre les pays d’Asie ». Assistaient aussi à la Conférence , à titre d’observateurs, plusieurs mouvements de libération nationale. Cependant, en raison de suspicions sur une hégémonie de la Chine et de l’Inde, cette Conférence n’a pas eu de suite.
Une décennie plus tard, en 1955, une autre Conférence appelée « Asian-African or Afro-Asian Conference » (AAC), ayant eu lieu du 18 au 24 avril 1955 à Bandung (West Java, Indonésie), rassemblait 29 pays représentant 1,5 milliard d’habitants (54% de la population mondiale de l’époque) à l’initiative de cinq pays : Indonésie, Burma (aujourd’hui Myanmar), Inde, Ceylan (aujourd’hui Sri Lanka) et Pakistan. L’objectif principal de cette Conférence était « la promotion de la coopération Afro-Asiatique sur les plans culturel et économique et la lutte contre le colonialisme et néo-colonialisme sous toutes ses formes et quelle que soit son origine ». Les principales questions soulevées lors de la Conférence concernaient : le refus des puissances occidentales de se concerter avec les pays Asiatiques et Africains sur les tensions créées par la Guerre Froide, notamment les tensions entre l’ex. URSS et les Etats-Unis, mais aussi entre la Chine et les Etats-Unis ; leur opposition au colonialisme et au néo-colonialisme, notamment en Afrique du Nord, en particulier en Algérie ; la question du différend entre l’Indonésie et les Pays-Bas sur la question de « New Guinea », ainsi que d’autres sujets.
Deux années plus tard, une autre Conférence intitulée « Afro-Asian Peoples’ Solidarity Conference » (AAPSC) était organisée du 26 décembre au 1er janvier 1957 au Caire (Egypte) et avait confirmé les principes adoptés à la Conférence de Bandung.
Cinq années après la AAPSC, une autre Conférence, qui marquera le début du mouvement dit « Mouvement des Non-Alignés » (MNA), avait eu lieu à Belgrade (ex. Yougoslavie) du 1 au 6 septembre 1961. Cette Conférence, initiée par trois grandes figures du Non-Alignement, Josip Broz Tito (ex. Yougoslavie), Gamal Abdel Nasser (Egypte), et Jawaharlal Nehru (Inde) réunissait 25 pays Afro-Asiatiques dont trois pays observateurs (Bolivie, Brésil et Equateur). Le résultat majeur de cette Conférence a été de « promouvoir une voie indépendante de politique mondiale qui chercherait à éviter que les Etats Afro-Asiatiques ne devinrent des pions dans les luttes entre les grandes puissances. L’autre objectif était de réformer et restructurer l’ordre économique international ». Les critères requis pour être membre du MNA étaient : avoir adopté une politique indépendante basée sur la coexistence entre Etats ayant des régimes politiques différents ; et ne pas être aligné sur le bloc soviétique, dominé par l’ex. URSS, ou le bloc occidental dominé par les Etats-Unis.
En vue de mettre en œuvre les objectifs du MNA, un groupe de pays—qui sera appelé G77 (Groupe des Soixante-Dix-Sept)—constitué originellement de 77 pays, et qui s’élargira à 134 pays aujourd’hui avait été créé le 15 juin 1964 par les 77 pays non-alignés originaux. Le G77 a élaboré une Déclaration dite « Déclaration Conjointe des Soixante-Dix-Sept pays » adoptée lors de la Conférence des Nations-Unies sur le Commerce et le Développement » (CNUCED) à Genève, le 15 juin 1964. Cette Déclaration indique, dans son premier alinéa, « The developing countries named above [les 77 pays non-alignés originaux] recognize the United Nations Conference on Trade and Development as a significant step towards creating a new and just world economic order” (les pays ci-dessus [les 77] reconnaissent la CNUCED comme étape cruciale dans la création d’un nouvel ordre économique plus juste). La première réunion du G77 a eu lieu à Alger (Algérie) et a eu pour résultat l’adoption, du 10 au 25 octobre 1967, de ce qui sera appelé la « Charte d’Alger des 77 » inspirée largement par l’éminent économiste Argentin Raul Prebisch.
Cette Charte stipule, dans un de ses alinéas, « The international community has an obligation to rectify these unfavourable trends [les désavantages des pays en développement] and to create conditions under which all nations can enjoy economic and social well-being, and have the means to develop their respective resources to enable their peoples to lead a life free from want and fear” (La communauté internationale a le devoir de rectifier ces tendances [les désavantages des pays en développement) et de créer les conditions dans lesquelles toutes les nations peuvent jouir du bien-être économique et social et disposent des moyens de développer leurs ressources respectives en vue de permettre à leurs peuples de vivre une vie sans privation ou peur). La Charte d’Alger est suivie du « Programme d’Action » qui énumère tous les domaines et problèmes que la communauté internationale doit discuter et résoudre : les marchandises, le commerce, le financement du développement, l’endettement, les questions monétaires, etc. Le G77 est aujourd’hui présidé par Cuba et aura sa réunion les 15 et 16 septembre 2023 à la Havane (Cuba) avec pour thème « Les défis du développement : le rôle de la science, technologie et innovation ». Il faut aussi noter qu’au sein du G77 a été créé, en 1971, un sous-groupe dit « G24 » (Groupe des Vingt-Quatre), qui, aujourd’hui comprend 28 pays (donc devenu le G28), ayant son siège à Washington, dont la mission principale est de s’assurer que les pays en développement aient leur mot à dire dans les forums concernant les questions monétaires et financières internationales en relation avec le développement.
La formulation officielle de l’idée du « Nouvel Ordre Economique International »
L’idée de l’établissement d’un Nouvel Ordre Economique International a été concrétisée et officialisée lors de la 4è Conférence du Mouvement des Non-Alignés qui s’était tenue à Alger (Algérie) du 5 au 9 septembre 1973. Dans la Déclaration adoptée par cette Conférence adoptée le 1er mai 1974, il était demandé au Secrétaire Général de l’ONU (Kurt Waldheim, à l’époque) de convoquer une Session Spéciale de l’Assemblée Générale de l’ONU pour aborder la question du développement et de la coopération internationale. La Déclaration stipule que « le présent ordre économique est en direct conflit avec les développements courants concernant les relations économiques et politiques internationales ». La Déclaration poursuit, « Nous proclamons solennellement notre détermination commune à travailler en urgence pour l’établissement d’un Nouvel Ordre Economique International basé sur l’équité, l’égalité dans le domaine de la souveraineté, l’interdépendance, l’intérêt commun et la coopération entre tous les Etats, quelque soit leur système économique et social, un Ordre qui corrigera les inégalités actuelles, rendra possible l’élimination de l’écart grandissant entre les pays développés et les pays en développement et assurera un développement économique et social accéléré et l’établissement de la paix et de la justice pour les générations présente et future ».
En vue de mettre en œuvre les principes et objectifs de cette Déclaration, l’ONU, dans sa Résolution 3202 (S-VI) du 1er mai 1974, a adopté un « Programme d’Action sur l’Etablissement d’un Nouvel Ordre Economique International », avec cinq actions majeures : « (a) résourdre les problèmes des matières premières et biens de nécessité en rapport avec le commerce et le développement ; (b) réformer le système monétaire international ; (c) encourager le développement industriel des pays en développement ; (d) formuler, adopter et appliquer un Code de Conduite concernant les entreprises multinationales ; et (e) élargir la coopération entre les pays en développement aux niveaux régional, sous-régional et international ». Parallèlement à ce Programme d’Action, l’ONU a aussi adopté la « Charte de l’ONU sur les Droits et Devoirs Economiques des Etats » qui définit les droits et devoirs des pays vis-à-vis de l’établissement d’un Nouvel Ordre Economique International.
Cependant, au cours de la deuxième moitié des années 1980, la question du Nouvel Ordre Economique International a commencé à s’éclipser des débats et des forums internationaux pour des raisons aussi bien internes qu’internationales. Au niveau interne, les pays non-alignés rencontraient des difficultés économiques et sociales de grande envergure qui avaient conduit à des émeutes sociales et des divergences politiques mettant en danger leur stabilité économique et politique. Au niveau externe, la dislocation du bloc soviétique et l’émergence de la Chine comme puissance sur la scène internationale ont accru les tensions entre superpuissances et ont fait passer les revendications pour un Nouvel Ordre Economique International à l’arrière-plan. Pour remettre à jour les questions de la réforme du système international, un groupe de pays—les BRICS (Brésil, Russie, Inde, Chine et Afrique du Sud)—a été constitué en 2009 pour remettre sur la table la question de l’établissement d’un nouvel ordre international. D’un autre côté, pour contrecarrer les tentatives de ce groupement de réformer l’ordre existant, les pays du Nord Global, composé essentiellement des pays occidentaux, ont créé des groupements parallèles prétendant, eux aussi, vouloir réformer les affaires du monde et établir un ordre meilleur. Nous verrons donc, successivement, le Nouvel Ordre International tel que projeté par les BRICS et celui que revendiquent les pays du Nord Global.
Le « Nouvel Ordre International » envisagé par les BRICS
Suite à la dissolution de fait de l’idée de Nouvel Ordre Economique International avancée par les Non-Alignés et le refus des pays du Nord de reconnaître les changements que ces derniers proposaient et compte tenu du contexte actuel des tensions entre les super puissances—la Chine/Etats-Unis et Russie/Etats-Unis, aggravées par la pandémie du covid-19 et surtout la guerre en Ukraine—les BRICS revendiquent à nouveau que des changements soient apportés à l’ordre, ou plutôt au désordre—mondial actuel et qu’un nouvel ordre soit établi pour corriger définitivement les déséquilibres croissants entre les pays du Nord Global et ceux du Sud Global. Mais qu’est-ce que les BRICS ? Quels sont leurs objectifs dans les domaines économique et politique ? Quel est le poids économique des BRICS ? Quel nouvel ordre proposent-ils ? (ce dernier est-il différent de l’ordre voulu par les Non-Alignés dans les années 1950-70) ? C’est à toutes ces questions que sera consacrée la section qui suit.
Qu’est-ce que les BRICS ?
L’acronyme BRICS a été inventé par l’économiste de la compagnie Goldman Sachs, Jim O’Neill. Dans son fameux rapport intitulé « Building Better Global Economic BRICS », publié le 30 novembre 2001, Jim O’Neill a constaté que cinq pays—Brésil, Russie, Inde, Chine et Afrique du Sud—ont atteint, collectivement, un PNB supérieur à celui du G7 (Groupe des Sept pays les plus avancés), soulignant ainsi l’émergence d’un nouveau groupe susceptible de concurrencer le G7 et de devenir prééminent sur la scène mondiale en 2050. Il suggère alors que le G7 intègre les BRICS en son sein pour renforcer sa capacité de gouvernance mondiale. Sur la base de ce rapport, un premier groupe restreint dénommé BRIC et composé de quatre pays—Brésil, Russie, Inde et Chine—a été constitué lors du Sommet du 16 juin 2009 tenu à Yakaterinburg (Russie) en présence des leaders des quatre pays : Lula da Silva (Brésil), Dmitry Medvedev (Russie), Manmohan Sing (India), et Hu Jintao (Chine).
Lors du deuxième Sommet des BRIC à Brasilia (Brésil) le 16 avril 2010, un autre pays a été admis au sein du groupe, représenté par le Président Sud-Africain Jacob Zuma, ce qui changera le nom de BRIC en BRICS (le S pour South Africa). Depuis, les BRICS ont tenu des sommets chaque année dans chacun des pays membres à tour de rôle : 2009 (Russie), 2010 (Brésil), 2011 (Chine), 2012 (Inde), 2013 (Afrique du Sud), 2014 (Brésil), 2015 (Russie), 2016 (Inde), 2017 (Chine), 2018 (Afrique du Sud), 2019 (Brésil), 2020 (Russie), 2021 (Inde), 2022 (Chine), et 2023 (Afrique du Sud), le prochain (2024) devant se tenir en Russie. L’évolution des BRICS ne s’est pas arrêtée là. Lors du récent Sommet du 22-24 Août 2023, ayant eu lieu en Afrique du Sud, le groupement, qui comprenait alors cinq pays, a admis six autres pays : Arabie Séoudite, Argentine, Egypte, Emirats Arabes Unis, Ethiopie, et Iran. Plusieurs autres pays qui avaient également postulé pour entrer aux BRICS, dont l’Algérie, n’avaient pas été acceptés. Ceci a donné lieu à une grande controverse dans les médias écrits et audio-visuels sur les critères d’admission. Ainsi donc, les BRICS sont devenus les BRICS-11.
Quels sont les objectifs majeurs des BRICS-11 ?
Les objectifs des BRICS-11, tels que réitérés dans la « Déclaration de Johanesburg II » adoptée lors du récent Sommet en Afrique du Sud, sont, principalement, au nombre de cinq : « promouvoir la paix dans le monde, établir un ordre plus juste et plus équitable, revigorer et réformer le système multilatéral, promouvoir un développement durable, et atteindre une croissance inclusive ». Les actions des BRICS, selon la même Déclaration, doivent être orientées vers trois domaines (appelés « piliers ») : « politique et sécurité, économie et finance, culture et coopération entre les peuples ». Parmi les objectifs des BRICS, la Déclaration souligne « la nécessité de réformer le système des Nations-Unies, y compris le Conseil de Sécurité, pour le rendre plus représentatif et plus démocratique ». En dehors de ces objectifs économiques, la Déclaration fixe aussi des objectifs politiques : « coopération pour la résolution pacifique des conflits—notamment les conflits en Syrie, Libye, Soudan, Yemen, Sahara Occidental et Ukraine—entre Etats à travers le dialogue, opposition aux sanctions (notamment celles prononcées contre la Russie et l’Iran) non entérinées par les lois internationales et la Charte de l’ONU, condamnation du terrorisme sous toutes ses formes, la lutte contre la corruption, une plus large inclusion des pays émergeants dans les organisations et groupements internationaux tels que le G20, la réforme des organisations comme celles de Bretton Woods (FMI, Banque Mondiale) et de l’OMC ». La Déclaration demande, entre autres, l’inclusion de l’Union Africaine au sein du G20 au même titre que l’Union Européenne, ce qui s’est concrétisé lors du Sommet du G20 à New Delhi (Inde) les 9 et 10 septembre 2023 sous la présidence Indienne.
Quelle est l’importance économique des BRICS-11 ?
Pour donner une idée plus ou moins exacte de l’importance économique des BRICS-11 dans l’économie mondiale, nous avons élaboré deux tableaux. Le tableau#1 montre le PNB de chaque pays des BRICS et son poids relatif dans le PNB mondial :
Tableau#1 : Importance des BRICS dans l’économie mondiale
Pays | PNB Total (milliards $) | PNB per capita ($) | % du PNB Total dans le PNB mondial | Taux de croissance du PNB (%) | |
I. ANCIENS BRICS : | |||||
1 | Brésil | 20 496 | 9 673 | 20 | 1,7 |
2 | Russie | 2 193 | 14 403 | 2 | 2,5 |
3 | Inde | 3 605 | 2 221 | 3,4 | 6,5 |
4 | Chine | 17 963 | 12 150 | 17,2 | 5,5 |
5 | Afrique du Sud | 407 | 6 043 | 0,4 | 3,9 |
II. NOUVEAUX BRICS : | |||||
6 | Argentine | 641 | 13 709 | 0,06 | 1,6 |
7 | Egypte | 387 | 3 644 | 0,03 | 4,2 |
8 | Ethiopie | 156 | 907 | 0,01 | 5,8 |
9 | UAE | 25 896 | 63 935 | 25 | 2,9 |
10 | Arabie Saoudite | 1 608 | 29 922 | 0,15 | 1,9 |
11 | Iran | 367 | 4 252 | 0,03 | 2,5 |
TOTAUX | 73 722 | 160 859 | 68,28 % |
Sources : A. Ighemat, base sur plusieurs sources, principalement, “Trading Economics Global Macroeconomic Models and Analysts Expectations, 2023. Soulignons que les chiffres varient parfois du simple au double selon les sources.
Le tableau#1 montre que le PNB des BRICS-11 considérés collectivement représente autour de 70% du PNB mondial, ce qui est énorme.
Le tableau#2 donne la production de pétrole de chaque pays membre des BRICS-11 dans la production mondiale de pétrole :
Tableau#2 : Production pétrolière des BRICS-11 dans la production mondiale
Pays | Production de pétrole (barils/jour) | Production nationale/Production mondiale (%) | |
I. ANCIENS BRICS : | |||
1 | Brésil | 3 107 | 2,3 |
2 | Russie | 11 202 | 11,9 |
3 | Inde | 737 | 0,8 |
4 | Chine | 4 111 | 4,4 |
5 | Afrique du Sud | 0 | 0 |
II. NOUVEAUX BRICS : | |||
6 | Arabie Séoudite | 12 136 | 12,9 |
7 | Ethiopie | 0 | 0 |
8 | Egypte | 613 | 0,7 |
9 | Argentine | 706 | 0,8 |
10 | EAU | 4 020 | 4,3 |
11 | Iran | 3 822 | 4,1 |
TOTAUX | 40 454 | 43,1 |
Source : A. Ighemat, basé sur Marcus Lu, Visualizing the BRICS Expansion in 4 Charts,
VisualCapitalist.com, August 24, 2023.
Le tableau#2 montre que la production pétrolière journalière des BRICS-11 représente presque la moitié de la production mondiale, ce qui permet au groupe d’avoir une influence très grande sur la politique mondiale de l’énergie. A cela, il faut ajouter que la population des 11 pays BRICS est de 3,7 milliards en 1923 sur une population mondiale de 8,04 milliards, soit environ 46%. Sur la base de ces chiffres et d’autres, certains analystes pensent que les BRICS vont être le groupe le plus dynamique à l’horizon 1050.
Quel « Nouvel Ordre Economique International » proposent les BRICS ?
Les BRICS-11—constatant que toutes les tentatives des pays Non-Alignés de réformer le système international en vigueur n’ont pas atteint leurs objectifs et que le désordre économique et politique à l’échelle mondiale s’est davantage aggravé ces dernières décennies—veulent remettre sur la table la question d’un Nouvel Ordre International. Ce « nouveau » Nouvel Ordre International se propose de corriger l’ensemble des déficits dont souffre le monde aujourd’hui. Ces derniers ont été rappelés par le Président Chinois Xi Jinping lors du Forum de Boao (Chine) des 18-21 avril 2021 qui avait pour thème « A World Change : Join Hands to Strengthen Global Governance and Advance Belt and Road Cooperation ». Xi Jinping considère que le monde souffre de quatre déficits : « un déficit de gouvernance grandissant, un déficit de confiance, un déficit de paix, et un déficit de développement ». Il y a lieu de noter, à la différence de ceux qui pensent que les BRICS mettent le focus sur les revendications économiques, que trois de ces déficits sont d’ordre politique (déficit de gouvernance, déficit de paix et déficit de confiance) et un seul déficit est d’ordre économique (déficit de développement). C’est dire l’importance des revendications politiques pour le Groupe des BICS-11. Les BRICS semblent donc être d’accord avec le constat de Xi Jinping et vouloir combler, cette fois-ci définitivement, ces déficits. Cette volonté a été réitérée lors du récent Sommet de Johanesburg qui, dans sa Déclaration finale, fixe deux objectifs économiques (développement durable et croissance inclusive) et trois objectifs d’ordre politique (promotion de la paix dans le monde, un système mondial plus représentatif des pays du Sud Global, et la réforme du système multilatéral en vue d’une plus grande sécurité, équité et stabilité du monde).
Quels sont précisément les réformes proposées dans ces deux domaines ? Quels sont les instruments mis en place pour concrétiser ces réformes ? C’est l’objet des paragraphes suivants.
Les réformes dans le domaine économique et financier
Pour avoir une idée de l’ampleur de ces réformes, nous passerons successivement en revue les objectifs des réformes et les instruments créés par les BRICS pour les mettre en œuvre.
Les objectifs des réformes économiques et financières
Outre un partage équitable des résultats du développement économique entre les pays du Sud et ceux du Nord, à travers des échanges économiques plus équilibrés, les BRICS-11 réclament une réforme du système monétaire et financier international. La Déclaration récente de Johanesburg stipule, dans son point 44, « Nous mettons l’accent sur l’importance d’encourager l’utilisation des monnaies locales [nationales] dans les relations commerciales et les transactions financières internationales entre les pays membres des BRICS ainsi qu’avec leurs partenaires commerciaux. Nous encourageons aussi le renforcement des réseaux bancaires entre les pays des BRICS et les paiements réciproques en monnaies locales ». L’idée et l’objectif d’utiliser les monnaies nationales dans les relations commerciales internationales est née de l’influence hégémonique du dollar américain comme monnaie internationale de réserve et de paiement. Les BRICS considèrent, en effet, que cette influence a des effets défavorables sur les économies des pays émergents et, encore davantage, sur les pays en développement. Outre les monnaies nationales des pays membres des BRICS, certains spécialistes des questions monétaires et financières internationales ont proposé l’utilisation d’autres instruments monétaires comme le Bitcoin, les SDRs (Special Drawing Rights, du FMI), etc. D’autres pensent que le système monétaire devrait retourner carrément au système du « Gold Stadard » établi en 1944 à Bretton Woods dans lequel les monnaies seraient à nouveau basées sur l’or. Toutes ces propositions entrent dans le cadre de ce qu’on appelle aujourd’hui la « dédollarisation ». Bien que cette dernière soit fortement souhaitée par les deux « Grandes Puissances » présentes dans les BRICS—la Chine et la Russie—le récent Sommet de Johanesburg a décidé que la dédollarisation ne serait pas la préoccupation immédiate et principale du récent Sommet du 22-24 Août 2023.
Les instruments mis en place pour mettre en oeuvre ces réformes
Pour réaliser les réformes souhaitées dans le domaine monétaire et financier, les BRICS ont créé, depuis 2014, une série d’institutions financières dont la mission principale est d’encourager les relations commerciales, monétaires et financières entre leurs membres et entre ces derniers et leurs partenaires commerciaux externes. Dans ce contexte, les BRICS ont créé trois institutions majeures qui remplaceraient, à terme, les institutions de Bretton Woods : la Nouvelle Banque de Développement (NDB), la « Contingency Reserve Arrangement » (CRA) et le « Business Council » (BC). La NDB—dont le siège est à Shanghai (Chine)—a pour objectif d’encourager le développement des relations commerciales et financières entre les pays membres des BRICS ainsi que le commerce entre les BRICS et leurs partenaires. La CRA—dont le siège se trouve à Moscou—fournit des crédits à court terme aux pays membres qui ont des besoins momentanés de liquidités. Le BC—dont le siège est à Johanesburg (Afrique du Sud) a pour tâche d’encourager le commerce et l’investissement entre les pays des BRICS.
Les réformes dans le domaine politique
Outre les réformes dans le secteur économique et financier, les BRICS veulent que le système de gouvernance mondiale soit plus inclusif et plus représentatif des pays émergents et des pays en développement qui constituent le Sud Global. Ils considèrent que le système de gouvernance mondiale actuel est dominé par un groupe de pays du Nord, notamment par les Etats-Unis et l’Europe. Ils veulent aussi participer de façon plus active à la prise de décisions sur les questions intéressant le monde dans son ensemble, notamment à la résolution des conflits entre Etats dont les principaux aujourd’hui sont les conflits en Syrie, Libye, Yemen, Soudan, Sahara Occidental, Palestine, et Ukraine.
Les BRICS réclament aussi une réforme des institutions multilatérales, y compris le Système des Nations-Unies qu’ils considèrent dominé par les Etats-Unis et l’Europe. Ils souhaitent et demandent à avoir une présence et une influence plus grande—à la mesure de leur nouveau poids économique et de l’importance de leur population, comme indiqués dans les tableaux 1 et 2 précédents—au sein de l’Organisation des Nations-Unies et plus particulièrement au sein du Conseil de Sécurité. Le fait que les Nations-Unies aujourd’hui soient largement dominées par les grandes puissances du Nord Global a été souligné de manière pertinente par certains spécialistes des questions internationales de la manière suivante : « While we need a UN-led World Order, the UN is largely on the sidelines of most critical issues. It remains struck in 78-year-old paradigms. No headquarters of any significant UN institution is located in East and South Asia where half of humanity lives. Even the staff members are overwhelmingly Western” (Bien que nous ayons besoin d’un Ordre Mondial conduit par l’ONU, celle-ci est [encore aujourd’hui] largement sur la touche concernant les questions globales les plus importantes. L’ONU demeure encore guidée par des paradigmes datant de plus de 78 ans. Aucun siège de ses organisations [spécialisées] ne se trouve en Asie de l’Est ou du Sud où la moitié de la population mondiale vit. Même son personnel est exagérément occidental » (Erik Solheim, An Emerging New Global Order, China Daily, 22 August 2023).
Les BRICS réaffirment cependant le rôle déterminant que les groupements établis par le Nord Global, comme le G20, occupent dans la réforme de l’ordre mondial actuel et dans la création d’un Nouvel Environnement Mondial basé sur plus d’équité et de justice. Le rôle important que joue le G20 avait été déjà souligné dans les précédents Sommets des BRICS, mais il a été réitéré lors du récent Sommet de Johanesburg dont la Déclaration finale indique, « Nous réaffirmons l’importance du G20 dans la continuité de son rôle de premier forum multilatéral dans le domaine économique international et dans la coopération financière qui concerne aussi bien les pays développés que les pays émergents, forum dans lequel les principales économies cherchent collectivement une solution aux défis globaux ». La Déclaration poursuit, dans le même contexte, « Par conséquent, nous nous engageons [à adopter] une approche équilibrée en vue de continuer à amplifier et intégrer la voix du Sud Global au sein de l’agenda du G20 dans les Sommets de 2023, 2024 et 2025 ». La question que l’on peut légitimement se poser est la suivante : « Les BRICS et les groupes tels que le G20 sont-ils prêts à coexister et à coopérer, ou au contraire constituent-ils deux pôles divergents et concurrents dans leurs tentatives respectives de réformer le système mondial actuel et d’établir un Nouvel Ordre plus juste et plus inclusif comme l’indique la Déclaration de des BRICS de Johanesburg. Pour tenter de répondre à cette question, il est nécessaire d’examiner les projets des groupes établis par le Nord Global, notamment le G7 et le G20 afin de voir quel type de réformes et quel Nouvel Ordre International ils envisagent de mettre en place.
Le Nouveau « Nouvel Ordre International » voulu par le Nord Global
Les pays du Nord de la planète prétendent, eux aussi, vouloir réformer le système économique et politique international actuel et établir un ordre plus juste, plus stable, plus prospère, plus coopératif et plus pacifique. Eux aussi affirment qu’ils ne sont pas satisfaits de l’état actuel de la planète et que celle-ci souffre de plusieurs tares dont les plus importantes sont le déséquilibre et l’inégalité entre le Nord Global (groupe des pays riches) et le Sud Global (pays émergents et pays en développement). Cette prétention à l’établissement d’un Nouvel Ordre International est celle de plusieurs organisations du Nord Global, mais deux dominent particulièrement : le G7 (Groupe des Sept) et le G20 (Groupe des Vingt). Quels sont les acteurs qui composent chacun de ces deux groupes ? Quelle sont leurs missions et objectifs ? C’est ce que nous développons dans les paragraphes suivants.
Le G7 et le G20 : Composition et mission
Le G7, qui est un groupe intergouvernemental informel des pays dits « libres » ou « démocratiques »–Etats-Unis, Canada, France, Allemagne, Italie, Japon, Royaume et, depuis 1981, l’Union Européenne comme membre collectif—a été créé à la suite d’un meeting des ministres des finances de ces pays en 1973 juste après la crise pétrolière. Le G7 invite aussi occasionnellement des pays en tant qu’observateurs. Avant de devenir le G7, le groupe était appelé G8 parce qu’il incluait la Russie. Cependant, à la suite de l’annexion de la Crimée en 2014 par la Russie, celle-ci a été exclue du groupe. L’Union Européenne a été admise en 1977 comme « non-enumerated member » (et, à ce titre, ne participe pas à la présidence du G20). Le Groupe se réunit au niveau des chefs d’Etats et de gouvernements annuellement, par rotation, mais des réunions à des niveaux inférieurs se tiennent tout au long de l’année pour préparer ces Sommets. Le G7 aborde toutes les questions internationales brûlantes du jour et les questions internationales traditionnelles comme le changement climatique, les questions de santé publique (comme le HIV et la pandémie du covid-19), les questions de développement, les questions énergétiques, la révision du système financier de Bretton Woods, etc. Dans presque toutes ses Déclarations, le G7 réaffirme son attachement à la réalisation de la prospérité internationale, l’aide au développement des pays en développement, la résolution des conflits entre Etats, et autres sujets concernant la planète. En 2007, le G7 a adopté ce qu’il a appelé « Partnership for Global Infrastructure and Investment » (PGII) comme une alternative à la « Belt and Road Initiative » (BRI) lancée par la Chine en 2013. A la fin des années 1990, le G7, prenant conscience de l’importance et de l’influence croissantes des pays émergents, décide de constituer un groupe plus élargi, incluant les pays émergents, qui prendra le nom de G20 (Groupe des Vingt).
Le G20 a été créé en 1999 à la suite de la crise financière asiatique pour résoudre la crise et discuter des questions économiques et financières globales. Le Groupe est composé de 19 pays plus l’Union Européenne : 8 pays développés (Australie, Canada, France, Allemagne, Italie, Japon, Royaume-Uni, USA), 11 pays émergents (Argentine, Brésil, Chine, Inde, Indonésie, République Sud-Coréenne, Mexique, Russie, Arabie Saoudite, Afrique du Sud, et Turquie) et l’Union Européenne (en tant que membre collectif). Etant au début un groupe au niveau des ministres des finances, il a été élevé au rang des chefs d’Etats et de gouvernements à la veille de la crise économique globale de 2007-2008. En 2009, le Groupe était déclaré comme « le premier forum économique de coopération mondiale ». Comme le G7, le G20 se réunit annuellement, selon le principe de rotation présidentielle, pour débattre des questions du jour et des questions géoéconomiques et géopolitiques internationales. Comme le G7, le G20 invite occasionnellement d’autres pays émergents pour participer en tant qu’observateurs. Le G20 a pour mission de « façonner et de renforcer l’architecture globale et la gouvernance mondiale ». Il prétend donc, comme le G7 et les BRICS, travailler pour un Nouvel Ordre International plus équilibré et plus pacifique. Les principaux sujets débattus sont ceux du moment ainsi que les sujets macro-économiques et macro- politiques globaux évoqués ci-dessus. Son logo est « One Earth, One Family, One Future » (Une seule Terre, Une Seule Famille, Un Seul Futur). A l’instar du G7, le G20 n’a pas de siège et de staff permanent.
Importance économique des G7 et G20
Le tableau#3 donne une idée du poids économique du G20 (qui inclut les 8 membres du G7 et 7 membres sur les 11 membres des BRICS-11) au sein de l’économie globale :
Tableau#3 : Importance économique du G7 et du G20 dans l’économie mondiale
Groupes de pays | PNB Total (milliards de $) | PNB per capita
($) |
% du PNB Total dans le PNB mondial | Taux de croissance économique (%) | |
I | PAYS DU G7 | ||||
1 | Canada | 2 178 | 45 719 | 2 | 1,4 |
2 | France | 3 561 | 43 342 | 3,4 | 0,8 |
3 | Allemagne | 4 056 | 42 860 | 3,9 | 0,3 |
4 | Italie | 2 035 | 32 902 | 1,9 | 1,2 |
5 | Japon | 25 462 | 35 385 | 25 | 2,8 |
6 | Royaume-Uni | 3 080 | 47 374 | 2,9 | – 0,8 |
7 | United States | ||||
8 | Union Européenne | 16 808 | 33 961 | 16 | 0,9 |
TOTAL G7 | 57 172 | 247 582 | 55 | ||
II | G20 (hors G7) | ||||
A | Pays du BRICS | ||||
9 | Inde | 3 605 | 2 221 | 3,4 | 6,5 |
10 | Chine | 17 963 | 12 150 | 17,2 | 5,5 |
11 | Russie | 2 193 | 14 403 | 2 | 2,5 |
12 | Argentine | 641 | 13 709 | 0,06 | 1,6 |
13 | Brésil | 20 496 | 9 673 | 20 | 1,7 |
14 | Afrique du Sud | 407 | 6 043 | 0,4 | 3,9 |
15 | Arabie Saoudite | 1 608 | 29 922 | 0,15 | 1,9 |
Total BRICS-6 | 46 913 | 89 121 | 45 | ||
A | Pays hors BRICS | ||||
16 | Australie | 1 457 | 61 224 | 0,4 | |
17 | Indonésie | 1 385 | 4 277 | 5,7 | |
18 | Turquie | 1 029 | 11 932 | 4 | |
19 | Mexique | 1 447 | 12 870 | 1,7 | |
20 | Corée du Sud | 1 690 | 34 149 | 0,6 | |
21 | Union Africaine (UA) | 3 100 | 2 150 | 2,7 | |
Total pays hors BRICS | 10 108 | 126 602 | 9,7 |
Sources : A. Ighemat, base sur plusieurs sources, principalement, “Trading Economics Global Macroeconomic Models and Analysts Expectations, 2023. Soulignons que les chiffres varient parfois du simple au double selon les sources.
Le tableau#3 permet de faire deux constatations. La première est que le G20 est un mix de pays développés (les 8 membres du G7, 4 pays émergents et l’Australie) et de pays émergents dont 6 sont membres des BRICS-11. Par conséquent, plus de la moitié des membres des BRICS est représentée au sein du G20. Ceci peut être considéré soit comme un avantage pour les BRICS et les pays du G20, mais il peut aussi être un facteur qui complique le consensus dans le processus de décision. La seconde remarque est que le PNB des pays du G20, si on exclut les 6 membres des BRICS qui sont aussi membres du G20, ($ 67 280 milliards, représentant 64 % du PNB mondial) est inférieur au PNB de l’ensemble des BRICS-11 ($ 73 722 milliards, équivalant à 68,28% du PNB mondial). C’est dire le poids économique représenté par les 11 pays des BRICS aujourd’hui. Ces données poussent plusieurs analystes à penser qu’à l’horizon 2050, les BRICS vont dominer l’économie mondiale. D’autres pensent, au contraire, que le G7 et le G20 vont continuer à dominer les relations internationales.
Conclusion
En conclusion, plusieurs questions peuvent être posées. La première est de savoir si les groupes du Nord Global (G7 et G20) ont la même évaluation du désordre existant dans le monde caractérisé par la multiplicité des conflits multiples entre Etats et au sein des Etats (Syrie, Libye, Soudan, Yemen, Palestine, Sahara Occidental, Ukraine), des inégalités entre les pays riches et les pays émergents et en développement, aggravées par l’accentuation de la pauvreté, et des catastrophes naturelles qui se produisent partout dans le monde, les pandémies sanitaires, etc.
La deuxième question est de savoir si les deux blocs—le bloc G7/G20 et le bloc BRICS-11—ont la même vue sur la nature et l’ampleur des réformes à entreprendre pour faire face à tous ces bouleversements et sur les voies et moyens d’établir le Nouvel Ordre International souhaité aussi bien par le Sud que par le Nord.
La troisième question serait de savoir si les réformes envisagées par les deux blocs sont des réformes d’ordre cosmétiques visant uniquement à baisser la température dans le monde ou au contraire si elles visent à changer fondamentalement le système de gestion et de gouvernance mondiale et à établir un système nouveau plus équitable et plus stable.
Une quatrième question serait de se demander si ces réformes et ce « nouveau » Nouvel Ordre International doit se faire séparément (chacun de son côté) par les deux blocs—le bloc G7/G20 et les BRICS/11—ou s’ils doivent travailler ensemble (la main dans la main) pour soigner les maladies dont souffre le monde aujourd’hui et bâtir un Nouvel Ordre International qui serait satisfaisant pour le monde dans son ensemble et non seulement pour les pays riches comme c’est le cas de l’Ordre actuel.
Si on regarde, encore une fois, la situation dans laquelle se trouve le monde aujourd’hi sur plusieurs plans—économique, politique, climatique, énergétique, etc—on sera tous d’accord pour dire que les choses n’ont pas bougé comme le souhaitaient les Non-Alignés dans les années 1950-70, les G7 et G20 dans les années 1990-2000, et les BRICS depuis 2009. Même le G20—qui comprend aujourd’hui 6 des pays membres des BRICS/11 et qui semble ainsi vouloir prendre en compte les préoccupations du Sud—n’a pas réussi à entreprendre les réformes promises et établir le Nouvel Ordre Mondial clamé. En effet, déjà au premier Sommet du G20 de 2009, Gordon Brown, l’ancien Premier Ministre britannique, avait déclaré « A new World Order in which rich and developing countries would come togeter to tame the inequalities and excesses of globalization” (Un nouvel Ordre Mondial dans lequel les pays riches et les pays en développement travailleraient ensemble pour domestiquer les inégalités et les excès de la globalisation) (voir “What Happened to the G20’s new world order ? CNN, September 5, 2023).
Brown avait en vue ce qu’il avait appelé « A new progressive era of international cooperation » (une nouvelle et progressive ère de coopération internationale). Treize ans après cette déclaration, le monde est toujours divisé, sur le plan économique, en deux sous-mondes—le monde des « Haves » et celui des « Have Not » où les conflits entre Etats et intra-Etats et les catastrophes naturelles et sanitaires déciment des portions importantes de l’humanité. Tant que les deux blocs—Nord Global et Sud Global, représenté chacun par son groupe—ne se mettent pas réellement autour d’un table et dessinent le contour des réformes à entreprendre et du Nouvel Ordre International à établir, le monde sera toujours divisé et marqué par l’inégalité et l’instabilité. C’est ce que pense le créateur du concept de BRICS, Lord Jim O’Neill, qui écrit : “Neither the G7 nor the BRICS (expanded or otherwise) makes sense for tackling today’s global challenges. Neither can do much without the direct, equal involvement of the other” (Ni le G7 ni les BRICS (élargis ou non) ne sont en mesure de faire face aux défis globaux actuels. Aucun d’entre eux ne peut faire grand-chose sans l’implication égalitaire de chacun d’eux) (Lord Jim O’Neill, Does an expanded BRICS mean anything ? Chattam House, August 27, 2023).
Cette exigence pour le monde de travailler ensemble pour le bien de l’humanité a été exprimée différemment, mais avec la même idée, par un autre analyste qui écrit : “Agreeing that something needs to change is one thing, but agreeing on how to work together is another” (Etre d’accord que quelque chose doit changer est une chose, s’entendre sur comment travailler ensemble est une autre chose) (Nils Adler, Can BRICS create a new world order ? Al Jazeera, August 22, 2023).
Pour que cette volonté de s’assoir à la même table et travailler au comment établir le nouvel ordre désiré par l’humanité toute entière soit possible, il faudrait que le Nord considère le Sud comme son égal, ce qui est peut-être à la racine de tous les maux que vit le monde aujourd’hui.
Arezki Ighemat
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