Retraites : le déchet social sort du gris. Vers le retrait et la dissolution – pour commencer ?

12 avril 2023 djef

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Les magnolias ont déjà fleuri ce jeudi 30 mars 23 mais le mouvement semble courir en rangs serrés à l’abattoir, plus de deux mois après le déclenchement des hostilités du 19 janvier. Du moins, l’intersyndicale fait tout ce qu’elle peut pour atteindre ce très traditionnel et vénérable objectif.

La dixième journée d’action officielle est derrière (la onzième aussi, désormais ndjfgjvc 11.4.23) et, en vue depuis la cime syndicale, qui aime à nous promener de temps en temps (pas trop rapprochés) sur les boulevards : la défaite en rase campagne. On ne peut tout de même pas préparer le chaos, n’est-ce pas. On ne peut pas sérieusement couler notre économie. La biosphère humains compris, c’est autre chose, ne mélangeons pas tout, ne soyons pas incongrus.

Un petit air de 1936 dans l’air ? De déjà vu et entendu, oui. Un air de 1995 aussi, de 2010, 2016, 2018, 2019, 2020… Les mouvements semblent abonnés à la lose et enchaînent même de plus en plus vite, on dirait. Que celui ou celle qui croit avoir repéré une victoire se dénonce. Chaque rare victoire s’est épuisée dans la reculade du gouvernement - sans un pas de plus, pour qu’aussitôt on nous resserve le brouet infâme en douce et par derrière à l’aide d’une nouvelle équipe flambant neuve – et rose, si possible. Destin des luttes défensives qui ne muent pas. Regardons les grandes grèves de 1960-61 en Belgique : tout pareil. Pourtant ça envoyait du lourd : on a eu retrait, démission, dissolution, le PS aux commandes, tout le toutim, bref, et puis, pouf, la loi dite unique du père Eyskens, d’abord congédiée sous la menace de l’insurrection, nous revient par petits paquets dans le fondement, sous d’autres noms - bien entendu. À quoi s’attendait-on au fond(ement) ? Après tout, ce sont les mêmes qui permirent la guerre de 14 et ses trente millions de morts - morts pour les honorables marchands de canons et leurs amis de classe, entendons-nous bien.

Allons donc, une dernière petite défaite avant l’abîme pour de bon ? Nous saurons très vite maintenant si ce printemps rare aura été la dernière perche que nous tendait une certaine histoire souterraine, celle de la bonne vieille petite taupe, qui semblait ne plus creuser grand-chose depuis belle lurette.

la CFDT court à l’équarrissage comme de bien entendu

Le Berger des masses salariées CFDT a obtenu de Matignon qu’on lui serre la main tendue (restante ? non, les siennes ont l’air bien arrimé). Borne invite l’intersyndicale au mercredi 5 avril et on ignore l’OJ à l’heure qu’il est (le retrait n’y figurait pas, qui l’eût cru, ndjfgjvc 11.4.23). Beau score. Pendant ce temps, au congrès de la CGT, une aile révolutionnaire, coco à la papa tant qu’on voudra mais tout de même superbement décidée et surgie d’on ne sait trop où taille un costard à Martinez (SG sortant) dans un discours de style IC années (19)20. Murielle Morand passe à l’attaque et vendredi 31, on élit le nouveau SG. Il reste à prier pour que Mateu soit élu. Eh bien non, c’est l’un peu trop belle pour être vraie Binet, miss CPE en 2006 tout de même, qui rafle la mise. Ira, ira pas chez Borne le 5 ? Réponse dans trois jours au plus tard (elle y est allée pour rien – qui l’eût cru encore, ndjfgjvc 5.4.23).

Pour situer le bonhomme aux camarades légitimement ignares de la chose stato-institutionnelle, le Berger en question assène calmement qu’en démocratie, la violence est bannie. Outre que l’idée serait grotesque quand bien même on laisserait les Grecs tranquilles en ne profanant pas leurs plus beaux concepts comme des va-nu-pieds intellectuels – après tout, démocratie, ça veut dire : le peuple aux commandes -, il ne se passerait donc rien à Sainte-Soline ni sur les boulevards, puisqu’on vous dit qu’on est en démocratie. Ça fera plaisir aux camarades esquintés, et aux morts en sursis. Sous Vichy, il aurait condamné les exactions de la Milice ou même des Allemands débarqués en zone libre fin 1943 tout en tendant la main à Darnand et en réprimandant d’une seule haleine les maquisards du Vercors. Sauf qu’ici, la classe exploiteuse à laquelle il tend la main moite d’abjection est en train, avec son escorte politique, d’envoyer la biosphère à l’équarrissage d’une manière qui fait faire pâle figure à l’opération Barbarossa de 1941, vague échauffourée en regard, rixe houleuse, échauffement un peu énergique. Or personne n’aurait l’idée de donner du ‘violent inacceptable’ à Jean Moulin, aux héros, aux martyrs. Le jaune colore l’ADN du Berger - banalité de base. La nature qui se défend violemment du massacre qu’on lui prépare démocratiquement est condamnée moralement. Sartre admettait bien que le violent accuse toujours celui auquel il s’attaque d’avoir commencé, mais il ne visait à empêcher personne de se défendre. Désarmer symboliquement des victimes déjà à peu près inermes face aux reîtres des milices darmaniniennes est d’une transparence dont l’ignominie échappe aux seuls jobards, ou aux salauds.

On ne sait pas bien à quel jeu joue ce fils de métallo, qui aime à rappeler sereinement son ascendance prolétarienne comme s’il s’agissait d’un passeport politique (les ouvriers ne voteraient donc ni fasciste ni catholique, et auraient, n’est-ce pas, le socialisme dans le sang), mais miser sur la jobardise du mouvement est un pari risqué, vu que le pontife des salariés a défilé et annonce qu’il défilera. On le trouvera dans la rue, bref, sur les grands boulevards ; pas besoin d’aller le chercher bien loin. Mais le pire est que l’intersyndicale semble suivre. Déjà au congrès CGT fusait un « camarade Martinez, qui t’a mandaté pour aller à Matignon ? », en clair, pour te pendre aux basques de ce jaune ?

Reprenons pour conclure sur les jaunes. Ils nous préparent une sortie de scène ‘honorable’ – en espaçant de dix jours les journées d’action successives, en se rendant à Matignon, en faisant patauger le mouvement dans les grèves perlées, si générales, et reconductibles seulement si elles sont sectorielles. Bref, de reconductible générale, nulle trace à l’horizon – sauf dans le réseau de délégués qui porte son nom et où Révolution permanente (RP), à tout seigneur tout honneur, joue un rôle remarquable. Chaque fois qu’une vague d’offensive gronde dans les plis de la défensive, le sommet panique et tente de précipiter le mouvement vers la sortie. Vieille antienne. En 1936, Thorez tonnait ‘il faut savoir arrêter une grève’ et son Humanité titrait ‘le PCF c’est l’ordre’. Tout était dit. Pourtant cette officine ouvrière des affaires extérieures soviétiques mettra cinquante ans pour dégager le plancher de la conscience de classe. Plus récemment et vérification faite, la seule différence avec le scénario de la séquence loi-travail/El Khomri de 2016, c’est que la motion de censure fut rejetée alors en première lecture du texte à l’Assemblée plutôt qu’en seconde (où de motion de censure, il n’y eut point)...

piloter les médiations syndicale et politique – ou les cramer pour de bon

Mais las !, le mouvement ne se résout pas dans ce qui est censé le tenir – ‘tenez vos troupes !’ aboient les bourgeois quand ils croisent un syndicaliste à la télé. Soit la base parvient à guider le sommet, soit elle le fera passer à la trappe. D’autant plus que cette base se colore dangereusement de convergence des luttes. C’est la France périphérique à la Guilluy qui se lève ici et surtout qui commence à s’articuler. Au piquet des dépôts du Havre, on rend hommage aux camarades de Sainte-Soline mutilés dans l’assaut manqué aux méga-bassines. La green deep resistance défile aux journées d’action contre la réforme des retraites. Les gilets jaunes ne sont jamais loin de ces soulèvements de la terre. Bref, les sous-citoyens à la consumer-lifetime-value proche de zéro, le waste, le déchet social de l’ère des métropoles globalement connectées se mettent à faire sujet politique. Les déclassés volontaires et les militants-penseurs professionnels ne sont plus seuls. Il n’y aura plus de fordisme pour cette constellation, qui n’en a d’ailleurs que faire des écrans plats à tous les étages, des pavillons préfab’ quatre façades et des SUV électriques et autres Tesla-connasse de service pour bobos urbains. Ça ne cherche plus la promotion dans ce monde-ci, n’en déplaise à l’adipeux Sluterdijk qui croit traquer le ressentiment, c’est-à-dire l’envie en sus de la rancune, sous la révolution, avec son sous-nietzschéisme de notaire agressivement ventripotent.

D’ailleurs, c’est une vieille tradition ès révolution, la non-promotion. Sous ou derrière la révolution dans son moment éruptif manifeste à tous il n’y a rien qu’un nouveau monde où plus personne en bas ne veut la place de ceux de la haute - sauf peut-être les dimanches et jours de fête, et encore. Le mouvement ouvrier officiel est parvenu à sanctifier le contraire, et au fond obtenu de ses ouailles qu’elles applaudissent à l’idée de vivre un peu comme leurs patrons. Plus question de cela ici puisqu’il n’y a plus ni haut ni bas ! Non pas, attention, qu’on y révère les éboueurs, puisque chacun sera éboueur à tour de rôle de ‘boues’ en voie d’extinction, sans chanter hypocritement, comme aujourd’hui la gauche, les louanges d’un métier qui n’en est pas un : les éboueurs le savent bien qui ne veulent pas crever de leur cancer au cul du camion-benne et martèlent que la retraite à 64 ans, pour eux qui ne dépassent pas l’âge de 58 ans en moyenne, est celle des morts. On ne crève pas d’un beau métier, même si les métiers véritablement orduriers du capital-fonction conservent la santé comme l’exercice du pouvoir. L’utilité de l’ébouage est incontestable ô combien dans cette société indécente mais même de cela, les autres couches de la société ne sont pas reconnaissantes aux éboueurs ; voilà ce que ces derniers ne peuvent plus encaisser. Laver les caniveaux de cette gigantesque usine à merde marchande qui ne mérite pas d’exister est déjà assez pénible ; qu’on leur nie jusqu’à la qualité de la rendre un peu moins inhabitable le temps qu’elle coule, cela, ils ont cessé de le supporter. La libération pointe le bout de son nez, son esprit commence à souffler.

*

Mais où en est-on au juste ? À l’heure qu’il était, le 2 avril dernier, les éboueurs parisiens avaient lâché - tout en promettant de revenir, certes ; et dans les autres villes ? Les ouvriers des dépôts de carburant, y compris ceux du kérosène au Havre, étaient rejoints pas les dockers qui débrayaient en bloc partout en France, mais toujours pas de pénurie à l’horizon et les avions décollaient plan plan. Certes encore, tous les ports de France étaient bloqués ; cheminots, pétrochimistes, ‘pharmaciens’, étudiants, enseignants, gaziers, énergéticiens et routiers débrayaient du même pas, certains se montraient aux piquets des autres : solidarité et grèves parfois reconductibles. Mais ce 11 avril, l’horizon reste celui des grèves perlées sectorielles, celles de la voix de leur maître. Pis, les cognes ont ‘levé la grève’ (comme osent dire les media capitaux) aux dépôts de Fos-sur-Mer près de Marseille ; les réquisitions ne devraient pas tarder – alors que Mateu, SG de la CGT 13 (Bouches-du-Rhône), avait menacé la préfecture locale de guerre au cas où elle y procéderait. On attend de voir. Mais les raffineries sont toutes bloquées encore, et les ports de manière générale aussi (en outre, l’avocature de RP pour CGT-Total Normandie vient d’obtenir la levée des réquisitions au tribunal de Rennes, ndjfgjvc 11.4.23).

Mercredi 5 plus encore que jeudi 6 avril (onzième journée d’action) pourrait mettre le feu aux poudres (désormais, ce sera le 14 qui remplira cet office, date où le Conseil constitutionnel rendra son avis sur la cochonnerie gouvernementale, ndjfgjvc 11.4.23). Que l’intersyndicale recule ou qu’elle cède à sa base, l’effet sera le même. Dans le premier cas, ce sera l’emballement. Dans le second, la base comprendrait qu’elle commande désormais et se sentira pousser des ailes. On voit mal que l’horizon ne soit pas celui du retrait, de la démission du gouvernement, de la dissolution de l’Assemblée. Et si le conseil constitutionnel n’a pas l’intelligence politique de retoquer ses copains de l’exécutif ce vendredi 14, inutile d’être grand clerc pour anticiper l’explosion générale. Osons avancer que le pire pour le mouvement serait qu’il le retoque, car certes, la reculade équivaudra victoire, mais cette dernière restera sans lendemain et tout retombera d’un coup sec. La lutte défensive victorieuse, toute perspective plus ambitieuse sera noyée dans le mousseux.

Mais imaginons le pire, c’est-à-dire le meilleur. Après une séquence de débandade adverse fort prévisible, il faudra sans doute pousser encore pour hisser au gouvernement une équipe politique un peu disruptive et surtout inexpérimentée. Quelles que soient les organisations qui s’y colleront, il faudra sérieusement serrer le boulons ou les faire serrer, c’est selon, du dehors comme du dedans donc, débarrasser le grenier des gros meubles qui amassent la poussière tout en pliant les solives, ouvrir le toit et évacuer les remugles de réformisme qui les empuantissent. Ensuite, ne pas lâcher d’un pouce la pression et opérer la mue de la vague en dictant le programme. Et quel programme que le programme de démantèlement raisonné du capital – autre chose que la planification du XXe siècle ! C’est de sortie de civilisation qu’il s’agit, et non plus de dépassement à l’intérieur. Pas question de s’arrêter en chemin sous prétexte que les fins de mois ne seraient plus difficiles. C’est avec la fin de tout monde qu’il s’agit d’en finir. Ce serait ce qu’on appelle le passage des luttes défensives à l’offensive générale.

Jonas Vigna Carafe & Jeanfrançois

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