Israël Palestine

Le Coup de maître du HAMAS

28 octobre 2023 François GÉRALD

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NC Ali Hamad \ apaimages

« Nous sommes en guerre ! » Le Premier ministre israélien, M. Benyamin Netanyahou, affiche la mine défaite celui qui a sans doute déjà compris que son règne de près de trente ans sur la politique de son pays ne durera plus guère que quelques mois. La phrase n’est pas sans évoquer celle que prononça à l’unisson M. Emmanuel Macron à la veille du confinement en mars 2020. Pourtant si le contexte n’a rien à voir, et en l’occurrence, on serait tenté de rappeler que la guerre, la vraie, n’est pas qu’un objet marketing, il est peu probable que celle de M. Netanyahou soit tellement moins marketing que celle du président français.

À l’aube de ce 7 octobre 2023, le Mouvement de la résistance islamique (HAMAS) a lancé une attaque maritime, aérienne et terrestre contre Israël. Selon les informations recueillies sur place, entre 600 et 1000 assaillants palestiniens auraient franchi la frontière de la bande de Gaza depuis six heures du matin et auraient parcouru jusqu’à 25 km à l’intérieur des frontières internationales d’Israël, attaquant les populations civiles et les unités de l’Armée de défense israélienne (IDF) faisant (tous les chiffres sont provisoires et issus de sources diverses et parfois directement concernées) 800 morts, plus de 2 400 blessés et 160 prisonniers dont, semble-t-il des officiers. Alors que les combats continuaient sur certaines portions du territoire israélien, les bombardements en représailles sur la bande de Gaza contrôlée par le HAMAS auraient fait plus de 600 morts.

Dans les médias, c’est la stupeur. Le conflit israélo-palestinien, qui avait été évacué des écrans, fait son retour de façon fracassante et spectaculaire. Ce dernier caractère étant un déclencheur quasi systématique de l’attention des médias, ceux-ci sont immédiatement passés en mode retransmission continue. Très vite cependant, les journalistes, les chaînes dites d’information continue n’en ont plus guère, vont devoir laisser la place aux commentateurs. Sur LCI, l’idéologue municipal, M. Bernard-Henri Levy, à deux doigts de perdre son sang-froid, parlera de « pogroms néo-nazis » bientôt frontalement, mais exactement contré par le cinéaste Élie Chouraqui : « Le parallèle avec les Nazis est total…/… Le HAMAS, c’est les SA qui faisaient le tour des boutiques juives pour marquer SS dessus (sic). C’est exactement ça ! ». Sur l’ensemble des médias, un même refrain a déjà pris place : contextualiser ou expliquer, c’est justifier.

En 1993, lorsque le Premier ministre israélien, M. Yitzhak Rabin, et le chef de l’Autorité palestinienne, M. Yasser Arafat, signent les accords dits d’Oslo, valant reconnaissance mutuelle des peuples israéliens et palestiniens, l’opposition à ces accords est constituée d’une part du Likoud, le parti conservateur israélien, et des partis d’extrême droite israéliens et d’autre part du HAMAS, du Djihad islamique et des formations d’extrême droite palestiniennes. Le 4 novembre 1995, Rabin est assassiné par un extrémiste de droite israélien à la suite de campagnes diffamatoires lancées par le chef de l’opposition, M. Benyamin Netanyahou fier d’organiser des manifestations dans les rues de Tel-Aviv ou Haïfa dans lesquelles le peuple de droite israélien était invité à défiler derrière des pancartes grimant M. Rabin en officier gestapiste. Lors de la campagne des élections pour le poste de Premier ministre et législatives qui suivirent en mai 1996, le HAMAS et le Djihad islamique multiplièrent les attaques terroristes, essentiellement des attentas suicides qui furent de véritables boucheries, alimentant le discours conservateur de refus de négociations avec les Palestiniens. M. Netanyahu sera finalement élu avec 5 000 voix d’avance sur le candidat travailliste, M. Shimon Peres. Cette alliance de fait entre conservateurs palestiniens et israéliens marquera la première bascule d’un conflit territorial entre Israéliens et Palestiniens vers un conflit idéologique entre pacifistes et bellicistes des deux camps.

Les négociations de Camp David II (12 au 25 juillet 2000) qui se tinrent dans la résidence présidentielle états-unienne sous l’égide du Président, M. William Clinton, aboutirent à un échec qui retentit cette fois d’une façon très singulière. Les administrations Clinton et Barak (le Premier ministre israélien d’alors), l’ensemble des médias occidentaux, reprochèrent en effet au leader palestinien, M. Yasser Arafat, d’avoir « refusé l’offre généreuse des Israéliens ». La générosité en question consistait à offrir aux Palestiniens la souveraineté sur des confettis de la banlieue de Jérusalem et aux Israéliens la souveraineté sur à peu près tout le reste, à peine minorée de menues réserves sur l’administration de la partie arabe de la ville. Outre le fait qu’un chef palestinien qui accepterait un tel accord n’est sans doute pas encore né, le consensus politico-médiatique déniant désormais à l’Autorité palestinienne même la légitimité d’exprimer son point de vue était particulièrement frappant. Les Palestiniens venaient sans le savoir d’être exclus de leur propre conflit qui n’était plus qu’une controverse identitaire. Désormais, les Israéliens étaient l’Occident, les Palestiniens, des barbares. Nous étions à quatorze mois des attentats du 11 septembre 2001 et le narratif ethnocentré allait se diffuser sur un mode multimodal par les chancelleries, les intellectuels (Huntington…) et les communicants de plateau jusqu’à devenir aujourd’hui une dimension décisive de l’équation.

Les accords d’Abraham en août 2020 viendront sceller le sort des Palestiniens qui n’y seront même pas représentés, une première dans l’histoire des négociations israélo-arabes. De fait aujourd’hui dans le paysage médiatique occidental, un combattant palestinien qui s’en prend à un soldat israélien est immédiatement qualifié de terroriste, un commentateur palestinien qui critique la politique israélienne, d’islamiste, un journaliste juif israélien ou non qui en fait de même se fait traiter de Juif qui se déteste et s’il est non-juif la qualification d’antisémite est quasi instantanée. On se réfèrera pour l’exemple au calvaire subi par notre confrère de France 2, M. Charles Enderlin, coupable d’avoir diffusé les images de son cameraman, M. Talal Abu Rahmeh, de l’assassinat du jeune Mohamed al-Dura par Tsahal en septembre 2000. Sur France 2, le soir de l’attaque, M. Laurent Delahousse, présentateur du journal de 20 heures qualifiera les événements d’un qualificatif, « choc des civilisations », dont le caractère raciste ne fait pas mystère. Le lendemain sur la chaîne LCI (groupe TF1), le présentateur, M. Darius Rochebin, abondera en commentant : « ces images des ULM (sic ) qui arrivent pour tuer les jeunes israéliens dans une rave party. C’est le choc de deux mondes ! » Dans le même ordre d’idée, l’émergence d’un débat de sophistes visant à sommer la gauche de dénoncer les attaques du qualificatif de terroriste, dénote combien le narratif identitaire s’est diffusé jusqu’au cœur des médias. Les journalistes, ou les communicants qui en tiennent lieu, se vivent désormais comme des gens de pouvoir et, à ce titre, se sentent, à l’aune de leur narcissisme, responsables des événements, essayant de s’en décharger sur un bouc-émissaire, M. Jean-Luc Mélenchon, pour qui la récente trêve du dénigrement systématique due aux punaises de lit aura donc été de très courte durée.

De fait, bien avant ces attaques, le récit occidental ethnocentré était devenu un pur récit imaginaire fondé sur des coordonnées identitaires propres à justifier une politique israélienne aujourd’hui ouvertement colonialiste. En résumé, le narratif de l’autorité politique israélienne consistait à revendiquer le droit de faire la guerre aux Palestiniens en commettant de nombreux crimes de guerre comme la colonisation ou l’accaparement des ressources hydriques, des terres, des récoltes, des maisons, des villages et des routes, sans que ceux-ci aient le droit de répliquer… C’était déjà une guerre 2.0 dont le versant communicationnel était la véritable matrice et dont l’imaginaire était littéralement sans limite. L’évacuation des colonies israéliennes de Gaza, la construction du mur de « séparation » en Cisjordanie occupée, témoignaient non pas d’une séparation sèche, mais d’une disparition du peuple palestinien dans le paysage médiatico-politique occidental. Cette fiction criminelle était de plus renforcée par la mise en service du système d’interception des roquettes lancées depuis Gaza, le Dôme d’acier, qui a laissé croire aux populations israéliennes à une impossible invulnérabilité. Le tout se doublait d’une dérive politique qui allait aboutir à la nomination de l’actuel gouvernement où se côtoient des Juifs suprémacistes partisans de l’expulsion des Palestiniens « hors d’Eretz Israël », soit les actuels Israël et territoires palestiniens, d’auto-proclamés fascistes et homophobes et autres admirateurs du terroriste israélo-états-unien, Baruch Goldstein, auteur du massacre d’Hébron en 1994 (29 morts, 125 blessés), alors que la seule consistance politique de cette alliance était et demeure de permettre à M. Netanyahou d’échapper à des poursuites judiciaires pour trois affaires de corruption.
Sauf qu’évidemment pour faire la guerre il faut au moins être deux et qu’à prétendre pouvoir la faire seule, l’administration israélienne a fini par s’aveugler elle-même sur sa propre bêtise.

Car ce qui frappe devant ces attaques palestiniennes, c’est, d’une part leur caractère ingénieux et audacieux, qualités dont on affuble plus couramment les unités de Tsahal, et d’autre part, leur caractère nécessairement gagnant en termes de communication pour le HAMAS. D’un point de vue militaire, ce qui a rendu ces attaques possibles est le redéploiement des unités en charge de la frontière gazaouite vers la Cisjordanie occupée où l’administration Netanyahou craignait pour la sécurité des colons pendant les fêtes du nouvel an juif. Premier effet de réel, la négation du peuple palestinien et la réduction du conflit à des coordonnées de jeu vidéo (capteurs de mouvement, vidéo-surveillance…) est venue ici réclamer un prix particulièrement élevé. Deuxième effet de réel, la faillite du Dôme d’acier, dont il ne fallait pourtant pas être un grand expert pour prévoir qu’il aurait des difficultés à opérer sous des centaines de roquettes palestiniennes. Troisième effet de réel enfin, avec la faillite du renseignement israélien. L’espionnage consistant à recueillir de l’information, la négation de la réalité palestinienne a pu faire croire aux politiques israéliens que leurs services de renseignement intérieur, le Shin Beth, et militaire, l’AMAN (Agaf Ha-Modi’in), avait la maîtrise de la situation. Or par définition, ce qui intéresse les services de renseignements est l’information dissimulée. Si des services compétents arrivent à en obtenir, croire qu’un service, quel qu’il soit, ne serait plus en déficit relève d’une arrogance d’autant plus tragique, que les officiers de renseignements restent des fonctionnaires qui obéissent aux ordres qu’ils reçoivent. Donc supposer que les fantasmes de maîtrise de l’autorité politique ne finiraient pas par descendre l’échelle hiérarchique relevait d’une naïveté criminelle. Il y a ce qu’on sait qu’on ne sait pas et ce qu’on ne sait pas qu’on ne sait pas, c’est-à-dire l’inconscient qui vient obstruer les désirs de souveraineté du moi publicitaire de la clique au pouvoir à Tel-Aviv.

Au niveau politico-militaire enfin, le HAMAS étant globalement reconnu comme une organisation terroriste dans les pays occidentaux, une opération de ce type ne comportait pour lui que des avantages. Au niveau politique et en termes de communication, la dénonciation des crimes de guerre que constituent les massacres de populations civiles dans la rave-party de Reïm (260 morts) ou ailleurs, ne pouvait que soulever la question des crimes de guerre israéliens en Cisjordanie occupée et à Gaza. L’univers de maîtrise illusoire du symbolique révèle aujourd’hui le piège dans lequel se retrouvent prises les autorités israéliennes, si elles en appellent à un principe de réalité quant aux crimes du HAMAS, la réplique les confondra dans leur déni de la simple existence du peuple palestinien. De fait, plus les politiques israéliens adopteront un ton martial, plus la légitimité politique du HAMAS s’en trouvera renforcée. Le cas du ministre de la Défense, M. Yoav Galant, annonçant : « Nous faisons face à des animaux humains, donc nous agirons en conséquence. » dépasse vraisemblablement toutes les espérances des communicants de l’organisation gazaouite.

En termes militaires ensuite, si le 8 octobre au soir, la chaîne de télévision française, LCI, a eu la chance de pouvoir diffuser en direct et en exclusivité, depuis son propre plateau à Boulogne-Billancourt, les préparatifs de ses propres experts pour une intervention terrestre sur la bande de Gaza, la réalité risque d’être plus compliquée pour Tsahal dont le commandement sait que toute intervention qui ne serait pas temporairement strictement bornée aurait un coût en vies humaines inacceptable. Il en ira de même, pour les experts en bombardements massifs. Car de quoi parle-t-on ? De l’envoi d’obus d’une tonne sur des habitations civiles ? Tsahal le fait depuis une quinzaine d’année au moins. De raser Gaza façon Dresde en 1945 ? Là aussi, le prix médiatique serait insupportable. Bref vient un temps pour accepter que cette opération a fait passer en quelques heures le HAMAS du statut d’organisation terroriste à celui de principale force militaire palestinienne.

Si le nombre exact de prisonniers israéliens détenus dans les geôles gazaouites est encore une information trop sensible pour être diffusée, cette réalité change de plus radicalement l’équation du discours israélien sur le HAMAS. Les likoudniks qui firent campagne contre les accords d’Oslo reprochant à la gauche israélienne de négocier avec le « terroriste » Arafat, la palme revenant à M. Ariel Sharon, devenu Premier ministre (2001-2006), expliquant que, s’il en avait la possibilité, il tuerait Arafat, vont désormais devoir aller s’assoir à la table des négociations. Une source bien informée au sein du renseignement militaire monégasque m’indique que la rencontre se tiendra au lieu-dit Le Rendez-Vous des Copains. La roue tourne.

Le 14 octobre 2023
François GÉRALD
Https ://Freefrancois.blogspot.com

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