Trump, Oligarques et Ohio

Publié le 7 octobre 2022 par Jeremie LeDetektiv

La ville de l’Ohio est le théâtre - bien malgré elle - d’une tentaculaire affaire où se mêlent somptueux projets immobiliers, blanchiment d’argent à grande échelle et enquête au long cours, avec comme protagonistes des criminels en fuite, des informateurs véreux et même un ancien président américain

Les Pieds nickelés au Far West. Une histoire abracadabrantesque digne d’un scénario de mauvaise série B. Un Kamoulox, ou ce qui en tient lieu au pays de l’Oncle Sam, de l’avis même d’un ex-agent du FBI et spécialiste américain du droit des affaires interrogé par un média local de Cincinnati (Ohio). «  Il y a de tout  », dans cette affaire, lâche l’ancien flic, quiénumère : «  un accident de chasse. Un meurtre. Donald Trump. Tout ce que vous voulez. Quelqu’un devrait en faire un documentaire  ». Une série documentaire transnationale, alors, dont les protagonistes, plus louches les uns que les autres, se retrouveraient aussi bien au fin fond du Midwest américains qu’à Moscou, en passant par les avenues de New York et même... par les steppes du Kazakhstan...

Félix Sater, la pierre angulaire de l’affaire

Mafias russes, Donald Trump et Ben Laden : méconnu en France, Félix Sater est l’une des personnalités politiques, économiques et surtout judiciaires les plus fameuses d’outre-Atlantique. Un CV à faire pâlir un scénariste d’Hollywood : né en URSS et plus précisément à Moscou dans une famille de juifs russes, il grandit aux États-Unis, où il devient d’abord courtier à Wall Street dès la fin des années 1980. Après une condamnation à plusieurs mois de prison pour avoir poignardé un courtier concurrent dans une dispute de bar en 1991, le sulfureux homme d’affaires rebondit en mettant son tentaculaire réseau de «  yuppie  » New Yorkais au service de différents groupes financier, comme le fonds d’investissement Bayrock.

Ami d’enfance de Michael Cohen, avocat et proche de Donald Trump, Félix Sater gravite rapidement dans l’entourage du magnat de l’immobilier et futur Président des États-Unis. Au début des années 2000, il accompagne le développement du groupe Trump en Floride, à Londres et surtout à Moscou. Un lien avec la Russie tel que de nombreux médias américains décriront Sater et Cohen comme les «  courroies de transmission  » entre le candidat Donald Trump et les réseaux du Kremlin lors de la campagne électorale de 2016.

Condamné à de multiples reprises par la justice, notamment pour ses liens avec la mafia russe, il aurait néanmoins échappé à un retour derrière les barreaux en collaborant activement avec le FBI. Cerise sur le gâteau : Sater aurait même joué un rôle déterminant dans l’élimination d’Oussama Ben Laden en 2016, en transmettant aux autorités américaines… le numéro de téléphone du chef terroriste, alors terré au Pakistan. Un personnage dangereux, haut en couleur et sulfureux, grenouillant entre le monde du crime organisé, le monde politique et le monde des affaires, désormais au cœur de l’un des plus gros scandales financiers de Cincinnati, qui a des répercussions jusqu’à Paris.

De Trump à Sater, de Sater au Kazakhstan, du Kazakhstan à Paris

Car la Justice américaine n’en a pas fini avec Félix Sater. Aux confins du Midwest, ce dernier est soupçonné d’avoir servi d’intermédiaire dans une obscure affaire de blanchiment à grande échelle : Mukhtar Ablyazov, oligarque kazakh en fuite, aurait quitté son pays en 2009 avec près de 6 milliards de dollars en poche. Après voir fait assassiner l’un de ses anciens associés lors d’une partie de chasse, il aurait tenté de réinvestir une partie du magot dérobé dans une multitude de projets immobiliers, et notamment dans l’Ohio avec un certain Viktor Khrapunov, un autre oligarque kazakh en fuite.

Les deux Kazakhs en cavale, recherchés ou condamnés par les justices russes, britanniques et kazakhstanaises, s’effacent alors derrière une société à responsabilité limitée, Tri-County Mall Investors LLC. Plus chic, plus «  couleur locale  » et, surtout, insoupçonnable et théoriquement intraçable. La transaction, finalisée en 2013, échappe en effet aux radars du système judiciaire du comté de Hamilton, dans l’Ohio, d’autant plus qu’elle est adossée à un projet de complexe immobilier bien plus large, associant des promoteurs locaux qui sont, eux, au-dessus de tout soupçon.

Un camouflage mis en scène par Félix Sater selon les premiers éléments de l’enquête : via une succession de montages financiers, ce sont des millions de dollars, dérobés dans les banques du Kazakhstan, qui auraient été réinvestis dans un projet immobilier de Cincinnati censé transformer une décharge industrielle en complexe résidentiel. C’est la mise au jour de ces divers montages qui a révélé l’implication de Felix Sater, de Mukhtar Ablyazov et de Viktor Khrapunov, les 30 millions de dollars abondés par Tri-County Mall Investors provenant bien, après vérification, d’un compte bancaire contrôlé par ce dernier. Autant d’éléments qui ont, à la fin du mois d’août dernier, convaincu un tribunal de l’État de New York d’exiger de Mukhtar Abliazov qu’il révèle l’ensemble de ses actifs et de ses sources de revenus d’ici au 30 septembre, délai au-delà duquel l’oligarque sera astreint à une amende de 1 000 dollars par jour.

Une décision entendue jusqu’à Paris : Abliazov vit actuellement en France, où il continue de réclamer l’asile auprès de la justice française. Pour sa part, Sater sera auditionné par la justice américaine courant octobre.

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