Gaza : l’ONU déclare Israël coupable d’extermination, un crime contre l’humanité

21 novembre 2024 Roberto Ferrario

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Ce rapport récent de l’ONU, véritable bréviaire d’horreurs qui surpassent les « atrocités » alléguées du 7 octobre tant en nature qu’en ampleur, malgré les dénégations de certains, accuse Israël d’extermination méthodique à Gaza, créant délibérément des conditions de vie visant à entraîner la destruction du peuple palestinien en tant que groupe. Les responsables et médias occidentaux, qui continuent de parler de « guerre » alors qu’il s’agit d’un cas d’école de génocide, sont complices, œuvrant à invisibiliser le plus grand crime du siècle.

Nations Unies

Assemblée générale
11 septembre 2024

Soixante-dix-neuvième session
Point 71 de l’ordre du jour provisoire (A/79/150)
Promotion et protection des droits de l’homme

Rapport de la Commission internationale indépendante d’enquête sur le territoire palestinien occupé, y compris Jérusalem-Est, et Israël

Source : ONU

Traduction Alain Marshal

Note du Secrétaire général

Le Secrétaire général a l’honneur de transmettre à l’Assemblée générale le rapport de la Commission internationale indépendante d’enquête sur le territoire palestinien occupé, y compris Jérusalem-Est, et Israël, présenté conformément à la résolution S-30/1 du Conseil des droits de l’homme.

Résumé

La Commission internationale indépendante d’enquête sur le territoire palestinien occupé, y compris Jérusalem-Est, et Israël, soumet par la présente son troisième rapport à l’Assemblée générale. Le rapport examine le traitement des détenus et des otages ainsi que les attaques contre les installations et le personnel médicaux entre le 7 octobre 2023 et août 2024.

Note du traducteur

Dans ce rapport comme dans d’autres, les Palestiniens emprisonnés par les « forces de sécurité israéliennes » sont qualifiés de « détenus », même lorsqu’il s’agit d’arrestations arbitraires voire d’enfants, et les Israéliens capturés par les « groupes armés palestiniens » sont qualifiés d’ « otages », même quand il s’agit de soldats. Ce ne sont là que deux exemples de nombreux biais persistants qui amènent à prendre pour argent comptant la propagande israélienne génocidaire et à recycler ses éléments de langage, voire à renvoyer dos à dos une puissance régionale occupante et un peuple colonisé. Les crimes d’extermination et de génocide étaient flagrants dès la fin 2023, mais il a fallu attendre septembre 2024 pour que l’ONU puisse l’établir, uniquement parce qu’il s’agit d’Israël. Nous protestons contre cette conception dévoyée de « l’équité », omniprésente en Occident, et opposons à la partialité inavouée qui fait la part belle au récit israélien notre parti pris assumé pour les droits du peuple palestinien, qui nous a notamment valu une exclusion de la CGT. Par conséquent, nous ne traduisons pas les sections de ce rapport consacrés aux « crimes » imputés aux Palestiniens (20 paragraphes sur un total de 115), marquées par des ellipses entre crochets et identifiables avec la numérotation des paragraphes. Au sujet de la présence de ces biais jusque dans les rapports de l’ONU, lire Norman Finkelstein : les accusations de crimes sexuels contre le Hamas sont infondées.

I. Introduction et méthodologie

1. Dans ce rapport, la Commission résume ses conclusions factuelles et juridiques concernant les attaques menées depuis le 7 octobre 2023 contre des installations et du personnel médicaux, ainsi que le traitement des détenus sous la garde d’Israël et des otages détenus par des groupes armés palestiniens. Il s’agit du deuxième rapport de la Commission sur les attaques survenues à partir du 7 octobre 2023 [1] — [Note du traducteur : nous ne traduisons pas les notes de bas de page, mais laissons leur numéro pour permettre de s’y référer dans le document original].

2. La Commission a adressé neuf demandes d’informations et d’accès au gouvernement israélien, deux demandes d’informations à l’État de Palestine et une au ministère de la Santé à Gaza. L’État de Palestine et le ministère de la Santé à Gaza ont répondu, tandis qu’aucune réponse n’a été reçue de la part d’Israël.

3. La Commission a appliqué la même méthodologie et le même niveau de preuve que lors de ses enquêtes précédentes [2]. Elle a consulté de multiples sources d’information, recueilli des milliers de documents en source ouverte et mené des entretiens, à distance comme en personne, avec des victimes et des témoins. Les matériaux en source ouverte ont été collectés conformément aux normes internationales de préservation des contenus en ligne et aux règles d’admissibilité des preuves numériques. Lorsque cela était nécessaire, ces matériaux ont été vérifiés par recoupement avec un large éventail de sources fiables et enrichis par des examens médico-légaux avancés. Ces derniers incluent l’authentification de supports visuels, l’analyse de la géolocalisation et de la chronolocalisation, l’extraction des métadonnées et la reconnaissance faciale.

II. Cadre juridique applicable

4. La Commission rappelle que le territoire palestinien occupé, y compris Jérusalem-Est et Gaza, ainsi que le Golan syrien occupé, sont actuellement sous occupation belligérante par Israël. Cette situation est régie simultanément par le droit international humanitaire et le droit international des droits de l’homme. [3] La Commission constate qu’Israël continue d’occuper Gaza, comme l’a confirmé la Cour internationale de justice en juillet 2024 [4], et qu’il a rétabli sa présence militaire dans la bande de Gaza depuis octobre 2023. [5] En tant que puissance occupante, Israël est tenu de respecter les obligations découlant de la quatrième Convention de Genève, du droit international coutumier et du Règlement de 1907 concernant les lois et coutumes de la guerre sur terre.

5. Dans son analyse juridique, la Commission s’est appuyée sur l’avis consultatif de la Cour internationale de justice dans l’affaire Conséquences juridiques découlant des politiques et pratiques d’Israël dans le territoire palestinien occupé, y compris Jérusalem-Est. Dans cet avis, la Cour a conclu que la présence continue d’Israël dans le territoire palestinien occupé était illégale, en raison de l’exploitation constante de sa position de puissance occupante, de l’annexion et de l’imposition d’un contrôle permanent sur ce territoire, ainsi que du refus persistant de reconnaître le droit du peuple palestinien à l’autodétermination [6]. La Commission exposera ses recommandations sur les modalités de mise en œuvre de cet avis consultatif dans un document de synthèse juridique. Les conclusions de l’enquête présentées dans ce rapport seront également utilisées dans des affaires portées devant la Cour, notamment l’affaire Application de la Convention pour la prévention et la répression du crime de génocide dans la bande de Gaza (Afrique du Sud c. Israël).

Lire à ce sujet la Plaidoirie de l’Afrique du Sud à la Cour internationale de justice : le comportement génocidaire d’Israël à Gaza et les intentions génocidaires d’Israël à Gaza

III. Constatations factuelles [7]

A. Attaques contre les installations et le personnel médicaux

6. Selon l’Organisation mondiale de la santé (OMS), entre le 7 octobre 2023 et le 30 juillet 2024, Israël a mené 498 attaques contre des établissements de santé dans la bande de Gaza. Ces attaques ont causé directement la mort de 747 personnes et blessé 969 autres, touchant au total 110 installations [8]. L’OMS rapporte que 78 % des attaques survenues entre le 7 octobre 2023 et le 12 février 2024 ont été effectuées par la force militaire, 35 % ont consisté en des entraves à l’accès, et 9 % en des opérations militarisées de recherche et de détention. Ces attaques étaient généralisées et systématiques, débutant dans le nord de la bande de Gaza (d’octobre à décembre 2023), se poursuivant dans le centre (de décembre 2023 à janvier 2024), le sud (de janvier à mars 2024) et d’autres zones (d’avril à juin 2024). Les forces de sécurité israéliennes ont justifié ces attaques en affirmant que le Hamas utilisait les hôpitaux à des fins militaires, notamment comme centres de commandement et de contrôle.

7. Les forces de sécurité israéliennes ont mené des frappes aériennes contre des hôpitaux, causant d’importants dégâts aux bâtiments et aux environs, ainsi que de nombreuses victimes. Elles ont encerclé et assiégé les locaux hospitaliers, empêché l’entrée de marchandises et de matériel médical, ainsi que la sortie et l’entrée de civils. Elles ont ordonné des évacuations tout en empêchant des évacuations sécurisées, et ont mené des raids dans les hôpitaux, procédant à l’arrestation de membres du personnel hospitalier et de patients. De plus, elles ont entravé l’accès des agences humanitaires.

8. D’après le ministère de la Santé à Gaza, 500 membres du personnel médical ont été tués entre le 7 octobre 2023 et le 23 juin 2024 [9]. La Société du Croissant-Rouge palestinien a rapporté que 19 membres de son personnel ou bénévoles avaient été tués depuis le 7 octobre, tandis que de nombreux autres ont été détenus et attaqués. Les membres du personnel médical ont déclaré qu’ils estimaient avoir été intentionnellement pris pour cible.

9. Des centaines de membres du personnel médical, dont trois directeurs d’hôpitaux et le chef d’un service orthopédique, ainsi que des patients et des journalistes, ont été arrêtés par les forces de sécurité israéliennes dans les hôpitaux Shifa, Nasr et Awdah lors d’offensives. Dans au moins deux cas, des membres du personnel médical de haut rang sont morts en détention israélienne (voir paragraphes 70-72). Au 15 juillet, 128 travailleurs de la santé seraient toujours détenus par les autorités israéliennes, dont quatre membres du personnel de la Société du Croissant-Rouge palestinien.

10. Au 15 juillet, 113 ambulances avaient été attaquées, et au moins 61 avaient été endommagées [10]. La Commission a documenté des attaques directes visant des convois médicaux opérés par le Comité international de la Croix-Rouge (CICR), les Nations Unies, la Société du Croissant-Rouge palestinien et des organisations non gouvernementales. L’accès a également été entravé par le bouclage de zones par les forces de sécurité israéliennes, des retards dans la coordination des itinéraires sûrs, des postes de contrôle, des fouilles ou la destruction de routes.

11. La Commission a enquêté sur l’attaque du 29 janvier à Tall al-Hawa visant une famille palestinienne et une ambulance du Croissant-Rouge palestinien appelée à leur secours. La famille comprenait deux adultes et cinq enfants, dont Leyan Hamada, 15 ans, et Hind Rajab, 5 ans. Ils ont été attaqués alors qu’ils tentaient d’évacuer les lieux à bord de leur voiture. L’ambulance, transportant deux ambulanciers, Yousef Zeino et Ahmed al-Madhoun, a été dépêchée après que son itinéraire a été coordonné avec les forces de sécurité israéliennes. Elle a été touchée par un obus de char à environ 50 mètres de la voiture de la famille. Hind était encore en vie au moment de l’envoi de l’ambulance. La présence des forces de sécurité israéliennes dans la zone a empêché l’accès, et les corps des membres de la famille n’ont pu être retirés de leur voiture criblée de balles que 12 jours après l’incident. L’ambulance a été retrouvée détruite à proximité, avec des restes humains à l’intérieur.

12. Au 15 juillet, sur les 36 hôpitaux de Gaza, 20 étaient totalement hors service, et seuls 16 fonctionnaient encore partiellement [11] avec une surpopulation extrême et une capacité d’accueil réduite à seulement 1 490 lits [12].

13. Les attaques et la destruction des hôpitaux, combinées à l’ampleur des blessures traumatiques dans la bande de Gaza, ont submergé les installations médicales restantes, provoquant l’effondrement du système de soins de santé. Le siège de Gaza, entraînant notamment une pénurie de carburant et d’électricité, a gravement affecté le fonctionnement des infrastructures médicales et réduit la disponibilité d’équipements vitaux, de fournitures médicales et de médicaments. Cette situation a privé de soins les patients atteints de maladies chroniques, causant des complications et des décès évitables. Les installations ont souffert d’un manque d’eau potable et d’assainissement, de systèmes de communication endommagés ou limités, d’un personnel insuffisant et de l’absence de services de santé publique.

14. Les hôpitaux ont également servi d’abris pendant les hostilités, entraînant une surpopulation accrue et un risque supplémentaire pour les civils s’y réfugiant lors des attaques. Cette surpopulation a été particulièrement notable dans les hôpitaux Shifa’ et Quds, qui ont respectivement accueilli 50 000 et 12 000 personnes déplacées à l’intérieur du pays.

15. Des installations médicales en Cisjordanie ont également été ciblées. L’OMS a recensé 520 attaques contre des établissements de santé entre le 7 octobre 2023 et le 30 juillet 2024, faisant 23 morts et 100 blessés [13] La Société du Croissant-Rouge palestinien a signalé une augmentation des recours à une force excessive, des menaces et du harcèlement visant ses équipes d’ambulanciers. Le 30 janvier, des forces israéliennes déguisées en personnel médical et en femmes palestiniennes civiles ont fait une descente à l’hôpital Ibn Sina de Jénine, tuant intentionnellement trois hommes palestiniens.

16. Plusieurs installations médicales et personnels soignants en Israël ont été attaqués entre le 7 et le 11 octobre par des groupes armés palestiniens. Le 7 octobre, un ambulancier a été tué par des membres de groupes armés palestiniens alors qu’il prodiguait des soins à des blessés dans une clinique dentaire du kibboutz de Be’eri [14] Par ailleurs, l’hôpital Barzilai à Ashkelon a été visé par deux attaques à la roquette, l’une survenue le 8 octobre et l’autre le 11 octobre. Selon des sources israéliennes, 17 ambulances ont été endommagées à divers endroits [15] Plusieurs sources rapportent qu’une ambulance présente au festival Nova le 7 octobre a été prise pour cible par des groupes armés palestiniens, entraînant la mort des 18 personnes qui s’étaient réfugiées à l’intérieur [16] Dans au moins un cas documenté par la Commission, le 7 octobre, une ambulance israélienne a transporté du personnel des forces de sécurité israéliennes. [Note du traducteur : ce paragraphe semble ignorer le fait que les roquettes, dépourvues de système de guidage contrairement aux missiles, ne sauraient être utilisées contre des cibles précises, et ignore le recours établi à la directive Hannibal par Tsahal le 7 octobre, établi par un autre rapport de l’ONU que nous traduirons prochainement, consistant à éliminer ses ressortissants – et leurs ravisseurs – pour empêcher qu’ils tombent vivants entre les mains de la résistance palestinienne (voir cet article d’Haaretz : La vérité sur le 7 octobre : Tsahal a déclenché la directive Hannibal) ; la dernière phrase établit que les accusations d’Israël contre le Hamas sont des confessions de ses propres pratiques].

17. Israël a également considérablement réduit l’approbation des autorisations permettant de quitter Gaza pour des traitements médicaux, empêchant principalement les patients d’accéder aux hôpitaux de Cisjordanie, y compris à Jérusalem-Est. Entre octobre 2023 et le 20 juin 2024, seuls 5 857 des 13 872 patients ayant demandé une évacuation médicale via le point de passage de Rafah ont obtenu une autorisation. Seules 54 % des demandes d’évacuation des patients atteints de cancer ont été approuvées durant cette période [17]. En juillet, Israël a retardé l’évacuation de 150 enfants de la bande de Gaza ayant besoin de soins médicaux spécialisés.

Constatations sur les attaques des forces de sécurité israéliennes contre des hôpitaux spécifiques

18. La Commission a enquêté sur les attaques menées contre quatre hôpitaux situés dans différentes zones de la bande de Gaza : le complexe médical Nasr (ci-après « hôpital Nasr »), ainsi que les hôpitaux Shifa’, Awdah et de l’Amitié turco-palestinienne (ci-après « hôpital turc »). Ces établissements comprennent deux grands complexes médicaux ainsi que des hôpitaux offrant des soins spécialisés tels que l’obstétrique, la pédiatrie et l’oncologie. La Commission a conclu que les forces de sécurité israéliennes ont attaqué ces installations de manière similaire, ce qui suggère l’existence de plans et de procédures opérationnels visant les structures de santé.

19. Bien que les forces de sécurité israéliennes aient émis des ordres d’évacuation pour ces hôpitaux, la Commission a constaté que ces ordres étaient irréalisables, non coordonnés et impossibles à exécuter en toute sécurité. Dans certains cas, les administrations des hôpitaux n’ont eu que quelques heures pour évacuer des centaines de patients. Les forces israéliennes n’ont apporté aucune aide à l’évacuation sécurisée des patients. Selon plusieurs sources, il était impossible de procéder à des évacuations complètes sans mettre en danger la vie des patients. À l’hôpital Awdah et à l’hôpital pédiatrique Nasr, les forces de sécurité israéliennes ont refusé les demandes du personnel médical visant à faciliter la circulation des ambulances pour rendre l’évacuation plus fluide, ce qui a entraîné des conditions dangereuses. Les patients de ces hôpitaux, notamment ceux des unités de soins intensifs et les blessés graves, nécessitaient une prise en charge particulière pendant leur transport.

20. La Commission a reçu des rapports faisant état du ciblage délibéré et direct d’hôpitaux, y compris des hôpitaux Awdah, Shifa’ et Nasr, par des tirs de snipers. Par exemple, le 13 février, les forces de sécurité israéliennes ont ordonné l’évacuation de l’hôpital Nasr. Peu après, un détenu palestinien menotté et vêtu d’une combinaison de protection blanche a été vu à l’intérieur de l’hôpital. Il aurait été contraint par les forces israéliennes d’ordonner aux personnes présentes d’évacuer. En quittant l’hôpital, il aurait été abattu par les forces de sécurité israéliennes.

21. À partir du 6 novembre 2023, des attaques répétées contre les hôpitaux Shifa’ et Nasr, y compris des attaques spécifiquement dirigées contre la maternité et l’unité de soins intensifs de l’hôpital Shifa’, ont entraîné la fermeture totale ou quasi-totale de ces établissements. Ces fermetures ont eu de graves répercussions sur les autres hôpitaux de Gaza, déjà débordés, en raison du rôle central de ces deux hôpitaux dans le système de santé global. Des images satellites des hôpitaux Shifa’ et Nasr, prises respectivement le 4 avril et le 12 mars, montrent que les sites de ces hôpitaux ainsi que les routes environnantes ont été gravement endommagés.

22. Selon le bureau des médias des autorités de facto à Gaza, plus de 500 corps ont été découverts dans des fosses communes situées sur les terrains des hôpitaux, notamment ceux de Shifa’ et de Nasr. Des images satellites datées du 23 avril montrent au moins deux fosses communes possibles à l’hôpital Nasr. Les autorités de facto à Gaza ont déclaré que plusieurs corps avaient été retrouvés dénudés et menottés, ce qui suggère que les victimes aient pu être exécutées. Un témoin ayant participé à l’exhumation des corps près de l’hôpital Nasr a déclaré à la Commission avoir vu des corps présentant des blessures par balle à la tête ou au cou. Les forces de sécurité israéliennes ont nié avoir enterré des corps dans des fosses communes, tout en reconnaissant que des soldats cherchant les corps d’otages avaient exhumé certaines fosses communes.

23. Le 1er novembre, l’hôpital turc a cessé de fonctionner en raison des dégâts causés par les frappes aériennes des 30 et 31 octobre, ainsi que du manque de carburant et d’électricité, ce qui a entraîné la mort de plusieurs patients, notamment en raison d’un manque d’oxygène. Le gouvernement turc, qui finance l’hôpital, a condamné ces attaques, affirmant que les coordonnées de l’établissement avaient été communiquées à l’avance aux forces de sécurité israéliennes. Depuis novembre, les forces de sécurité israéliennes occupent l’hôpital, situé dans le corridor de Netzarim sous contrôle israélien, et l’utilisent comme base pour mener des opérations. Des images satellites de cette période montrent la construction de digues de protection et des dégâts progressifs causés par des bulldozers à certaines parties de l’hôpital. Des vidéos postées sur la plateforme X (anciennement Twitter) montrent plusieurs véhicules militaires israéliens à l’intérieur de l’hôpital et des forces de sécurité israéliennes célébrant une fête religieuse dans l’enceinte de l’établissement.

24. L’hôpital turc était le seul établissement spécialisé en oncologie à Gaza. Depuis sa fermeture, environ 10 000 patients atteints de cancer n’ont plus accès à un traitement. En conséquence, plusieurs d’entre eux sont décédés faute de soins appropriés.

25. L’hôpital d’Awdah, principal prestataire de soins en santé reproductive dans le nord de Gaza, a été pris pour cible à plusieurs reprises par les forces de sécurité israéliennes entre novembre 2023 et janvier 2024, puis de nouveau en mai. Cela s’est produit alors que les autorités israéliennes avaient reçu les coordonnées géographiques de l’hôpital de la part de MSF (Médecins sans frontières), qui avait informé toutes les parties qu’il s’agissait d’un hôpital en état de fonctionnement. Trois médecins, dont deux affiliés à MSF, ont été tués lors d’une attaque le 21 novembre. En décembre, l’hôpital a été assiégé, avec environ 250 personnes piégées à l’intérieur, confrontées à de graves pénuries de nourriture, d’eau et de médicaments. Pendant le siège, tous les hommes âgés de plus de 15 ans ont reçu l’ordre de sortir de l’hôpital en sous-vêtements, et plusieurs membres du personnel médical, y compris le directeur de l’hôpital, ont été arrêtés. Plusieurs personnes, dont des membres du personnel médical et une femme enceinte, auraient été tuées par des tireurs embusqués.

26. Jusqu’à la fin du mois de février, l’hôpital d’Awdah, qui abritait l’une des rares maternités encore fonctionnelles dans le gouvernorat de Gaza-Nord, était partiellement opérationnel, accueillant des patientes en couches bien au-delà de sa capacité. L’hôpital aurait pris en charge 15 577 patientes en maternité entre le 7 octobre et le 23 décembre, avec seulement 75 lits disponibles. Le 27 février, l’administration de l’hôpital a annoncé une cessation partielle de ses activités, en raison du manque de carburant, d’électricité et de fournitures médicales. Cette fermeture partielle a eu des conséquences désastreuses sur les services de santé dans le gouvernorat de Gaza-Nord, en particulier pour les patientes en maternité.

Allégations d’utilisation des hôpitaux à des fins militaires

27. Les forces de sécurité israéliennes ont affirmé que plus de 85 % des principaux établissements médicaux de Gaza étaient utilisés par le Hamas pour des opérations terroristes, sans toutefois fournir de preuves à l’appui de cette affirmation [18]. Elles ont également allégué l’existence de tunnels situés sous les hôpitaux ou les reliant, affirmant que le Hamas y stockait des armes, dissimulait du personnel et y dirigeait des quartiers généraux. Selon ces forces, le Hamas et le Jihad islamique palestinien auraient tiré des coups de feu depuis les locaux des hôpitaux et y auraient retenu des otages, soit dans les hôpitaux eux-mêmes, soit dans des tunnels situés en dessous. Le Hamas a nié ces allégations à plusieurs reprises. Plusieurs otages libérés ont toutefois déclaré publiquement avoir été détenus dans un hôpital (voir paragraphe 77 [Note du traducteur : ce paragraphe fait notamment état d’Israéliens blessés et emmenés dans des hôpitaux pour y être soignés…]). La Commission a interrogé des cadres du personnel médical qui ont réfuté toute activité militaire, insistant sur le fait que les hôpitaux n’avaient pour seule fonction que de soigner les patients.

28. En octobre, les forces de sécurité israéliennes ont déclaré que l’enceinte de l’hôpital Shifa’ et les infrastructures souterraines situées en dessous étaient utilisées par le Hamas comme quartier général militaire. Elles ont diffusé des images montrant un réseau de tunnels supposément situé sous l’hôpital Shifa’ et employé par le Hamas à des fins militaires, ainsi qu’un puits de tunnel à environ 100 mètres du bâtiment principal, près d’une clôture. Lors d’une attaque menée en mars, ces forces ont affirmé avoir découvert de grandes quantités d’armes à l’intérieur de l’hôpital, y compris dans la maternité, et ont publié des photos de caches d’armes qui auraient été trouvées sur place. En février, elles avaient fait des déclarations similaires concernant l’hôpital Nasr, accompagnées de vidéos montrant prétendument des caches d’armes [Note du traducteur : bien des médias ont souligné les incohérences de ces images diffusées par Israël, indiquant que ces armes pouvaient très bien avoir été placées par l’armée d’occupation, voir entre autres cet article de CNN].

29. La Commission a documenté un échange de tirs dans et autour des locaux de l’hôpital Shifa’, qui a débuté le 18 mars 2024, premier jour du raid des forces de sécurité israéliennes sur l’hôpital, et s’est poursuivi jusqu’à la fin du mois. Des vidéos diffusées par le Hamas montrent des membres des forces de sécurité israéliennes sur le toit de l’hôpital, libérant un drone de surveillance [Note du traducteur : C’est donc bel et bien Israël qui se sert d’hôpitaux pour ses opérations militaires]. Les images capturées par un drone des forces israéliennes montrent des échanges de tirs à l’intérieur de l’enceinte de l’hôpital et à l’entrée principale. Un grand nombre de patients, de membres du personnel médical et de déplacés internes se trouvaient alors dans l’hôpital.

Soins de santé reproductive

30. Les attaques directes contre les établissements de santé, y compris ceux dédiés aux soins de santé sexuelle et reproductive, ont affecté environ 540 000 femmes et filles en âge de procréer à Gaza. En avril, il a été rapporté que seuls deux des 12 hôpitaux partiellement fonctionnels offrant des soins dans ce domaine étaient en mesure de dispenser de tels services. Les attaques ciblant les principales maternités des hôpitaux Shifa’ et Nasr les ont rendues inopérantes. Plusieurs établissements désignés spécifiquement comme centres de santé sexuelle et reproductive, tels que la maternité Emirati, l’hôpital Awdah et l’hôpital Sahabah, ont été directement visés ou contraints de cesser leurs activités. Parallèlement, des services de maternité dans d’autres hôpitaux, notamment celui de l’hôpital Aqsa en janvier, ont été fermés. En décembre 2023, le centre de fertilité Basmah, la plus grande clinique de fécondation in vitro de Gaza, a été la cible directe de frappes aériennes qui auraient détruit environ 3 000 embryons.

31. La Commission a documenté des conditions dangereuses pour les femmes accouchant dans les hôpitaux, caractérisées par un manque de personnel spécialisé, de médicaments et d’équipements. Les professionnels de santé ont souligné les défis immenses posés par la gestion de la douleur et la prévention des infections, les hôpitaux manquant souvent de fournitures essentielles telles que périduraux, anesthésiques et antibiotiques. Un spécialiste des urgences ayant travaillé à l’hôpital Nasr en janvier a décrit des difficultés majeures pour diagnostiquer et traiter les femmes enceintes en raison de l’absence de tests de laboratoire fiables ou d’équipements adéquats, ce qui a entraîné des complications évitables. Les obstétriciens ont rapporté que de nombreuses femmes recevaient des soins obstétriques très insuffisants et que plusieurs souffraient d’infections vaginales non traitées, susceptibles de provoquer des naissances prématurées, des fausses couches ou une stérilité. Le personnel médical a signalé des patientes en maternité souffrant de malnutrition, de déshydratation, d’infections diverses et d’anémie.

32. Les femmes sont de plus en plus souvent contraintes d’accoucher dans des conditions dangereuses, que ce soit à domicile, dans des abris ou des camps, avec peu ou pas de soutien médical. Cela accroît le risque de complications entraînant des séquelles à vie ou des décès. Les perturbations des services d’électricité et de télécommunications ont rendu inaccessibles les lignes d’urgence dédiées aux accouchements à domicile, aggravant les dangers pour les femmes. Le maintien du siège et des hostilités a également entravé la distribution de kits d’accouchement sécurisés aux femmes enceintes.

33. Une forte augmentation des admissions en urgence a entraîné une dépriorisation des soins de santé génésique dans les rares établissements médicaux encore opérationnels. Les patientes en post-partum et leurs nouveau-nés n’ont pas eu le temps de se rétablir après l’accouchement. Elles ont été renvoyées quelques heures après, encore fragiles physiquement et mentalement, pour libérer des places pour de nouvelles admissions. Environ 60 000 patientes en maternité n’ont pas été suivies de manière adéquate en raison de l’absence de soins prénatals et postnatals.

34. Les hostilités ont eu un impact psychologique grave sur les femmes enceintes, en post-partum et allaitantes, en raison de leur exposition directe aux conflits armés, des déplacements, de la famine et de la mauvaise qualité des soins de santé. Les urgences obstétriques et les naissances prématurées auraient considérablement augmenté à cause du stress et des traumatismes. Une hausse des fausses couches, atteignant jusqu’à 300 %, a été signalée depuis le 7 octobre. Les experts ont déclaré à la Commission que les effets à long terme de ces conditions précaires, tant psychologiques que physiques, sur les femmes, les nouveau-nés et leurs familles, restent inconnus.

Soins pédiatriques

35. Les experts médicaux ont déclaré à la Commission que la destruction des infrastructures médicales, le manque de fournitures et le ciblage des personnels de santé ont compromis l’accès des enfants aux soins de base et aux traitements essentiels, entrainant ainsi des conséquences directes et indirectes sur leur santé à Gaza. Des enfants ont été tués lors d’attaques directes contre des hôpitaux. Les équipes médicales ont noté que le nombre élevé de décès parmi les enfants est probablement dû au fait qu’ils représentent la majorité des patients hospitalisés pour des traumatismes contondants et pénétrants.

36. Les professionnels de santé ont également signalé avoir soigné des enfants blessés par des tirs directs, indiquant qu’ils avaient été spécifiquement pris pour cible. Ils ont souligné que traiter ces blessures était particulièrement difficile en raison du manque de fournitures médicales de base et des mauvaises conditions d’hygiène. La Commission avait précédemment noté que les enfants étaient particulièrement vulnérables aux décès et blessures en raison de leur âge, de leur stade de développement et de leur petite taille [19]. Les enfants étaient opérés sans soins préopératoires ni postopératoires, augmentant ainsi les risques d’infections, y compris par des insectes et parasites, ce qui entraînait des complications, voire des décès dans certains cas.

Lire également : A Gaza, « un nombre incroyable d’enfants abattus d’une balle dans la tête »

37. Les attaques contre les établissements de santé ont également eu des effets indirects graves sur la santé des enfants, augmentant de manière significative la mortalité et la morbidité infantiles. Les attaques contre les hôpitaux pédiatriques de Gaza, notamment les hôpitaux Rantisi et Nasr, ainsi que contre des hôpitaux plus grands, ont forcé les enfants atteints de maladies préexistantes à chercher des soins dans des établissements plus petits, dépourvus de personnel spécialisé et d’équipements pédiatriques adaptés. Un médecin de l’hôpital Ahli a déclaré que cet établissement manquait des médicaments et de l’expertise nécessaires pour traiter des cas médicaux complexes chez les enfants, tels que l’asthme sévère ou l’épilepsie.

38. En juin, le Fonds des Nations unies pour l’enfance (UNICEF) a estimé que près de 3 000 enfants souffrant de malnutrition risquaient de mourir en raison de la pénurie alimentaire dans le sud de Gaza. La situation a été aggravée par les attaques incessantes contre les installations de santé. Seuls deux des trois centres de stabilisation pour traiter les enfants malnutris dans la bande de Gaza, l’un dans le gouvernorat de Gaza-Nord et l’autre dans celui de Deir al-Balah, étaient opérationnels. L’hospitalisation prolongée d’enfants privés d’une alimentation adéquate et vivant dans un environnement malsain a également été liée à la malnutrition. Un pédiatre a estimé que les enfants vivant à l’hôpital pendant de longues périodes sans accès à une alimentation appropriée souffriraient de carences nutritionnelles, avec des conséquences sanitaires à long terme. L’effondrement du système de santé a également entravé la capacité à fournir des vaccins. Les enfants de moins de cinq ans risquent de contracter la poliomyélite faute de vaccination. Le 16 août, le ministère de la Santé de Gaza a annoncé le premier cas de polio en 25 ans. En septembre 2024, les deux parties ont accepté une brève pause humanitaire afin de permettre une campagne de vaccination contre la polio dans la bande de Gaza [20].

39. Les hôpitaux de Gaza ne sont plus en mesure d’offrir des soins en santé mentale et disposent de peu de personnel spécialisé pour traiter les enfants souffrant de troubles psychologiques, y compris ceux ayant des pensées suicidaires ou d’automutilation.

40. Les médecins ont informé la Commission que, en raison des attaques contre les installations médicales et des options de traitement limitées, les nourrissons et enfants de Gaza risquent de souffrir de séquelles tout au long de leur vie. Parmi les complications à court terme, on peut citer l’incapacité des nourrissons à atteindre les étapes du développement moteur au cours de leur première année. À moyen terme, ces enfants pourraient être incapables de développer la parole ou d’atteindre les étapes du langage, et leurs capacités cognitives pourraient être gravement affectées à long terme. Un médecin a résumé la situation en déclarant que l’essence même de l’enfance a été détruite à Gaza.

Traitement des détenus par les autorités israéliennes

41. Entre le 7 octobre 2023 et juillet 2024, Israël a arrêté plus de 14 000 Palestiniens à Gaza et en Cisjordanie, y compris à Jérusalem-Est [21]. Parmi eux, environ 4 000 Palestiniens ont été arrêtés à Gaza, dont beaucoup ont été transférés en Israël pour y être interrogés. De plus, des centaines de membres de groupes armés palestiniens ont été arrêtés les 7 et 8 octobre à l’intérieur d’Israël. Les personnes arrêtées à Gaza et transférées en Israël ont principalement été appréhendées en vertu de la loi sur l’incarcération des combattants illégaux. Elles sont détenues dans des installations militaires, principalement au camp de Sde Teiman, dans le sud d’Israël, bien que certaines aient été transférées dans des établissements administrés par l’administration pénitentiaire israélienne. Des milliers de personnes originaires de Cisjordanie ont été arrêtées sur ordre de l’armée. De plus, des milliers de travailleurs palestiniens de Gaza présents légalement en Israël le 7 octobre ont été détenus dans le centre d’Anatot en Cisjordanie, géré par l’armée. En novembre, environ 3 000 travailleurs détenus ont été libérés et renvoyés à Gaza à la suite d’une requête déposée auprès de la Haute Cour de justice d’Israël.

Arrestations et détentions arbitraires [22]

42. Des milliers de Palestiniens, principalement des hommes, ont été arrêtés lors d’opérations militaires israéliennes et d’attaques à Gaza et en Cisjordanie, y compris des journalistes, des défenseurs des droits de l’homme, du personnel médical, des patients, des membres du personnel des Nations unies et des proches de suspects. Des garçons ont également été arrêtés. Nombre d’entre eux n’ont pas été informés des raisons de leur arrestation. Les détenus libérés ont déclaré avoir été interrogés sur leur possible implication dans les hostilités, y compris leur affiliation au Hamas, ainsi que sur l’emplacement des otages israéliens. Plusieurs femmes défenseures des droits de l’homme, journalistes et politiciennes de Cisjordanie ont également été arrêtées et détenues sous l’accusation d’« incitation au terrorisme ».

43. Les responsables israéliens ont affirmé qu’après un contrôle de sécurité et un interrogatoire, « les personnes établies comme non impliquées dans des activités terroristes sont libérées et renvoyées dans la bande de Gaza [...] aussi rapidement que possible » [23] Toutefois, la Commission a constaté qu’Israël continuait de détenir des personnes, même après avoir effectué les contrôles de sécurité et déterminé qu’elles ne constituaient pas une menace réelle. Parmi ces détenus se trouvaient des personnes âgées, des malades chroniques, des femmes enceintes, des enfants, du personnel médical, ainsi que des détenus appelés « shawish », qui étaient maintenus en détention pour servir d’intermédiaires ou de traducteurs entre les gardes et d’autres détenus ou travailleurs de Gaza [Note du traducteur : cet article de Haaretz établit que les « shawish » sont surtout utilisés par l’armée israélienne comme boucliers humains].

44. Selon des sources officielles israéliennes, les détenus de Gaza sont entendus, interrogés ou contrôlés par un officier supérieur des forces de sécurité israéliennes « dans un délai de 7 à 10 jours », tandis que la détention des Palestiniens de Cisjordanie est examinée par un juge militaire. La Commission note que de nombreux détenus libérés affirment ne toujours pas connaître la raison de leur arrestation, ce qui laisse supposer qu’ils n’ont pas été entendus ou, si une telle procédure a eu lieu, qu’ils n’ont pas compris la procédure.

Disparitions forcées

45. Les autorités israéliennes n’ont pas divulgué les noms des milliers de Palestiniens arrêtés à Gaza depuis le 7 octobre, ni leur lieu de détention, y compris en réponse à plusieurs demandes en habeas corpus soumises à la Haute Cour de justice. Les garanties minimales contre les disparitions forcées ont été supprimées à la suite de l’interdiction récente des visites du CICR et de nouveaux amendements aux lois sur l’incarcération des combattants illégaux, qui empêchent toute révision judiciaire de la détention pendant jusqu’à 75 jours et interdisent les visites d’avocats pendant jusqu’à 90 jours, en attendant l’approbation d’un tribunal. Cette situation perdure, bien que les autorités israéliennes aient fourni une adresse électronique censée faciliter les visites d’avocats pour les détenus de Gaza. Au 15 juillet, la Commission n’avait connaissance que d’un seul cas où un avocat avait été autorisé à rendre visite à un détenu de Gaza dans le camp de Sde Teiman.

Libération des détenus

46. Les détenus de Gaza sont libérés par les forces de sécurité israéliennes au point de passage de Kerem Shalom sans qu’aucune procédure n’ait été mise en place pour leur assurer des soins médicaux ou un soutien. Cette pratique a eu un effet particulièrement néfaste sur les enfants. La Commission note que la procédure suivie par les autorités israéliennes pour la libération des enfants détenus a contribué à ce que les enfants de la bande de Gaza soient séparés de leur famille, parce qu’ils reviennent non accompagnés, avec une capacité limitée à localiser leur famille ou à communiquer avec elle. Les enfants détenus libérés ont montré des signes de détresse psychologique et de traumatisme extrêmes.

47. Les détenus palestiniens qui étaient initialement détenus dans les régions du nord de Gaza ont ensuite été libérés dans les régions du sud, loin de leurs maisons et de leurs familles. L’interdiction imposée par les forces de sécurité israéliennes de retourner dans le nord de la bande de Gaza et les attaques contre les civils qui tentent de retourner dans le nord ont entravé le retour des détenus dans leurs lieux d’origine et l’unification des familles.

Mauvais traitements lors des arrestations et des transferts

48. La Commission a reçu de nombreux rapports faisant état de détenus déshabillés, transportés nus, les yeux bandés, menottés de manière suffisamment serrée pour provoquer des blessures et des gonflements, frappés à coups de pied, battus, agressés sexuellement et soumis à des insultes religieuses et des menaces de mort, et dont les biens ont été endommagés lors de leur arrestation et de leur transfert vers des centres de détention en Israël et en Cisjordanie [24].

49. La Commission a constaté des mauvais traitements lors du transfert des détenus de la bande de Gaza vers les centres de détention en Israël et en Cisjordanie et lors du transfert entre les centres. Un détenu libéré a déclaré à la Commission qu’il avait été giflé et menacé par un interrogateur des forces de sécurité israéliennes dans une « zone de rassemblement » située à l’extérieur de la base militaire de Zikim. L’interrogateur lui a dit : « Je vais te tuer et je peux te faire disparaître. Tu ne verras plus le soleil et personne ne saura où tu es ». Un autre détenu libéré a déclaré à la Commission que les détenus étaient sévèrement battus pendant le trajet entre les installations militaires et celles de l’administration pénitentiaire israélienne. Il a noté qu’un détenu avait reçu un coup de poing dans la mâchoire si fort que plusieurs de ses dents avaient été cassées.

50. Le 22 juin 2024, dans le quartier de Jabariyat à Jénine, en Cisjordanie, les forces de sécurité israéliennes ont tiré sur deux Palestiniens et les ont blessés. Les blessés ont ensuite été arrêtés et transportés sur le capot de véhicules militaires blindés, alors que les tirs se poursuivaient dans la zone. L’un des détenus est passé devant au moins trois ambulances sans être transféré pour un traitement médical. La Commission a également recueilli des informations indiquant que les forces de sécurité israéliennes avaient forcé des détenus à pénétrer dans des tunnels et des bâtiments à Gaza avant les soldats chargés de nettoyer les lieux. La Commission a observé que des membres des forces de sécurité israéliennes utilisaient des détenus palestiniens pour se protéger des attaques.

Mauvais traitements dans les centres de détention gérés par l’armée

51. La Commission a vérifié des informations faisant état de mauvais traitements généralisés et institutionnalisés infligés à des détenus de Gaza, y compris des garçons, dans le camp de détention militaire de Sde Teiman, où tous les détenus de Gaza ont été initialement incarcérés depuis le 8 octobre. Les détenus avaient les yeux bandés et étaient menottés en permanence par le personnel des forces de sécurité israéliennes. Ils étaient confinés dans de grandes cellules de fortune surpeuplées et contraints de s’agenouiller dans des positions de stress pendant des heures, tout en n’ayant pas le droit de parler. Ils n’ont pas eu accès aux toilettes et aux douches, et nombre d’entre eux ont été contraints de porter des couches. Ils ont été battus, notamment avec des matraques et des bâtons de bois, même lorsqu’ils étaient immobilisés, et ont fait l’objet d’intimidations et d’attaques de la part de chiens. Les détenus ont indiqué qu’ils dormaient sur de minces matelas à même le sol, avec seulement de légères couvertures pour se couvrir, même pendant les mois d’hiver, et qu’ils étaient privés de sommeil. Ils n’étaient autorisés à dormir que quatre à cinq heures par nuit, la lumière restant allumée en permanence. Ils n’avaient pas le droit de dormir pendant la journée. Les détenus ont fait état d’un accès limité aux toilettes, parfois seulement une fois par jour, et d’un manque d’accès aux douches pendant des semaines. La nourriture fournie était insuffisante et peu variée, ce qui a entraîné une perte de poids importante et d’autres complications médicales.

52. Des détenus, y compris des personnes âgées, emmenés au Sde Teiman pour y être interrogés ont été attachés dans des positions douloureuses ou attachés à une vis placée en hauteur sur un mur pendant des heures, tout en ayant les yeux bandés et en étant suspendus avec les pieds touchant ou à peine touchant le sol (« shabah »). Dans un cas, un détenu a été laissé dans cette position pendant cinq à six heures alors que les interrogateurs le soumettaient de manière répétée à des changements de température extrêmes, en utilisant alternativement un ventilateur puissant et une lampe chauffante. La Commission a également reçu des rapports faisant état de l’utilisation de dispositifs de chocs électriques contre des détenus.

53. Les conditions sanitaires inadéquates ont limité la capacité des détenus à effectuer des pratiques religieuses, telles que la prière et les ablutions, ont augmenté les risques pour la santé et ont servi à humilier et à déshumaniser davantage les détenus. Un détenu a déclaré à la Commission qu’en raison de la rareté de l’accès aux toilettes, les détenus étaient contraints d’uriner ou de déféquer dans leurs vêtements. Un détenu a déclaré qu’ils « avaient été dépouillés de leur humanité et traités comme des animaux ». Il a ajouté que « tous les détenus n’étaient pas lavés et sentaient mauvais, leurs pantalons étaient jaunis, tandis que les soldats qui s’occupaient d’eux portaient des gants qu’ils jetaient sur les détenus lorsqu’ils avaient fini ».

54. Les conditions médicales liées au manque d’hygiène, notamment les éruptions cutanées, les furoncles et les abcès, se sont aggravées. Les soins médicaux étaient rares, de mauvaise qualité et dispensés dans un bâtiment séparé, alors que les détenus étaient menottés et avaient les yeux bandés. Dans certains cas, tant dans les installations militaires que dans celles de l’administration pénitentiaire israélienne, les coups reçus au cours des interrogatoires ont entraîné des fractures, sans que des soins médicaux appropriés soient dispensés. Des menottes constantes et des soins médicaux inadéquats auraient conduit certains détenus à se faire amputer d’un membre. Les déclarations de certains membres du personnel médical suggèrent qu’ils étaient complices de pratiques illégales.

55. Le 3 juillet, le procureur général d’Israël a déclaré dans une lettre que le ministre de la Sécurité nationale, Itamar Ben-Gvir, faisait obstacle aux transferts de prisonniers vers les établissements de l’administration pénitentiaire israélienne. Au mois d’août, 28 détenus (tous des hommes) sont toujours détenus à Sde Teiman [25].

Mauvais traitements dans les établissements de l’Administration pénitentiaire israélienne

56. Le 16 octobre, le Ministre de la sécurité nationale a ordonné d’importantes restrictions supplémentaires dans les établissements de l’Administration pénitentiaire israélienne. Ces restrictions comprenaient l’imposition d’une interdiction totale des visites de la famille et du CICR, l’annulation ou la restriction des visites et des appels téléphoniques des avocats, et l’annulation des rendez-vous médicaux non urgents. L’électricité a été coupée dans les cellules des prisons, les biens personnels des détenus ont été confisqués et l’accès aux douches et aux toilettes a été sévèrement limité. L’accès à l’air frais dans la cour de la prison a été limité ou interdit. Des restrictions ont été imposées sur les rations alimentaires et appliquées à des milliers de détenus et de prisonniers, y compris des femmes et des enfants, qui avaient été détenus avant le 7 octobre. A plusieurs reprises, le ministre de la sécurité nationale a indiqué que ces politiques étaient motivées par la vengeance.

57. La Commission a documenté de nombreux cas d’abus physiques et verbaux, y compris des menaces de mort, dans les installations de l’Administration pénitentiaire israélienne. Des détenus des prisons de Negev, Megiddo, Ofer et Ramon ont décrit avoir été battus par des gardiens à l’aide de matraques et de bâtons de bois alors qu’ils étaient menottés, y compris à leur arrivée dans ces prisons et pendant les fouilles de cellules menées par des unités spéciales de l’administration pénitentiaire israélienne utilisant des chiens pour intimider et attaquer les prisonniers.

58. Les femmes détenues en Cisjordanie étaient soumises aux mêmes restrictions que les hommes dans les établissements de l’administration pénitentiaire israélienne et étaient particulièrement affectées par l’insuffisance et l’inadéquation de la nourriture et de l’eau, ainsi que par le manque d’hygiène. La Commission a appris que les femmes enceintes détenues dans un établissement de l’administration pénitentiaire israélienne ne recevaient pas de nourriture suffisante ou adéquate et se voyaient refuser des soins médicaux. Plusieurs femmes ont indiqué qu’elles n’avaient pas été autorisées à utiliser les toilettes alors qu’elles en avaient fait la demande, ou qu’elles avaient été menottées pendant de longues périodes et qu’elles avaient donc eu besoin de l’aide d’autres détenus pour utiliser les toilettes. Les femmes détenues avaient un accès limité aux serviettes hygiéniques ou se les voyaient refuser.

Traitement des enfants

59. La Commission a établi que des centaines d’enfants de Gaza et de Cisjordanie ont été arrêtés, puis transférés et détenus en Israël et en Cisjordanie. Les enfants détenus ont été soumis à une extrême violence lors de leur arrestation, de leur détention, de leur interrogatoire et de leur libération.

60. Des enfants de Gaza ont été détenus dans des établissements militaires et dans les locaux de l’administration pénitentiaire israélienne. A Sde Teiman, les enfants étaient détenus avec des adultes et subissaient les mêmes mauvais traitements. Un garçon de 15 ans détenu au centre de Sde Teiman a déclaré à la Commission qu’il avait été le seul enfant parmi 70 adultes dans une cellule. Ses jambes avaient été entravées par des chaînes métalliques et ses mains menottées si étroitement qu’elles avaient saigné, mais il n’avait reçu aucun soin médical. Il a été puni à plusieurs reprises en étant contraint de rester debout les mains levées pendant des heures. Il a décrit ses 23 jours de détention comme « les pires jours de ma vie ». Un garçon de 13 ans a déclaré à la Commission que des chiens avaient été utilisés contre lui pendant les interrogatoires et qu’il avait été placé à l’isolement.

61. Des enfants ont été emprisonnés dans des sections pour mineurs surpeuplées dans les établissements de l’administration pénitentiaire israélienne, principalement à Megiddo et à Ofer. Bien que les enfants soient séparés des adultes, les autorités israéliennes les soumettent tous aux mêmes restrictions que les adultes.

Viols et autres formes de violence sexuelle et sexiste

62. La Commission a documenté plus de 20 cas de violence sexuelle et sexiste à l’encontre de détenus hommes et femmes dans plus de 10 installations militaires et de l’administration pénitentiaire israélienne, en particulier dans la prison du Néguev et le camp de Sde Teiman pour les détenus hommes et dans les prisons de Damon et Hasharon pour les détenues femmes. La violence sexuelle a été utilisée comme moyen de punition et d’intimidation dès le moment de l’arrestation et tout au long de la détention, y compris pendant les interrogatoires et les fouilles. Les actes de violence sexuelle documentés par la Commission étaient motivés par une haine extrême envers le peuple palestinien et par le désir de le déshumaniser.

63. La Commission a constaté que la nudité forcée, dans le but de dégrader et d’humilier les victimes devant les soldats et les autres détenus, était fréquemment utilisée à l’encontre des victimes masculines, notamment par des fouilles à nu répétées, l’interrogatoire des détenus alors qu’ils étaient nus ; forcer les détenus à effectuer certains mouvements alors qu’ils sont nus ou déshabillés et, dans certains cas, filmés ; soumettre les détenus à des insultes sexuelles alors qu’ils sont transportés nus ; forcer les détenus nus à se regrouper dans une cellule surpeuplée ; et forcer les détenus déshabillés et les yeux bandés à s’accroupir sur le sol avec les mains attachées dans le dos.

64. Plusieurs détenus de sexe masculin ont déclaré que des membres des forces de sécurité israéliennes avaient battu, donné des coups de pied, tiré ou pressé leurs parties génitales, souvent alors que les détenus étaient nus. Dans certains cas, le personnel des forces de sécurité israéliennes a utilisé des objets tels que des détecteurs de métaux et des matraques. Un détenu qui avait été incarcéré dans la prison du Néguev des forces de sécurité israéliennes a déclaré qu’en novembre 2023, des membres de l’unité Keter de l’administration pénitentiaire israélienne l’avaient forcé à se déshabiller et lui avaient ensuite ordonné d’embrasser le drapeau israélien. Lorsqu’il a refusé, il a été battu et ses parties génitales ont reçu des coups de pied si violents qu’il a vomi et perdu connaissance.

65. La Commission a également reçu des informations crédibles concernant des viols et des agressions sexuelles, y compris l’utilisation d’une sonde électrique pour causer des brûlures à l’anus et l’insertion d’objets, tels que des bâtons, des manches à balai et des légumes, dans l’anus. Certains de ces actes auraient été filmés par des soldats. En juillet, neuf soldats ont été interrogés et plusieurs ont été arrêtés pour avoir prétendument violé un détenu et lui avoir causé des blessures mortelles à Sde Teiman.

Lire également Institutionnalisation du viol des détenus Palestiniens : le vrai visage d’Israël

66. La Commission a établi que les détenus étaient régulièrement soumis à des abus sexuels et au harcèlement, et que des menaces d’agression sexuelle et de viol étaient adressées aux détenus ou aux membres féminins de leur famille. Un détenu de Sde Teiman a rapporté que des femmes soldats l’avaient forcé, lui et d’autres, à faire des bruits de mouton, à maudire les dirigeants du Hamas et le prophète Mohamed, et à dire « Je suis une p*te ». Les détenus étaient battus s’ils n’obtempéraient pas. Dans un autre cas, un soldat a enlevé son pantalon et a pressé son entrejambe contre le visage d’un détenu, en disant : « Tu es ma sal*pe. Suce ma b*te ».

67. Les détenues ont également été victimes d’agressions et de harcèlement sexuels dans les locaux de l’armée et de l’administration pénitentiaire israélienne, ainsi que de menaces de mort et de menaces de viol. Le harcèlement sexuel comprenait des tentatives d’embrasser et de toucher leurs seins. Elles ont fait état de fouilles à nu répétées, prolongées et invasives, avant et après les interrogatoires. Les femmes ont été forcées d’enlever tous leurs vêtements, y compris le voile, devant des soldats hommes et femmes. Elles ont été battues et harcelées tout en étant traitées de « laides » et en subissant des insultes à caractère sexuel, telles que « chienne » et « put*in ». Dans un cas, une femme détenue dans une prison de l’administration pénitentiaire israélienne s’est vu refuser l’accès à son avocat après qu’elle l’eut informé de menaces de viol.

68. La Commission a reçu des rapports de l’Autorité palestinienne concernant le viol de deux détenues. Elle tente de vérifier ces informations.

69. Des détenues ont été photographiées sans leur consentement et dans des circonstances dégradantes, y compris en sous-vêtements devant des soldats de sexe masculin [26]. Dans un cas, une détenue a été soumise à des fouilles à nu répétées et invasives après son arrestation dans un poste de police du nord d’Israël. Elle a été battue, agressée verbalement, traînée par les cheveux et photographiée devant un drapeau israélien. Les photos ont été mises en ligne.

Décès en détention

70. Au 15 juillet, au moins 53 détenus palestiniens étaient morts dans des centres de détention israéliens depuis le 7 octobre 2023. Sur ce nombre, 44 personnes étaient originaires de Gaza, dont 36 sont décédées à Sde Teiman, et 9 étaient originaires de Cisjordanie. Les corps des détenus décédés n’ont, pour la plupart, pas été rendus à leurs familles pour qu’elles puissent les enterrer.

71. Thaer Abu Assab, originaire de Qalqilya en Cisjordanie, emprisonné depuis 2005, est mort dans la prison du Néguev le 18 novembre 2023 après avoir été, selon les informations disponibles, violemment battu par des gardiens de l’unité Keter de l’administration pénitentiaire israélienne et après que son évacuation médicale a été retardée. Les autorités israéliennes ont ouvert une enquête criminelle, mais seules des mesures disciplinaires limitées auraient été prises à l’encontre des gardiens impliqués. Deux médecins palestiniens chevronnés de Gaza sont morts en détention israélienne. Le docteur Iyad Rantisi, directeur d’un hôpital pour femmes à Bayt Lahya, a été arrêté le 11 novembre à un poste de contrôle des forces de sécurité israéliennes et est décédé six jours plus tard dans la prison de Shikma, gérée par l’administration pénitentiaire israélienne, où il aurait été interrogé par l’Agence de sécurité israélienne (également connue sous le nom de Shin Bet). Le docteur Adnan al-Bursh, chef du service orthopédique de l’hôpital Shifa’ de Gaza, a été arrêté en décembre et est décédé à la prison d’Ofer en avril. Un détenu libéré a déclaré à la Commission qu’il avait vu le Dr Al-Bursh à Sde Teiman en décembre 2023, avec des ecchymoses sur le corps et se plaignant de douleurs à la poitrine.

72. Israël n’a fourni aucune preuve que des enquêtes sur les décès en détention étaient menées en vue de garantir l’obligation de rendre des comptes. [...]

IV. Conclusions

Soins de santé

88. L’offensive sur Gaza depuis le 7 octobre a entraîné la destruction du système de soins de santé déjà fragile dans la bande de Gaza, avec des effets préjudiciables à long terme sur les droits de la population civile à la santé et à la vie. Les attaques contre les établissements de santé sont un élément intrinsèque de l’assaut plus large des forces de sécurité israéliennes contre les Palestiniens de Gaza et l’infrastructure physique et démographique de Gaza, ainsi que des efforts visant à étendre l’occupation. Les actions d’Israël violent le droit humanitaire international et le droit du peuple palestinien à l’autodétermination, et sont en contradiction flagrante avec l’avis consultatif de la Cour internationale de justice de juillet 2024.

89. La Commission constate qu’Israël a mis en œuvre une politique concertée visant à détruire le système de santé de Gaza. Les forces de sécurité israéliennes ont délibérément tué, blessé, arrêté, détenu, maltraité et torturé le personnel médical et pris pour cible des véhicules médicaux, ce qui constitue le crime de guerre d’homicide volontaire et de mauvais traitements et le crime contre l’humanité d’extermination. Les autorités israéliennes ont commis ces actes tout en renforçant le siège de la bande de Gaza, ce qui a empêché les hôpitaux de recevoir du carburant, de la nourriture, de l’eau, des médicaments et des fournitures médicales, tout en réduisant considérablement les autorisations accordées aux patients de quitter le territoire pour recevoir un traitement médical. La Commission estime que ces mesures ont été prises à titre de punition collective contre les Palestiniens de Gaza et qu’elles s’inscrivent dans le cadre de l’attaque israélienne contre le peuple palestinien qui a débuté le 7 octobre.

90. La destruction par les forces de sécurité israéliennes de l’infrastructure sanitaire de Gaza a eu un effet gravement préjudiciable sur l’accessibilité, la qualité et la disponibilité des services de santé, augmentant considérablement la mortalité et la morbidité, en violation du droit à la santé physique et mentale, qui est intrinsèquement lié au droit à la vie. Les attaques visant les établissements de santé ont exacerbé une situation déjà catastrophique, l’augmentation rapide du nombre de patients d’urgence souffrant de blessures graves venant s’ajouter au nombre de patients non traités souffrant de maladies chroniques ou nécessitant des soins spécialisés.

91. En ce qui concerne les attaques contre les hôpitaux Nasr, Shifa’, Awdah et l’hôpital turc, la Commission constate que, compte tenu du nombre excessif de morts et de blessés civils, ainsi que des dommages causés aux installations des hôpitaux et de leur destruction, les forces de sécurité israéliennes n’ont pas respecté les principes de précaution, de distinction et de proportionnalité, ce qui constitue les crimes de guerre que sont l’homicide volontaire et les attaques contre des biens protégés. La Commission constate que, lors des attaques contre les hôpitaux Shifa’ et Nasr, les forces de sécurité israéliennes ont considéré que les locaux des hôpitaux et toutes les zones environnantes pouvaient être pris pour cible sans distinction et ont donc violé le principe de distinction. En ce qui concerne la saisie par les forces de sécurité israéliennes de l’hôpital turc à des fins militaires et l’établissement d’un poste militaire à l’intérieur, la Commission estime que ces actions n’étaient pas requises par l’impératif de nécessité militaire et qu’elles constituent donc un crime de guerre consistant à saisir des biens protégés.

92. La Commission n’a pas trouvé de preuves d’une activité militaire des groupes armés palestiniens à Awdah ou à l’hôpital turc au moment où ils ont été attaqués. La Commission a documenté les déclarations des forces de sécurité israéliennes selon lesquelles les hôpitaux Shifa’ et Nasr étaient utilisés à des fins militaires, et les affirmations des forces de sécurité concernant la découverte de caches d’armes. Elle n’a toutefois pas été en mesure de vérifier ces affirmations de manière indépendante. La Commission a confirmé la présence d’un tunnel et d’un puits sur le terrain de l’hôpital Shifa’, mais elle n’a pas pu vérifier qu’ils étaient utilisés à des fins militaires. La Commission a vérifié des informations indiquant que des membres de groupes armés étaient entrés dans l’hôpital Shifa’ avec des véhicules des forces de sécurité israéliennes qui avaient été volés le 7 octobre. Cependant, elle n’a trouvé aucune preuve d’une présence militaire dans les services spécifiques de l’hôpital que les forces de sécurité israéliennes ont bombardés en novembre, y compris la maternité et l’unité de soins intensifs. La Commission conclut qu’au moment des attaques des forces de sécurité israéliennes, les hôpitaux et les installations médicales bénéficiaient d’une protection spéciale en vertu du droit international humanitaire et étaient à l’abri de telles attaques. […]

94. Les attaques contre les établissements de santé ont directement entraîné la mort de civils, y compris des enfants et des femmes enceintes, qui recevaient un traitement ou cherchaient un abri, et ont indirectement entraîné la mort de civils en raison du manque de soins, de fournitures et d’équipements médicaux qui en a résulté, ce qui constitue une violation du droit à la vie des Palestiniens. La Commission conclut également que ces actes constituent le crime contre l’humanité d’extermination.

95. En ce qui concerne l’attaque du 29 janvier contre une famille, dont cinq enfants, qui se trouvait dans un véhicule et contre une ambulance de la Société du Croissant-Rouge palestinien (voir paragraphe 11), la Commission, sur la base de son enquête, conclut avec des motifs raisonnables que la 162e division des forces de sécurité israéliennes opérait dans la région et est responsable du meurtre de la famille de sept personnes, ainsi que du bombardement de l’ambulance, tuant les deux ambulanciers qui se trouvaient à l’intérieur. Ces actions constituent les crimes de guerre d’homicide volontaire et d’attaque contre des biens civils.

96. Les attaques israéliennes contre les installations médicales ont entraîné des blessures et la mort d’enfants et ont eu des conséquences dévastatrices pour les soins pédiatriques et néonatals dans les hôpitaux de Gaza, créant un besoin important et non satisfait de soins chirurgicaux et médicaux complexes pour les enfants, y compris les bébés prématurés. Israël n’a pas agi dans l’intérêt supérieur des enfants et n’a pas garanti la protection de leurs droits à la vie et au meilleur état de santé possible, et a délibérément créé des conditions de vie qui ont entraîné la destruction de générations d’enfants palestiniens et du peuple palestinien en tant que groupe.

97. La Commission estime que la destruction délibérée des installations de soins de santé sexuelle et génésique constitue une violence génésique et a eu un effet particulièrement néfaste sur les femmes enceintes, les femmes en post-partum et les femmes allaitantes, qui restent exposées à un risque élevé de blessures et de décès. Le fait de viser de telles infrastructures constitue une violation des droits reproductifs des femmes et des jeunes filles, ainsi que des droits à la vie, à la santé, à la dignité humaine et à la non-discrimination. En outre, il a causé des dommages et des souffrances physiques et mentales immédiates aux femmes et aux filles et aura des effets irréversibles à long terme sur la santé mentale et les perspectives de reproduction physique et de fertilité du peuple palestinien en tant que groupe.

98. Le fait de viser intentionnellement des installations cruciales pour la santé et la protection des femmes, des nouveau-nés et des enfants a violé la norme du droit international humanitaire coutumier qui accorde une protection spéciale aux femmes et aux enfants dans les conflits armés. Ces actes préjudiciables étaient prévisibles et n’ont pas été réparés. Les souffrances physiques et mentales prolongées des enfants blessés et le préjudice reproductif causé aux femmes enceintes, en post-partum et allaitantes relèvent du crime contre l’humanité d’autres actes inhumains.

99. La Commission constate que les forces de sécurité israéliennes ont fait preuve de perfidie lorsque des soldats sont entrés dans un hôpital de Jénine déguisés en personnel médical et en femmes civiles le 30 janvier. Cette action constitue une violation du droit international humanitaire. […]

Détention de Palestiniens

101. La détention arbitraire massive de Palestiniens est une pratique de longue date au cours des 75 années d’occupation israélienne de Gaza et de la Cisjordanie. La détention en Israël a été caractérisée par des abus généralisés et systématiques, des violences physiques et psychologiques, des violences sexuelles et sexistes, et des décès en détention. La fréquence et la gravité de ces pratiques ont augmenté depuis le 7 octobre.

102. Les mauvais traitements infligés aux détenus palestiniens par les autorités israéliennes sont le résultat d’une politique intentionnelle. Des actes de violence physique, psychologique, sexuelle et reproductive ont été perpétrés pour humilier et dégrader les Palestiniens. Ces actes ont été observés dans plusieurs installations et lieux de détention temporaire, ainsi que pendant les interrogatoires et les déplacements vers et depuis les installations. Les détenus, y compris les personnes âgées et les enfants, ont été soumis à des mauvais traitements constants, notamment l’absence de nourriture suffisante et d’installations d’hygiène appropriées, des coups, des propos injurieux et l’obligation d’accomplir des actes humiliants. Les forces de sécurité israéliennes ont commis ces actes avec l’intention d’infliger des douleurs et des souffrances, ce qui équivaut à de la torture en tant que crime de guerre et crime contre l’humanité et constitue une violation de la Convention contre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants. Le décès de détenus à la suite de sévices ou de négligence constitue un crime de guerre, à savoir un homicide volontaire ou un meurtre, ainsi qu’une violation du droit à la vie.

103. Ces abus systématiques sont directement et causalement liés aux déclarations faites par des responsables israéliens, y compris le ministre de la sécurité nationale, qui dirige l’administration pénitentiaire israélienne, et d’autres membres de la coalition gouvernementale israélienne légitimant la vengeance et la violence à l’encontre des Palestiniens. Le fait que les membres des forces de sécurité israéliennes n’aient pas à rendre compte de leurs actes et que la violence contre les Palestiniens soit de plus en plus acceptée a permis à ces comportements de se poursuivre sans interruption et de devenir systématiques et institutionnalisés.

104. Des arrestations massives d’hommes et de garçons palestiniens ont été effectuées sans motif justifiable ou presque, dans de nombreux cas apparemment simplement parce qu’ils étaient considérés comme étant en « âge de combattre » ou qu’ils n’avaient pas suivi les ordres d’évacuation. La détention de milliers de Palestiniens pendant des périodes prolongées, même lorsqu’ils ne présentaient manifestement aucun risque pour la sécurité, est arbitraire, illégale et constitue une punition collective et une persécution fondée sur le sexe [Note du traducteur : Pourquoi ne pas les désigner comme ce qu’ils sont, à savoir des « otages » ?].

105. La politique israélienne consistant à dissimuler délibérément des informations concernant les noms, le lieu de détention et le statut des détenus relève du crime contre l’humanité de disparition forcée. Les souffrances mentales des familles des détenus sont assimilables à de la torture.

106. Les forces de sécurité israéliennes ont intentionnellement, illégalement et arbitrairement privé des enfants palestiniens de leur liberté et de leurs droits fondamentaux et leur ont causé de graves souffrances physiques et mentales. Les forces de sécurité israéliennes ont transféré des enfants détenus de Gaza et de Cisjordanie vers des centres de détention militaires israéliens, où ils ont été détenus pendant des périodes prolongées dans les mêmes quartiers que les adultes et soumis à de graves mauvais traitements, humiliations et tortures. Des mauvais traitements ont également été observés dans les établissements de l’administration pénitentiaire israélienne. Les enfants libérés présentaient des signes de blessures physiques graves, de détresse psychologique extrême et de traumatisme.

107. Les forces de sécurité israéliennes ont utilisé des détenus comme boucliers humains à plusieurs reprises en Cisjordanie et à Gaza, ce qui constitue un crime de guerre. Les forces de sécurité israéliennes ont transporté des détenus de Cisjordanie sur le capot de véhicules des forces de sécurité israéliennes au milieu d’un échange de tirs. Elles ont forcé des détenus à entrer dans des tunnels et des bâtiments avant le personnel militaire dans la bande de Gaza.

108. L’intensité des hostilités a augmenté, de même que la prévalence et les types de violences sexuelles et sexistes commises. Dans son précédent rapport au Conseil des droits de l’homme (A/HRC/56/26), la Commission a identifié des actes de persécution commis à l’encontre d’hommes et de garçons palestiniens, y compris le fait de filmer des scènes de déshabillage et de nudité forcés en public. La Commission constate que ces actes de persécution se sont poursuivis en détention sous la forme de tortures sexualisées. Les détenus de sexe masculin ont subi des atteintes à leur sexualité et à leurs organes reproducteurs, notamment des violences sur leurs organes génitaux et leur anus, et ont été contraints d’accomplir des actes humiliants et pénibles, nus ou déshabillés, à titre de punition ou d’intimidation, dans le but de leur soutirer des informations. Des détenus de sexe masculin ont été victimes de viols, ce qui constitue un crime de guerre et un crime contre l’humanité. De tels actes de violence sexuelle, causant de graves souffrances physiques et mentales, sont également assimilables à de la torture.

109. Les forces de sécurité israéliennes ont soumis des détenus, hommes et femmes, à une nudité forcée et à un déshabillage pendant leur transfert, dans les centres de détention et pendant les interrogatoires ou les fouilles corporelles, de manière généralisée et systématique. Associés à d’autres actes de violence sexuelle commis à des fins d’humiliation ou de dégradation, tels que le fait d’être photographié entièrement ou partiellement nu et de faire l’objet d’abus sexuels verbaux et physiques et de menaces de viol, les actes susmentionnés constituent les crimes de guerre que sont les traitements inhumains et les atteintes à la dignité de la personne, ainsi que le crime contre l’humanité que constituent les autres actes inhumains. Dans certains cas, ces actes constituent le crime de guerre et le crime contre l’humanité de torture.

110. Les forces de sécurité israéliennes ont interdit aux détenus libérés de retourner sur leurs lieux de résidence dans le nord de Gaza. Cette interdiction constitue un déplacement forcé. Les attaques contre les civils qui tentent de retourner auprès de leurs familles s’apparentent à un transfert forcé. Il s’agit de crimes de guerre et de crimes contre l’humanité. […]

V. Recommandations

113. La Commission recommande au gouvernement d’Israël de :

(a) Mette immédiatement fin à l’occupation illégale du territoire palestinien, cesse tous les nouveaux plans et activités de colonisation, y compris en ce qui concerne la bande de Gaza, et supprime toutes les colonies aussi rapidement que possible, conformément à l’avis consultatif de la Cour internationale de justice de juillet 2024 ;

(b) Veille, en tant que puissance occupante, à ce que les droits de la population sous son contrôle effectif soient sauvegardés et à ce que des services médicaux soient disponibles pour tous ;

(c) Se conforme à toutes les mesures provisoires ordonnées par la Cour internationale de Justice, en prenant toutes les mesures en son pouvoir pour empêcher la commission de tous les actes relevant de l’article II, alinéas a) à d), de la Convention pour la prévention et la répression du crime de génocide ;

(d) Cesse immédiatement de prendre pour cible les installations, le personnel et les véhicules médicaux et cesser l’utilisation militaire des installations médicales, conformément au droit international humanitaire ; et assurer au personnel médical et aux ambulances un accès rapide, sûr et sans entrave aux personnes blessées ;

(e) Assure la reconstruction du système de soins de santé de Gaza et fournir immédiatement des traitements médicaux répondant aux normes les plus élevées possibles ;

(f) Mette fin au siège de Gaza et assurer la fourniture de tous les biens nécessaires au maintien de la santé de la population et des patients ayant besoin de soins médicaux ;

(g) Facilite immédiatement l’évacuation médicale des Palestiniens de Gaza, en particulier des malades du cancer et des enfants, ainsi que de leurs tuteurs ;

(h) Cesse immédiatement de prendre pour cible les établissements de soins de santé sexuelle et génésique ; respecter l’obligation de garantir l’accès et la disponibilité de services, de biens et d’établissements de soins de santé génésique de qualité ;

(i) S’engage à mettre en œuvre un plan d’action assorti d’un calendrier pour mettre fin aux violations graves des droits de l’enfant, y compris des mesures de responsabilisation pour les attaques contre les installations médicales, compte tenu du fait que les forces armées et de sécurité israéliennes sont énumérées dans les annexes du rapport du Secrétaire général sur les enfants et les conflits armés (A/78/842-S/2024/384) ;

(j) Cesse immédiatement la détention arbitraire et illégale de Palestiniens, y compris d’enfants, et garantir une procédure régulière et des procès équitables, conformément aux normes internationales en matière de justice ;

(k) Veille à ce que tous les Palestiniens qui ont été arrêtés ou détenus soient traités humainement ; mettre immédiatement fin à la torture et aux autres mauvais traitements ; prendre toutes les mesures nécessaires pour prévenir les violations et enquêter sur celles-ci et veiller à ce que les auteurs soient tenus pour responsables ; veiller à ce que les conditions de détention soient strictement conformes aux normes internationales ;

(l) Mette fin immédiatement aux viols et aux autres formes de violence sexuelle et sexiste en détention ; établir des protocoles et des conditions de détention appropriés et sexospécifiques, notamment en ce qui concerne la recherche de prisonniers ; fournir aux femmes des soins de santé sexospécifiques et répondre à leurs besoins en matière d’hygiène ;

(m) Fournisse des informations sur les noms, le lieu de détention et l’état de tous les détenus et les corps retenus ; permettre au CICR d’avoir accès aux détenus et de leur fournir une assistance et une représentation juridiques ;

(n) Donne accès à la Commission et l’autoriser à pénétrer en Israël et dans le territoire palestinien occupé pour enquêter sur toutes les violations du droit international, comme l’a ordonné la Cour internationale de justice ; […]

115. La Commission recommande que tous les États membres

(a) Se conforment à l’avis consultatif de la Cour internationale de justice et aux obligations juridiques internationales de ne pas reconnaître l’occupation illégale d’Israël, de ne pas prêter aide ou assistance au maintien de l’occupation et de faire la distinction dans leurs relations entre Israël et les Territoires palestiniens occupés ;

(b) Respectent toutes les obligations découlant du droit international, y compris l’obligation, en vertu de l’article 1er commun aux conventions de Genève, assurent le respect du droit humanitaire international par tous les États parties, y compris Israël et l’État de Palestine, ainsi que les obligations découlant de la Convention contre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants et de la Convention sur le génocide ;

(c) Cessent d’aider ou d’assister à la commission de violations ; explorent les mesures de responsabilisation à l’encontre des auteurs présumés de crimes internationaux, de violations graves des droits de l’homme et d’abus en Israël et dans le territoire palestinien occupé ;

(d) Coopèrent avec l’enquête du bureau du procureur de la Cour pénale internationale.

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